Trois questions à Aïssata Seck

2 avril 2024

Aïssata SECK, née le 20 février 1980 à Meulan (78), est une femme engagée en politique et dans le milieu associatif.
Maire adjointe à Bondy en charge des politiques mémorielles et de la lutte contre le racisme et les discriminations de 2016 à 2020, elle œuvre depuis plus de 10 ans pour la reconnaissance des droits des anciens tirailleurs africains. En juin 2021, elle est élue conseillère régionale d’Île de France. En décembre 2023, elle est nommée directrice générale de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Titulaire d’un master II en communication politique et publique en France et en Europe, elle est engagée dans le milieu associatif depuis de nombreuses années. Elle fonde l’association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais qu’elle préside dont l’objectif est de partager, échanger, transmettre le patrimoine des soldats venus d’Afrique, du Pacifique et des Antilles et qui permet de rassembler autour d’une histoire commune. Fédérer autour de cette mémoire contribue de manière essentielle au maintien du lien social entre les personnes issues de cette histoire et la société française dans son ensemble. Elle permet également d’intégrer pleinement l’histoire des tirailleurs africains dans le récit national français. Engagée dans la transmission de l’apport des troupes coloniales dans les différents conflits mondiaux, Elle fait le tour des écoles et des structures d’éducation populaire avec d’anciens tirailleurs africain afin de partager cette histoire. Attachée aux valeurs républicaines, elle organise des cérémonies de ravivage de la flamme sous l’arc de Triomphe en présence de nombreux élus et jeunes citoyens.

  1. Vous vous êtes engagée afin de mettre en lumière le rôle des Tirailleurs sénégalais dans les deux guerres mondiales. Comment expliquez-vous cet engagement ?

Mon engagement vient tout d’abord de mon histoire personnelle. Je suis française d’origine sénégalaise et petite fille de tirailleurs sénégalais. Mon grand-père a notamment combattu pendant la guerre d’Indochine. Plus jeune, je ne connaissais pas cette partie de mon histoire. C’est en grandissant et au détour d’une conversation avec ma mère que j’ai su que mon grand-père avait combattu aux côtés de la France. J’avais donc ce besoin d’en savoir plus sur cette partie de l’histoire de France et c’est donc tout naturellement que j’ai commencé à effectuer des recherches historiques. Je n’avais pas le souvenir d’avoir abordé cette partie de l’histoire en cours d’histoire au collège si ce n’est un aparté sur l’apport des troupes coloniales pendant les différents conflits mondiaux. Cette histoire fait partie intégrante de l’histoire de France et il me paraissait important voire essentiel de la faire rayonner auprès de l’ensemble des Français mais également pour que toutes les personnes qui ont cette histoire en partage ne se sentent pas oubliés. Ce travail de mémoire accompagné également par des associations de la mémoire combattante permet également d’expliquer la richesse de la diversité française. Nous avons certes parfois des moments durs et tragiques liés à cette histoire, mais nous avons également la possibilité de mettre en avant les figures héroïques qui en font partie.
Puis est venu en 2009 ma rencontre avec d’anciens tirailleurs sénégalais sur le marché de Bondy. Je savais qu’ils étaient anciens tirailleurs sénégalais car je les voyais arborer fièrement leurs médailles. Et j’avais le sentiment quelque part de voir mon grand-père que je n’ai malheureusement pas connu. J’ai commencé à leur rendre visite régulièrement dans le foyer où ils vivaient et ils avaient cette soif de transmettre leurs histoires. J’avais le sentiment que toutes ces histoires méritaient d’être partagées à un plus large public. Au fil du temps, ils ont commencé à me faire part de leurs difficultés administratives notamment pour récupérer leur nationalité française. Jusqu’en 2017, les anciens tirailleurs sénégalais qui vivaient France n’avaient plus la nationalité française à la suite des indépendances des différents pays d’origine. Et lorsque qu’ils en faisaient la demande auprès de l’administration française, on leur refusait systématiquement car on leur demandait des documents impossibles à avoir du type acte de naissance des parents ou des grands-parents alors que l’on savait que ces documents n’existaient pas à l’époque dans certains pays d’origine. Pire encore, ils recevaient des courriers qui stipulaient qu’ils ne remplissaient pas les conditions pour devenir français. Avoir lu cette phrase a été en réalité un électrochoc pour moi. Je me suis dit comment une administration française peut envoyer ce type de courrier à des personnes qui ont combattu pour la France parfois au prix de lourds sacrifices. Comment ne pas honorer à juste titre ces hommes qui ont défendu la patrie et qui en sont fiers ? Cette phrase a été je l’avoue un réel déclic pour moi et j’ai donc décidé d’en faire ma principale mission, celle de réhabiliter les droits de ces anciens combattants qui pour la plupart vivaient dans des conditions extrêmement difficiles.
Nous avons donc commencé ensemble ce fameux « parcours du combattant »

