Trois questions à Stéphane Orlando et Aurélie Gsell

3 juin 2024

Stéphane Orlando

Né le 20 mars 1967 à Avignon, Stéphane Orlando est le fondateur et président de l’Association MÉMOIRE DE POILUS depuis le 5 décembre 2002. Passionné d’histoire 14-18 depuis son enfance, il restaure et revalorise le matériel et les véhicules de la Grande Guerre dans le cadre de son association. Le plus gros projet fut la restauration d’un char Saint Chamond, labélisé centenaire.

1 – Pouvez-vous nous présenter votre association ?

Notre association MÉMOIRE DE POILUS est créée le 5 décembre 2002 du succès que connaît notre exposition temporaire sur la Grande Guerre, en novembre 2002, réalisée à Caumont-sur-Durance (Vaucluse), et en l’honneur de Monsieur Marius ESTRATAT, dernier Poilu 14-18 de la région PACA encore en vie et de surcroît Caumontois.

Depuis sa création, l’association s’attache à transmettre particulièrement l’histoire de la Grande Guerre auprès de tous, s’inscrivant ainsi dans la mission du devoir de mémoire auprès du plus large public, la pédagogie et la transmission étant au cœur de ses nombreuses activités.

Cependant, les anciens de conflits plus récents tels que la Seconde Guerre mondiale ou la Guerre d’Algérie, ne sont plus ou sont très peu nombreux pour pouvoir encore témoigner. C’est pourquoi beaucoup de nos membres sont de véritables passeurs de mémoire car nous ne limitons pas la mémoire à une guerre.

Une de nos principales activités est la restauration et la remise en marche de véhicules anciens (Renault EP 1916, Berliet CBA, Liberty, ambulance Berliet de campagne, etc…) de la Première Guerre mondiale, au sein des Ateliers de la Madelon.

Ceux-ci nous permettent de présenter en reconstitution des aspects moins classiques comme, par exemple, les combattants en uniforme ou l’armement uniquement.

En 2012, dix ans après la création de l’association, un nouveau gros projet voit le jour : La Tranchée des Crapouillots, une tranchée de première ligne reconstituée avec abris, no man’s land et matériels, accessible aux personnes à mobilité réduite. Sa vocation est avant tout pédagogique pour les groupes la visitant. Elle s’inscrit aussi dans une volontaire égalitaire : permettre aux jeunes, ne pouvant se rendre sur les anciens champs de bataille dans la moitié nord de la France, de ne pas être pénalisés par leur éloignement géographique et le coût de transport.

Ces outils de transmission permettent ainsi de garder vivante la mémoire des soldats, Vauclusiens en particulier, quels qu’ils soient et qui subissent autant que d’autres la violence de la guerre.

2 – Quelle est la place aujourd’hui du monde de la reconstitution dans les initiatives mémorielles ?

Notre association étant née de la volonté de transmettre, le devoir de mémoire est au centre de toutes nos actions : participation aux cérémonies patriotiques, entretien des tombes militaires de la commune, expositions, conférences, interventions culturelles auprès des scolaires et du public en général, recherches historiques et généalogiques, publications.

Mémoire de Poilus n’était pas à la logique une association de reconstitution historique. La reconstitution historique est venue à nous plus que nous sommes allés à elle. C’est une manière supplémentaire de transmettre la mémoire, une manière vivante de transmettre à tous ceux qui souhaitent découvrir, questionner, partager.

Nous ne prenons pas la place de ceux qui ont vécu cette guerre, nous en sommes les relais, les voix, surtout depuis notre rencontre, très émouvante, avec Marius Estratat.

Les témoins ne sont plus aujourd’hui, et nous sommes aujourd’hui peu dans notre association à avoir eu la chance de connaître des anciens combattants.

C’est pourquoi nous nous attachons à répondre présents pour les commémorations de notre commune évidemment, dans d’autres lieux lorsque nous sommes sollicités, sans distinction de conflit, ni de différenciation entre les combattants et les civils.

Aussi, la reconstitution historique est une manière de faire vivre la mémoire, partout où nous nous rendons.

