L’invasion allemande et surtout l’occupation ont laissé dans les « pays envahis » de nombreuses traces, en particulier, des monuments. Celui du cimetière Saint-Charles de Sedan est un exemple emblématique de l’appropriation de l’espace par les autorités allemandes.
Les troupes allemandes atteignent les Ardennes le 24 août 1914 et début septembre, le département est totalement occupé. Les nombreuses victimes françaises et allemandes de ces premières semaines de combats sont rapidement rassemblées dans les cimetières communaux ardennais dont ceux de Sedan.
Avec la stabilisation du front, l’année 1915 voit la construction de plusieurs monuments dans les Ardennes pour célébrer la force des armées d’invasion, mais aussi le sacrifice des soldats, parfois même des 2 camps. A Noyers-Pont-Maugis, à quelques kilomètres de Sedan deux monuments furent construits sur les lieux des combats. Ces monuments ont depuis disparu.
La construction du monument
Au cimetière Saint-Charles de Sedan, les Allemands décident d’agrandir l’emprise qu’ils ont déjà avec la grande tombe collective créée en août/septembre 1914 et veulent y construire le monument que nous évoquons ici. Un grand mur d’enceinte encerclait tout le carré où étaient inhumés près de 500 soldats allemands.
Une grande inscription, aujourd’hui en partie disparue, orne le frontispice. Il s’agit d’un texte poétique de Joseph von Lauff, ici traduit : « Combattant pour l’Empereur et l’Empire, Dieu nous a pris le soleil terrestre. Maintenant, libérés de toutes choses terrestres, sa lumière éternelle nous illumine. Sacrée soit cette place, que vous avez consacrée par des victimes sanglantes. Trois fois sacrée pour nous par le sacrifice du remerciement ».
La construction du monument dure de juin à octobre 1915. Il est l’œuvre de l’architecte Ludwig Lony et fait l’objet à l’époque d’une communication importante. Une double page lui est consacrée dans la revue allemande Beilage zum Champagne Kamerad du 5 novembre 1916 et de nombreuses cartes postales sont éditées.
Le docteur Gustave Kertz, aumônier militaire allemand et docteur en philosophie a laissé dans ses mémoires, rédigées en français dès 1916, ces commentaires : « Je l’enterrais auprès de ses camarades dans le cimetière des héros de Sedan » et plus loin, « L’art allemand, le génie industriel allemand ont réussi, en dépit des plus grandes difficultés, à élever à la mémoire des camarades un monument digne d’eux et parfaitement adapté à son but. Ils ont su faire du cimetière d’honneur allemand un lieu de repos solennel tout à fait séparé de ce qui l’entoure. […] ».
Cet exemple nous permet d’envisager que ce monument est véritablement perçu dès l’époque comme un monument aux Morts de la guerre, et non comme un monument en l’honneur de la grandeur de l’Allemagne ou de son Kaiser.
Cependant, il reste un moyen pour les Allemands de marquer le territoire conquis ainsi que leur supériorité technique au regard du « désordre » qui règne selon eux dans le reste du cimetière.
Le début de l’isolement
Après-guerre, le cimetière Saint-Charles subit de nombreuses modifications eu égard aux transferts des sépultures de toutes nationalités (on compte encore en décembre 1920 plus de 2 500 sépultures liées à la guerre qu’il s’agisse de Russes, Roumains, Britanniques, Italiens, de déportés civils et bien entendus d’Allemands, et au rapatriement de corps de Morts pour la France à Sedan).
Les sépultures allemandes sont transférées la nécropole de Noyers-Pont-Maugis dans la décennie 1920.
Le monument ne fait plus parler de lui jusqu’en 1937 lorsqu’une délibération municipale acte la destruction du mur d’enceinte de l’ancienne nécropole allemande, alors vide de tombes, pour obtenir plus de place pour les sépultures des Sedanais, les élus indiquent : « […] C’est alors qu’est venue l’idée d’utiliser, dans ce but, l’emplacement de l’ancien cimetière allemand où il n’existe plus aucune tombe. Il subsiste seulement le monument que tout le monde connaît, qui doit être conservé ».
La question reste ouverte quant à l’interprétation de cette dernière phrase…
Les lieux sont réutilisés pendant la Seconde Guerre mondiale par les Allemands pour à nouveau inhumer certains de leurs morts de mai 1940.
Plus aucune délibération n’est établie jusque dans les années 1980. Au milieu des années 1970, des contacts ont été pris en Allemagne par la municipalité de Sedan pour trouver une solution au délabrement du monument. Ces démarches auprès du VDK et de l’Ambassade resteront sans réponse positive. Plusieurs décennies s’écoulent sans qu’aucune solution ne soit trouvée.
Aujourd’hui, la restauration se profile, une souscription est lancée
En juin 2012, une table-ronde autour d’Antoine Prost, Arndt Weinrich et Nicolas Offenstadt, permet de faire un point sur ce monument et ses particularités. Depuis lors de nombreux chercheurs et particuliers, mais aussi des associations, en particulier allemandes, ont soutenu le projet de conservation et de restauration du monument.
Le monument est aussi retenu à cette époque pour intégrer la liste des lieux proposés à l’UNESCO dans le cadre des Sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale.
Un grand pas a été franchi en janvier 2016 avec le déplacement officiel de M. Todeschini, Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et à la Mémoire, accompagné de M. Klassen, attaché culturel à l’ambassade d’Allemagne en France. Tous deux ont apporté le soutien officiel des Etats français et allemand à la restauration du monument avec une participation financière non négligeable.
Le 17 septembre 2016, Serge Barcellini, président général du Souvenir Français et secrétaire-général de l’association qui porte la candidature UNESCO est venu à Sedan, où il apporté son soutien au lancement de la souscription internationale en co-signant une déclaration d’intention en compagnie du Maire de Sedan, du Délégué départemental de la Fondation du Patrimoine et du Président de la Société d’histoire et d’archéologie du Sedanais.
Cette restauration doit aussi permettre d’intégrer durablement ce monument dans les circuits de visite liés à la mémoire des 3 grands conflits qui ont marqué le territoire sedanais ces 150 dernières années.
Texte rédigé par Sébastien HAGUETTE
Pour en savoir plus : www.histoire-sedan.com
Contact : Sébastien HAGUETTE, Président de la Société d’histoire et d’archéologie du Sedanais, ste.histoire@orange.fr
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