Le monument de la Haute-Chevauchée, situé sur la commune de Lachalade dans la Meuse, a été inauguré le 31 juillet 1922. Il est érigé à l’initiative du Comité Commémoratif de l’Argonne, fondé en 1921 par la comtesse de Martimprey. Veuve de Jean de Martimprey, capitaine de la 8e Compagnie du 4e Régiment d’Infanterie disparu le 13 juillet 1915 à la Haute-Chevauchée, elle occupe la présidence de ce comité qui se donne pour mission d’honorer les soldats français et alliés morts lors des combats de l’Argonne pendant la Première Guerre mondiale.
La région argonnaise a joué un rôle stratégique majeur tout au long de la Première Guerre mondiale. Rempart naturel important, elle avait déjà été au cœur des Guerres révolutionnaires et du conflit franco-prussien de 1870-1871. Des forêts denses de chênes et d’hêtres parsemées de plusieurs collines et crêtes ne laissent qu’une poignée de passages, notamment aux abords de Lachalade.
En bordure de la vallée de l’Aire, cette terre donne un accès direct aux plaines de Champagne et à la région verdunoise, ainsi qu’à la ligne de chemin de fer de Sainte-Menehould qui relie Paris à Verdun. En raison de cette importance cruciale, les Allemands, repoussés dans la Marne par les Armées britannique et française, s’établissent sur la forêt de l’Argonne dès septembre 1914. La guerre s’enlise dans ce secteur où le front se maintient jusqu’en automne 1918. À partir de 1915, débute une guerre souterraine, appelée « guerre des mines », qui vise à détruire les positions ennemies par la détonation d’explosifs placés sous ces dernières. Ces techniques, menées par les régiments du génie, ont profondément marqué le territoire argonnais par la création de gigantesques cratères ou « entonnoirs ».
À l’été 1915, en réponse aux attaques françaises en Champagne, l’Armée allemande lance une importante offensive en Argonne. Le 13 juillet, à trois heures du matin, les troupes ennemies se lancent à l’assaut des tranchées françaises. C’est ce jour même que Jean de Martimprey, mari de la comtesse, disparait à la tête de sa compagnie alors que son unité, le 4e Régiment d’Infanterie, se retrouve en première ligne. L’état-major allemand cherche à s’emparer de Sainte-Menehould et de sa gare ferroviaire. Cette attaque parvient à briser la ligne française et ébranler les trois régiments qui la composent. La côte 285 tombe alors dans les mains de l’ennemi et six mille Poilus sont capturés.
Le 66e Bataillon de Chasseurs à pied, en cantonnement à Clermont-en-Argonne, reçoit l’ordre de mener la contre-offensive. Baïonnette au canon, les hommes s’élancent, dans un nuage de gaz lacrymogène, vers les positions allemandes. Sous le feu des mitrailleuses et des canons, les chasseurs, rejoints par des soldats rescapés des régiments français de première ligne, parviennent à atteindre les anciennes positions françaises. S’engagent alors de violents affrontements au corps à corps desquels le bataillon sort victorieux. Au prix de lourdes pertes, les soldats du 66e arrivent à reprendre la côte 285 et, ainsi, à préserver la IIIe Armée française en Argonne.
Les différents points stratégiques de l’Argonne tels que la Harazée, le Bois-Bolante, la côte 263, le Fille Morte, le Four de Paris, la Haute-Chevauchée, le ravin des Courtes Chausses, comme la côte 285, ont chacun fait l’objet d’âpres combats. Ils ont été occupés à tour de rôle par l’Armée allemande et les armées alliées durant le conflit. Pendant ces quatre années de guerre, deux cent soixante-quinze régiments français ont combattu dans la région argonnaise, cent cinquante mille de leurs soldats y ont perdu la vie.
À la fin de la Première Guerre mondiale, cette région revêt donc un important aspect mémoriel que symbolisent les actions de la comtesse de Martimprey et le Comité Commémoratif de l’Argonne.
