Le 17 juillet 1921, à la sortie du village de Prosnes, est inauguré le Monument aux Morts du 27ème Régiment d’Infanterie territoriale. Initiative de l’Amicale des Anciens du Régiment, il est composé d’un socle en pierre surmonté d’un obélisque. À l’origine, quatre obus, aujourd’hui disparus, étaient disposés à ses pieds. La stèle, d’une hauteur d’environ cinq mètres, est ornée de deux palmes (emblèmes de la Victoire) qui se croisent, et qui contiennent en leur centre un casque de poilu. Une Croix de Guerre est gravée en dessous de l’ensemble.
Ses différentes faces portent plusieurs inscriptions. Le côté gauche est gravé des champs de bataille de la Première Guerre mondiale d’ « Artois » et de « Champagne », tandis que « Verdun » et la « Somme » figurent sur sa face droite. La façade de l’ouvrage, quant à elle, mentionne les dates du conflit, « 1914 – 1918 », le lieu, « Prosnes », auxquels s’ajoutent le jour du « 31 janvier 1917, ainsi que l’inscription « AUX MORTS DU 27ème REGt D’INFie TERRITORIALE ».
Le monument, érigé sur une parcelle offerte par la famille prosnoise ROLLET-TRIBOUT après la guerre, se situe en bordure de la route reliant Prosnes à la D 931, également appelée, Voie de La Liberté, ancienne voie romaine devenue ligne de front pendant le conflit. Cet édifice rend alors hommage aux hommes du 27ème R.I.T., qui ont passé un an à défendre les ruines du village champenois, mais également aux soldats territoriaux tombés lors de l’attaque allemande du 31 janvier 1917, journée particulièrement meurtrière pour le régiment et gravée, au sortir du conflit dans les mémoires des vétérans de l’unité.
Les régiments d’infanterie territoriale sont constitués de soldats ayant effectué leur service actif et terminé leurs onze années au sein de la réserve de l’armée. Ces hommes, généralement âgés de 35 à 45 ans, sont considérés comme trop vieux et pas assez entrainés pour faire partie de l’armée active. Ces « territoriaux », parfois affectueusement surnommés « pépères », étaient destinés à des tâches secondaires de travaux, de ravitaillement, de corvées ou de surveillance. Mais, face à l’ampleur des pertes humaines et l’enlisement du conflit, ils vont de plus en plus être appelés à exercer le rôle de l’armée active, notamment en première ligne.
Le 27ème Régiment d’Infanterie territoriale est mobilisé dès le 4 août 1914. Stationné à Mamers dans la Sarthe, il débarque à Paris le 13 août et rejoint la 84ème Division d’Infanterie territoriale, aux côtés des 25ème, 26ème et 28ème R.I.T. Le régiment et sa division prennent le train pour Douai avant de se déployer dans la région de Valenciennes. Les premiers affrontements avec l’armée allemande sont terribles, la division doit reculer jusqu’à Arras dès le 27 août, avant d’entamer la « Grande Retraite » pour Rouen. Après le succès français dans la Marne, la 84ème territoriale est dirigée vers Amiens, puis sur les positions entre Bapaume et Arras. Elle participe alors à la « course à la mer », des tentatives échouées de manœuvres de débordements des lignes ennemies qui finissent par établir le front occidental des Vosges jusqu’à la Mer du Nord. Le régiment sarthois combat alors dans la région de Villers-au-Flos, puis de Monchy-au-Bois et Hébuterne. Sa division rejoint fin octobre 1914, la Xème Armée et le 33ème Corps du Général Pétain. Le 27ème territorial est mis à la disposition de la 45ème Division d’Infanterie. Aux côtés des Zouaves et Tirailleurs algériens, il occupe la ligne de front entre Écurie et Roclincourt. Le régiment participe alors à de nombreux travaux d’aménagement de tranchées et de mines, mais aussi de renforcement des positions défensives.
En juillet 1915, il rejoint le 17ème Corps d’Armée et est de retour à Arras, qu’il ne quittera qu’en février 1916. La ville est alors assiégée et lourdement bombardée par l’artillerie allemande. Les territoriaux fortifient les positions défensives françaises dans les rues de la cité artésiennes, ainsi que dans la Vallée de la Scarpe. Il participe, en septembre 1915, à l’offensive alliée en Artois. Le 27ème R.I.T. n’est pas directement engagé dans les combats, mais il assure le ravitaillement en vivres et en munitions des premières lignes.
Relevé par l’armée anglaise, il fait un court séjour en Lorraine en mars 1916, employé par la Direction des Étapes et Services, notamment dans le secteur de Benney où il effectue des travaux forestiers.