  1. Quelles furent les principales actions de l’association que vous avez créée à cet effet ?

Sur le travail mémoriel, une des premières actions a été de les mettre à l’honneur sur la ville de Bondy ainsi que dans d’autres collectivités à travers les cérémonies commémoratives de la mémoire combattantes. L’idée était d’inscrire la présence de ces anciens tirailleurs dans le paysage des commémorations locales et nationales. Cela se traduisait par des dépôts de gerbes ou encore des lectures de texte[1]. Nous avons également organisé plusieurs ravivages de la flamme sous l’Arc de triomphe afin de rendre hommage aux soldats venus d’Afrique, du Pacifique et des Antilles. Des cérémonies qui ont à chaque fois rassemblé plus de 200 personnes avec la présence d’autorités nationales ou internationales. Ces moments de rassemblements ont vraiment permis une mise à l’honneur des ces anciens combattants dans un lieu chargé d’histoire avec la tombe du soldat inconnu.

Au-delà des cérémonies commémoratives, il était important pour nous de transmettre cette histoire aux plus jeunes. Nous avons donc travaillé avec plusieurs professeurs d’histoire en collège et lycée afin d’organiser des rencontres entre élèves et anciens tirailleurs sénégalais dans les établissements scolaire sur tout le territoire français. Ces belles rencontres ont permis aux élèves de mieux appréhender cette partie de l’histoire de France et d’initier par la suite des projets pédagogiques.

Nous avons également travaillé avec plusieurs structures d’éducation populaire afin de créer des contenus pédagogiques dont une exposition photo, portraits de 10 anciens tirailleurs sénégalais de la ville de Bondy. A travers plusieurs ateliers d’échanges entre anciens tirailleurs et jeunes de la ville, ces derniers ont rédigé eux même les cartels de l’exposition.
Par ailleurs, nous avons aussi organisé des conférences et participé à plusieurs tables rondes en rapport avec l’apport des troupes coloniales dans les différents conflits mondiaux.

Sur le plan de la réhabilitation des droits des tirailleurs sénégalais, nous avons lancé en 2016 une pétition sur la naturalisation des tirailleurs sénégalais. Cette pétition qui a réuni plus de 63000 signataires a permis la naturalisation française de plusieurs d’entre eux par le président de la République François Hollande lors d’une cérémonie officielle qui a eu lieu le 15 avril 2017 à l’Elysée.

En 2019, alors que la mise à l’honneur des tirailleurs n’était pas prévue et la commémoration du 75e anniversaire du Débarquement de Provence trop réduite à ses yeux, notre association a interpellé au début de l’été le président de la République Emmanuel Macron.

À la suite de cet échange, une commémoration de plus grande ampleur est organisée le 15 août 2019 à Saint-Raphaël (Var) en présence de plusieurs chefs d’État africains. Le président de la République y lance un appel aux maires de France leur demandant de nommer ou renommer des rues, des places, des écoles, en hommage aux héros oubliés des troupes coloniales, qu’elle s’emploie à populariser (https://www.leparisien.fr/politique/appel-de-macron-pour-les-combattants-africains-graver-cette-reconnaissance-dans-le-marbre-15-08-2019-8134092.php).