Voici quelques exemples : 

En 2008, nous avons participé à un évènement en Pays de Meaux (77), sur les anciens champs de bataille de la Première bataille de la Marne. Il était évident pour nous de représenter les soldats du 276ème RI qui ont pris part à cette bataille.

La période du centenaire du conflit 14-18 a été chargée en évènements et nous avons été à la rencontre dans des lieux tels que le Jardin des Tuileries, Berry-au-Bac, Saumur, Le Service Historique de la Défense à Vincennes et bien d’autres !

En 2016, nous nous sommes lancés dans une aventure particulièrement marquante et émouvante : remonter depuis le Vaucluse pour parcourir la Voie Sacrée avec nos véhicules d’époque (ambulance Berlier 1913, automitrailleuse). L’accueil a été chaleureux.

Enfin, depuis le 11 novembre 2011, nous sommes un partenaire fidèle du musée de la Grande Guerre. Nous étions présents à son ouverture et revenons tous les ans depuis pour diverses interventions, en particulier le week-end de reconstitution historique que nous avons créé avec une poignée de passionnés à l’époque.

Cette année, nous accompagnons une classe d’élèves de primaire dans le cadre du concours de l’ONACVG, les Petits Artistes de la Mémoire.

Un projet qui nous tient à cœur car il est important de transmettre aux plus jeunes, ils sont les relais de demain d’une histoire qui s’éloigne inéluctablement.

Nous luttons à notre manière contre l’oubli des protagonistes de la Grande Guerre.

3 – Comment voyez-vous l’évolution de la vie commémorative dans les prochaines années ?

Depuis plus de vingt ans nous participons à la vie commémorative : entretien du carré militaire et cérémonies dans notre commune Caumont-sur-Durance et ailleurs en France, reconstitution historique, actions culturelles, restauration de patrimoine.

Depuis 2014, notre association est affiliée au Souvenir Français. C’est pour nous une reconnaissance, un véritable gage de confiance de notre implication quotidienne dans le devoir de mémoire.

La sensibilisation du public à la question mémorielle évolue avec le temps et la société, il n’est donc pas facile de se projeter dans l’avenir.

Cependant, tant que des personnes s’intéresseront, tant qu’il nous sera permis de transmettre aux plus jeunes, tant que nous pourrons poursuivre nos activités culturelles, les valeurs républicaines et patriotiques se maintiendront, le devoir de mémoire y étant central.

La mémoire est l’affaire de tous, l’éducation à la mémoire concerne tout un chacun. Nous avons choisi de nous mettre à contribution au quotidien pour le devoir de mémoire et espérons que la société actuelle et future gardera une place pour la vie commémorative.


Aurélie Gsell

Originaire d’Alsace et âgée de 34 ans, Aurélie Gsell est passionnée d’histoire. Diplômée de l’EM Lyon Business School , elle est responsable marketing éditorial dans un grand groupe de presse local. En 2021, elle crée « Rembobinette », le podcast qui donne la parole à nos aînés. Depuis, elle consacre tout son temps libre et son énergie à faire vivre ce projet afin de transmettre les souvenirs des derniers témoins de la Seconde Guerre mondiale aux générations futures.

1 – Comment vous est venue l’idée de créer le podcast « Rembobinette » ?

J’ai toujours adoré l’histoire, elle m’a toujours semblé plus proche quand des personnes âgées me racontaient leurs souvenirs. À un dîner de Noël, une vieille dame, que nous avions accueillie pour qu’elle ne soit pas seule, m’a raconté sa fuite de Strasbourg en train, au moment de l’invasion allemande, alors qu’elle n’était qu’une enfant. J’ai eu envie d’enregistrer ses mémoires pour qu’ils ne se perdent jamais. 

Grande consommatrice de podcasts, je me suis dit que je pourrais diffuser son témoignage, sous format audio, en investissant dans un micro de qualité et dans le logiciel de partage adéquat. Malheureusement, cette dame a refusé de témoigner publiquement. Depuis, j’ai trouvé des dizaines de témoins volontaires et je parcours la France sur mon temps libre pour recueillir leurs souvenirs. 