Dès avril, il rejoint, au sein de la IVème Armée, le front en Champagne et occupe à partir du 12 août, sous le commandement de la 34ème Division d’Infanterie, le secteur de Prosnes. Après la victoire française dans la Marne, les Allemands se sont retranchés dans les Monts de Champagne, tandis que les Français occupent, depuis, les ruines du village de Prosnes. Ce front, au milieu de l’année 1916, demeure pratiquement inchangé depuis septembre 1914. Sous le feu constant de l’artillerie ennemie, le 27ème Régiment d’Infanterie territoriale s’efforce de maintenir ses tranchées et ouvrages défensifs.
Le 31 janvier 1917, il est en première ligne, avec le 83ème Régiment d’Infanterie sur sa droite et le 88ème sur sa gauche, lorsqu’une vaste offensive allemande est déclenchée. Sur un front de 18 kilomètres, une importante attaque au gaz précède l’assaut de l’infanterie ennemie. Dès la mi-janvier, des signes annonciateurs d’une opération inhabituelle apparaissent. Des bruits métalliques, ainsi que des mouvements de véhicules et de trains se font entendre depuis les lignes allemandes. L’aviation ennemie redouble également d’activité : le 29 janvier, trois appareils survolent le secteur de la 34ème Division. Le Journal de Marche et Opération du 83ème note que « quelque chose d’anormal se passe de l’autre côté des lignes »[1].
Le dernier jour de janvier commence pourtant dans un calme relatif, avant qu’un important barrage de tirs d’artillerie et de mitrailleuses ne soit soudainement déclenché. Profitant d’un vent favorable, l’Armée allemande lance une attaque au gaz de grande ampleur qu’elle tente de couvrir par les détonations incessantes de ses munitions.
À 16h, l’alerte est donnée. Klaxons, sirènes et cloches résonnent, aux cris de « Alerte ! Voilà les gaz ! »[2], de Prunay à Aubérive. Une épaisse « bande blanc d’ivoire de 4 à 5 mètres de hauteur, barrant l’horizon et laissant apercevoir au-dessus d’elle les hauteurs de Nauroy et Moronvilliers »[3] déferle sur les lignes françaises. Le nuage toxique s’étend rapidement, atteignant même Mourmelon et Sept-Saulx.
[1] J.M.O. du 83ème Régiment d’Infanterie du 1er janvier 1917 au 25 avril 1918
[2] J.M.O. de la 67ème Brigade d’Infanterie du 1er janvier 1917 au 1er avril 1917
[3] J.M.O. du 83ème Régiment d’Infanterie du 1er janvier 1917 au 25 avril 1918
Cette première vague nocive est décrite par Pierre DUMAS, futur député et résistant, infirmier au 83ème Régiment d’Infanterie en 1917 alors qu’il n’a que 26 ans :
« Vous vous souvenez de janvier 1917 ?
Nous étions dans le secteur de Prosnes, Mourmelon, Bois Noir… lorsque, sur la neige immaculée, les volutes noires des gaz vinrent, en roulant, nous apporter la mort. Dans le Secteur, les sirènes, les klaxons, les clairons, les fusées, annoncèrent la venue de la Camarde. Avec la vague, la mort nous enveloppa ; elle pénétra nos abris ; elle imprégna nos vêtements et nos couvertures ; elle massacra autour de nous tout ce qui vivait, tout ce qui vivait, tout ce qui respirait. Les petits oiseaux tombèrent des branches, les lièvres affolés s’étendirent, foudroyés. Puis nous vîmes se diriger vers les postes de secours, nos camarades de combat.
Nous avions jusque-là tout vu : les bombardements de nuit, les mines et les grands entonnoirs de Perthes, les lacrymogènes, les noirs déchirements des minens[4] tombant par quatre, les blessures les plus hideuses… mais tout cela fut dépassé par ce brouillard porteur de mort qui, pendant des heures longues comme des siècles, voilà à nos yeux la lumière du jour, l’immaculée pureté de la neige. »[5]
À 17h, le 27ème territoriale subit une seconde vague d’attaque. Il est l’unité la plus durement touchée, ses premier et troisième bataillons, positionnés en premières lignes, essuient de lourdes pertes. Son deuxième bataillon, initialement en repos à Sept-Saulx, est rapidement mobilisé pour renforcer le front alors que se prépare une offensive de l’infanterie allemande. Malgré les assauts, le régiment sarthois maintient son secteur délimité par le réduit d’Auvergne à l’Ouest et la ferme Constantine à l’Est. L’ennemi profite de la confusion qui règne parmi les troupes ainsi que de l’intense bombardement qui s’abat sur le front du 17ème Corps d’Armée pour partir à l’assaut des positions françaises.
Déjà très éprouvés, les territoriaux, équipés de masques M2, défendent vaillamment le secteur de Prosnes. Vêtus de capotes blanches, les soldats allemands tentent de cisailler les barbelés surplombant les premières lignes champenoises mais sont dispersés par les compagnies de mitrailleuses. Aux quelques endroits où l’ennemi parvient à atteindre les lignes françaises, de violents corps à corps s’engagent. La deuxième ligne n’est toutefois atteinte uniquement dans le secteur tenu par le 88ème Régiment d’Infanterie où une vive contre-attaque permet de repousser l’envahisseur.