Le 24 juillet 1920, lors d’une cérémonie sur la côte 285, la comtesse exprime pour la première fois son souhait d’ériger, à cet emplacement, un monument en hommage aux soldats morts mais également disparus en ces lieux. Elle décrit en ces mots son initiative : « Il faut que nos enfants se souviennent de l’héroïsme de leurs pères et viennent prier sur leurs tombes, qu’ils gardent présentes les souffrances particulièrement angoissantes de cette guerre d’usure, de sape et de mine dans les tranchées à quelques mètres des Allemands. Sans céder du terrain, nos Poilus ont tenu quatre ans, mais au prix de quels sacrifices. Honorons leur mémoire par l’érection d’un monument digne d’eux, destiné à servir de sépulture à tous les soldats disparus, ensevelis par milliers en terre d’Argonne dans une gloire anonyme sans laisser de traces. »[1]. Ces mots traduisent autant l’expérience de son deuil personnel que celui de milliers de familles privées de lieux de recueillement pour leurs proches dont les corps n’ont pu être retrouvés.
Cette proposition reçoit un important écho auprès de comités patriotiques, notamment à l’international, qui participent à l’appel à la souscription. Le 24 juillet 1921, la première pierre du futur monument est posée par le général Duport, commandant du 6e Corps d’Armée, qui a lui-même combattu en Argonne au sein de la IIIe Armée française.
[1] Le Figaro, 5 novembre 1920
L’inauguration du monument de la Haute-Chevauchée a lieu le 30 juillet 1922. L’édifice, œuvre de l’architecte Bolloré, ancien officier de l’Armée d’Argonne, et du sculpteur Edmond Henri Becker, se dresse sur la côte 285, un emplacement symbolisant la violence des combats dans la région. Ce lieu a été transformé par la guerre, son relief s’est abaissé d’une quinzaine de mètres à cause des sapes et des bombardements.
Au sommet du monument, on retrouve un obélisque de neuf mètres de haut sur lequel repose le buste d’un Poilu. Ses mains s’appuient fermement sur une épée dont la lame se prolonge en une croix chrétienne dans une symbolique religieuse et guerrière typique des monuments funéraires et commémoratifs de l’après-guerre. Au pied du monument, un autel a été aménagé afin de servir lors des cérémonies. Sous terre, un ossuaire abrite les restes d’environ dix mille soldats non identifiés, morts dans la région.
L’inauguration se déroule devant une foule de près de huit mille personnes, parmi lesquelles de nombreuses familles de soldats tombés en Argonne. Pour l’occasion, des services spéciaux d’autocars relient la gare des Islettes au site de la Haute-Chevauchée. Le paysage porte encore les marques visibles de la guerre, des « entonnoirs » profonds de plusieurs dizaines de mètres ainsi que des piquets et fils barbelés sont parsemés autour du lieu. Les délégations de comités italiens et américains ayant contribué à la souscription sont présentes. Le monument comporte plusieurs inscriptions. Sur la façade principale est gravé « Aux Morts de l’Argonne ». La face arrière contient les noms des deux cent soixante-quinze unités françaises ayant participé aux combats dans la région. Les lieux des principaux combats, tels que la côte 285, le ravin des Meurissons ou la Fille Morte sont également inscrits.