Pour donner suite à cet appel, notre association accompagnera plusieurs collectivités dans ce sens et participera à plusieurs inaugurations de places dont celle de la place des tirailleurs sénégalais à Paris qui a eu lieu le 10 mars 2023.

En septembre 2022, après plusieurs années d’échanges et de discussions avec les équipes du président de la République Emmanuel Macron, notre association obtient enfin gain de cause pour que les anciens tirailleurs africains qui le souhaitent puissent retourner dans leur pays d’origine tout en continuant à percevoir leur allocation minimum vieillesse ce qui n’était pas le cas jusque-là. En effet, jusqu’à cette mesure dérogatoire, les anciens tirailleurs étaient dans l’obligation de rester 6 mois sur le territoire français pour continuer à percevoir cette allocation. Notre association travaillera à ce sujet en étroite collaboration avec la ministre des anciens combattants Patricia Miralles.

L’association sera par la suite reçue à l’Elysée avec 9 anciens tirailleurs sénégalais par le président de la République Emmanuel Macron avant leur départ définitif au Sénégal.

Le 28 avril 2023, notre association accompagnera 9 anciens tirailleurs dans leur retour au Sénégal. Un accueil national a été organisé par le président de la République Macky Sall. Lors de cette cérémonie, j’ai été décoré avec les anciens tirailleurs sénégalais du grade de Commandeur dans l’ordre national du Lion (Plus haute distinction au Sénégal) par le président de la République Macky Sall.

Notre association continue d’accompagner les anciens tirailleurs dans leurs démarches administratives et assure également un suivi avec les ambassades de France dans les pays d’origine afin de s’assurer de leurs bonnes conditions de vie.

  1. L’année 2024 marque le 80ème anniversaire de la Libération de la France à laquelle ont participé de nombreux combattants dits coloniaux. Que proposez-vous afin de leur rendre hommage ?

Dans le cadre des commémorations de la Libération de la France, l’association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais souhaite contribuer à la réussite des commémorations en faisant participer une partie de la jeunesse française et une partie de la jeunesse sénégalaise. C’est dans ce cadre que nous avons rencontré lors d’un précédent déplacement au Sénégal les enseignants et les élèves du collège de Thiaroye dans la banlieue de Dakar afin de leur proposer un projet qui consiste à construire d’une part des échanges entre des collégiens de Thiaroye et des collégiens du collège Utrillo de Montreuil et d’autre part d’organiser dans le cadre des commémorations de la Libération de la France un déplacement dans les 2 pays respectifs. Nous souhaitons faire participer les élèves sénégalais à la cérémonie du 80e anniversaire du débarquement de Provence et faire participer les élèves français à la cérémonie du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.
Par ailleurs nous participons à plusieurs conférences et tables rondes organisés dans le cadre de ce 80e anniversaire de la Libération.
Nous prendrons part bien évidemment aux commémorations nationales.
Et enfin, un ancien tirailleur sénégalais portera la flamme olympique lors de l’ouverture des JO 2024. Il s’agit là pour nous d’une magnifique reconnaissance et un autre moyen de participer à ce travail de mémoire.


[1] Cela se traduit également par la participation à différents évènements notamment lors de l’inauguration de l’exposition « Le Flambeau du Souvenir », réalisée par Sébastien Philippe, Délégué général du Souvenir Français pour le Mali, le 13 février 2020, au siège du Souvenir Français. Madame Aïssata Seck, déléguée en charge des anciens combattants de la ville de Bondy, accompagnée d’une délégation de tirailleurs sénégalais de Bondy étaient venus assister au vernissage de l’exposition. A cette occasion, la délégation avait été décorée de la médaille de bronze du Souvenir Français par Monsieur Barcellini, Président général du Souvenir Français.

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