Affaibli, le 27ème reçoit le renfort de cent-trente cavaliers du 9ème Régiment de Chasseurs à cheval, commandés par le Capitaine DE BOISSIEUX, afin de l’aider à consolider sa position sous une température avoisinant les -25°C.
[4] Minenwerfer : pièce d’artillerie de tranchée allemande
[5] Le Périscope, 1er mars 1936, p°1
Les pertes sont extrêmement lourdes pour le régiment territorial. Rien que pour la seule journée du 31 janvier, on déplore 109 morts et 517 blessés ou intoxiqués. Ce bilan s’alourdit dans les jours suivants, atteignant environ 200 morts et 400 blessés.
Le Général LESTOQUOI commandant la 67ème Brigade d’Infanterie à laquelle est rattaché le 27ème explique ce nombre très élevé par plusieurs facteurs[6]. Tout d’abord, un vent faible Nord-Ouest qui a permis au gaz d’encercler le secteur de Prosnes tout en stagnant dans les tranchées et boyaux. Ensuite, des températures très basses qui ont provoqué de nombreux cas de bronchites et d’emphysèmes, notamment parmi les territoriaux. Ces conditions ne permettaient pas le port prolongé des masques. De plus, l’utilisation d’un gaz inodore a agi insidieusement sur les organismes des soldats. De nombreux officiers, pensant avoir affaire à un nuage fumigène, ont retiré leurs masques afin d’observer la ligne de front. Cela explique le grand nombre de pertes parmi les sous-officiers et, par conséquent, la réduction de la capacité d’encadrement des troupes dans un secteur étendu comme celui de Prosnes.
Enfin, la topographie du terrain a aggravé les effets de l’attaque. Le gaz s’est accumulé dans les crevasses, les renfoncements et les abris, persistant bien longtemps après le passage de la vague. Des cas d’intoxications ont été signalés plusieurs jours après.
[6] J.M.O. de la 67ème Brigade d’Infanterie du 1er janvier 1917 au 1er avril 1917
Décimé et épuisé, le 27ème R.I.T. est relevé par le 63ème Régiment d’Infanterie et se retire à l’arrière, dans les camps de la Sablière et Cochon, près de Louvercy. Pour son courage et son héroïsme, le régiment se voit décerner cinq citations à l’Ordre de l’Armée et neuf à l’Ordre du Corps.
Renforcé par un bataillon provenant du 276ème Régiment d’Infanterie territorial, il est de retour sur le front prosnois le 28 février. Il retrouve alors les bombardements incessants de l’artillerie allemande et les travaux défensifs. À la fin du mois de mars 1917, alors que se prépare l’offensive du Général NIVELLE, il est relevé et ses bataillons sont dispersés entre la 45ème et la 33ème Division d’Infanterie.
Pendant l’attaque sur les Monts de Champagne en avril 1917, menée en parallèle du Chemin des Dames, le 27ème R.I.T. assure un rôle de ravitaillement des troupes s’étant portées à l’assaut des positions allemandes. Sous un déluge de balles et d’obus, les territoriaux approvisionnent et renforcent les tranchées récemment conquises par l’Armée française sur le Massif de Moronvilliers et ses monts Cornillet, Téton, Sans Nom, Haut et Casque.
Le régiment quitte la Champagne à la fin du mois de juin 1917, lorsque le 17ème Corps est rattaché à la IIème Armée sur le front meusien. Il occupe dans un premier temps le flanc droit de « l’Armée de Verdun », dans le secteur d’Apremont, au cœur des plaines argileuses et boisées de la Woëvre. En novembre, il quitte ces petits postes isolés sur le saillant de Saint-Mihiel pour Verdun.
Positionné devant le fort de Douaumont, les compagnies du 27ème territorial occupent les positions du Ravin du Helly, des Chambrettes, de l’Hermitage et du Bois des Caurrières. Toujours assigné à un rôle d’appui aux premières lignes et à l’aménagement des défenses, les hommes subissent de nouveau la violence du déferlement des obus allemands sur les positions françaises. Les territoriaux du 27ème resteront dans la région verdunoise jusqu’à la dissolution de leur unité le 15 août 1918.
Le 27ème Régiment d’Infanterie territoriale a combattu sur de nombreux fronts au cours de ces quatre années de conflit. Il a payé un lourd tribut et versé beaucoup de sang, notamment devant Prosnes. Ce monument honore la mémoire de ce régiment et de ces hommes qui ont tant sacrifié sur le territoire de ce village champenois, mais également dans la Somme, l’Artois et à Verdun. Le Souvenir Français, aujourd’hui propriétaire du monument, veille à son entretien et à la transmission de sa mémoire. La rénovation du monument est prévue par l’Association dans les prochaines années.
Rédacteur : Sacha BENMAÏZA
Adresse : D237, 51447 Prosnes
Délégation Générale du Souvenir Français dans la Marne
E-mail : 51@dgsf.fr
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