Sur le côté droit sont gravés les noms des unités italiennes ayant servi dans la région argonnaise au cours de la Première Guerre mondiale. Dès l’entrée en guerre, environ six mille volontaires italiens s’engagent dans l’Armée française au sein du 4e Régiment de marche du 1er Régiment de la Légion étrangère. Cette unité, créée à l’initiative de Giuseppe « Peppino » Garibaldi, petit-fils du « Père de la Patrie » italienne, prend rapidement le nom de « Légion garibaldienne ». Ses six frères, Riciotti, Menotti, Sante, Bruno, Constante et Ezio s’engagent dans ce régiment qui décide d’adopter la chemise rouge, symbole de l’unification de la péninsule italienne. Le régiment participe aux combats dans la région argonnaise. Lors de ces derniers, Bruno et Constante Garibaldi vont trouver la mort, respectivement le 26 décembre 1914 et le 5 janvier 1915. C’est également dans ce régiment que combat Lazare Ponticelli. Cependant, avec l’entrée en guerre de l’Italie contre l’Empire austro-hongrois en mai 1915, les volontaires du 4e Régiment de marche rejoignent les rangs de leur armée nationale et l’unité est dissoute.
Le 30 juillet 1922, lors de l’inauguration du monument, le général Marietti, représentant de l’ambassadeur d’Italie en France, rend hommage à ces combattants dans un poignant discours. Il évoque et réaffirme les liens sacrés qui unissent ces deux pays depuis les « journées de Libération de 1859 » : « La France et l’Italie ont une identité parfaite d’aspiration et de vues, leurs héros dorment dans des cimetières communs »[2]. L’engagement de ces volontaires en Argonne sous le drapeau français a amené les comités patriotiques italiens, attachés à leur mémoire, a contribué à l’érection de cet édifice.
[2] Le Peuple, journal du 6 août 1922
Les comités américains jouent également un rôle essentiel dans l’élan mémoriel autour des combats de l’Argonne. Sur le côté gauche de l’obélisque sont inscrits les noms des unités ayant participé, au sein des trente-deux divisions américaines, aux combats dans la forêt argonnaise. Après l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Allemagne le 6 avril 1917, les premiers contingents du Corps expéditionnaire américain débarquent en France à Saint-Nazaire le 26 juin. Après les victoires alliées dans l’Aisne, l’Armée américaine participe à l’offensive Meuse-Argonne dès septembre 1918. Durant cette dernière phase de la guerre, environ un million de soldats américains combattent aux côtés de la IVe Armée française. Certaines unités composées notamment d’Afro-Américains, passent même sous commandement français, comme c’est le cas des 371e et 372e Régiments intégrés à la 157e Division d’Infanterie, dite « Red Hand Division », du Général Goybet. Les pertes sont lourdes, jusqu’à la signature de l’Armistice, pas moins de vingt-six mille soldats venus de par-delà l’Atlantique trouvent la mort dans les combats en Argonne. À l’occasion de l’inauguration du monument, représentant l’ambassadeur des États-Unis, le colonel Thomas Bentley Mott qui était officier de liaison pendant le conflit, affirme toute sa sympathie à l’égard de la comtesse de Martimprey et de son action.
Invité d’honneur de la cérémonie, Raymond Poincaré, le Président du conseil et ancien Président de la République, prend la parole peu après midi. Originaire de Bar-le-Duc, à une soixantaine de kilomètres seulement du site de la Haute-Chevauchée, il porte un attachement particulier à la région argonnaise. Dans une allocution empreinte d’émotion, il décrit l’Argonne comme le lieu symbolisant l’affrontement séculaire entre la France et l’Allemagne, rappelant les combats décisifs de Valmy en 1792, où l’armée révolutionnaire du général Kellermann sortit vainqueur de la coalition germanique qui s’opposait à elle. Cette opposition, que l’on retrouve en 1814 puis en 1870, devenu presque héréditaire, a de nouveau trouvé son expression dans les combats de la Première Guerre mondiale « où l’Argonne a joué, une fois de plus, le rôle capital qui lui a été dévolu par les siècles ». En plus de sa dimension mémorielle, ce discours possède une importante portée politique au moment où la République de Weimar rencontre des difficultés à régler les dédommagements de guerre et où les retards des livraisons de charbon s’accentuent. Raymond Poincaré affirme ainsi que « l’Allemagne, responsable de la guerre, doit réparer le mal qu’elle a fait. De gré ou de force, elle le réparera »[3]. En faisant référence à l’article 231 du traité de Versailles qui attribue à l’Allemagne et ses alliés la culpabilité morale du conflit, le Président du Conseil ne laisse aucun doute à son audience quant à sa volonté d’obtenir de l’ancien ennemi ces réparations. Cependant les tensions ne font que s’intensifier, et dès janvier 1923, face à de nouveaux retards de livraisons de charbon et de bois, la France et la Belgique décident d’occuper la Rurh.
[3] Discours de Raymond Poincaré le 30 juillet 1922
Tous les ans, à partir de cette date, une cérémonie mémorielle et patriotique est organisée au mois de juillet sur le site de la Haute-Chevauchée. En 1933, il est ainsi inauguré une nouvelle inscription sur la face arrière du monument dédiée à la Première Brigade tchécoslovaque (« Československo 1 ČS Střelecká Brigáda ») qui a combattu en Argonne d’octobre à novembre 1918. Dès les premiers jours de la guerre, des volontaires tchécoslovaques s’engagent au sein de l’armée française, notamment dans le 2e Régiment de marche du 1er étranger. Surnommé « Compagnie de Nazdar », ils participent notamment aux affrontements en Champagne et en Artois. Cependant, en 1918, avec la reconnaissance officielle de la France du droit à l’indépendance des peuples tchèques et slovaques, une brigade tchécoslovaque est constituée au sein des forces militaires françaises. Elle est constituée des 21e, 22e et 23e Régiments tchécoslovaques, formés d’anciens soldats de la « Compagnie de Nazdar » mais également de prisonniers de guerre austro-hongrois originaires de Bohème et de Moravie provenant des camps de détention d’Italie, de Grèce et de Russie. D’autres sont des engagés volontaires issus de la diaspora tchécoslovaque notamment d’Amérique. Le 30 juin 1918, la Première Brigade prête serment devant le Président Raymond Poincaré, qui lui remet son drapeau et ses insignes. Avec ses neuf mille six cents hommes, elle rejoint l’Argonne dès octobre, au sein de la 53e Division d’Infanterie, et participe aux derniers combats de la guerre. Cette cérémonie du 30 juillet 1933 s’inscrit dans un contexte général de renforcement des relations entre la France et la Tchécoslovaquie. Elle est ainsi accompagnée de la restitution de la dépouille du premier soldat tchécoslovaque tué en France, le légionnaire Lumir Brezowsky. Mort en Champagne le 12 décembre 1914, il avait été inhumé à Louvois-sur-Marne.
Le Souvenir Français devient propriétaire du monument en 1935. Depuis cette date, l’Association veille sur le lieu mémoriel de la Haute-Chevauchée. En 2021, une nouvelle étape est franchie pour la préservation du monument avec la signature d’une convention de gestion et d’entretien entre Le Souvenir Français et le Comité Commémoratif de l’Argonne. Le 25 et 26 juin 2022 fut célébré le centenaire du monument. En présence d’autorités et dignitaires libanais, américains, allemands, italiens et français, un vibrant hommage a été rendu à toutes les victimes de la Première Guerre mondiale tombées en Argonne. Divers ex-voto ont été inaugurés, gravés des noms de soldats français, allemands, américains, italiens, tchèques et slovaques morts dans la région. Le 20 septembre 2023, le lieu de la Haute-Chevauchée est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco au titre de site mémoriel et funéraire de la Première Guerre mondiale sur proposition de l’actuel Président général du Souvenir Français.
Aujourd’hui encore, Le Souvenir Français s’adonne à la perpétuation et la transmission de la mémoire grâce à un important engagement auprès de l’Éducation nationale avec notamment l’organisation de visites pédagogiques.
Rédacteur : Sacha BENMAÏZA
Adresse : D38C, 55120 Lachalade
Délégation Générale de la Meuse
E-mail : 55@dgsf.fr
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