C’est ainsi que mon podcast est né en 2021. Aujourd’hui, en quelques chiffres « Rembobinette » c’est : 3 saisons, 35 épisodes, 17 heures de podcasts cumulées, des milliers d’écoute, une douzaine de retombées presse, une campagne de financement participatif réussie, des sponsors (dont le Souvenir Français) et une grande fierté, avec le sentiment du devoir de mémoire accompli. 

2 – Comment travaillez-vous avec les témoins que vous recevez ?

Je découvre mes témoins grâce aux réseaux sociaux, la presse, le bouche à oreille et aussi avec l’aide du Souvenir Français. Le temps passant, c’est de plus en plus difficile de trouver des personnes qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale et sont encore capables d’en parler. C’est le temps des derniers témoins et avec lui, l’urgence de les enregistrer, vite, avant qu’il ne soit trop tard. 

Une fois la mise en relation effectuée avec le ou la témoin, je lui explique le projet et l’on définit une date. Je me déplace au domicile de la personne, souvent très âgée. J’ai été à Lyon, à Paris, dans le Var, en Corrèze… J’ai même interviewé des Réunionnais durant mes vacances.

Je ne demande jamais leur histoire à l’avance, juste les grandes lignes, et je ne leur transmets pas mes questions non plus. Je tiens à la spontanéité et à l’envie de se confier, pour les générations futures.

Sur place, je reste seule avec le ou la témoin pour que le discours ne contienne ni ellipse, ni raccourci, dus à la présence d’un tiers. L’important, c’est d’instaurer rapidement une relation de confiance, d’avoir une écoute active et bienveillante. Le témoin va raconter des souvenirs lointains et douloureux. Mon rôle est de l’accompagner sans influencer sa narration. 

Ces enregistrements sont souvent pleins d’émotions. J’aime à penser que c’est une opération triplement gagnante : le témoin se sent bien d’avoir confié ses souvenirs pour que les générations futures n’oublient pas, je me sens heureuse d’avoir accompli un devoir de mémoire et les auditeurs découvrent des histoires incroyables par des témoins inspirants. 

3 – Avec quels nouveaux acteurs de la mémoire travaillez-vous ? Quels sont vos projets ?

Je travaille, quasiment depuis le début, avec le Souvenir Français. Il m’apporte un soutien financier pour mes déplacements et des témoins que je n’aurais jamais connu seule. Tous mes supports sont disponibles dans leur médiathèque pédagogique. 

Je fais également don de mes enregistrements aux Mémoriaux concernés. Par exemple, j’ai donné les enregistrements de 4 témoins alsaciens et mosellans au Mémorial d’Alsace-Moselle à Schirmeck. Il est important que les fichiers soient conservés ailleurs que dans mon ordinateur et utilisés dans d’autres projets mémoriels. 

J’ai deux grands projets à venir : une exposition sonore et un épisode spécial sur le Débarquement de Provence.

L’exposition sonore a été réalisée avec le Souvenir Français et sera visible du 12 juin au 2 juillet 2024 au siège du Souvenir Français à Paris. Elle voyagera ensuite à la demande, n’hésitez pas à contacter le pôle Partenariats au 01 48 74 79 73 ou à partenariats@souvenir-francais.fr. L’exposition s’intitule “La voix des derniers : écouter pour se souvenir”. Elle propose 14 témoignages sélectionnés pour raconter la Seconde Guerre mondiale depuis différents points de vue : résistants, rescapés de camps, orphelines de guerre, enrôlés de force dans l’armée allemande… 

L’originalité de cette exposition tient à sa forme : au-delà du traditionnel panneau informatif, le visiteur pourra entendre la voix de ces témoins, soit grâce à un site internet dédié, soit par le biais de téléphones anciens diffusant les souvenirs. C’est l’aboutissement d’un an de travail mais aussi de plusieurs années de récolte de souvenirs et j’ai hâte de rencontrer les premiers visiteurs. 

Le projet d’épisode spécial sur le Débarquement de Provence a été initié par le comité de Luc-en-Provence, en la personne de Marc Burel. J’ai rencontré, sur une journée, une demi-douzaine de témoins de cet événement qui fêtera ses 80 ans en août 2024. 

À l’heure du 80e anniversaire de la Libération, ces témoignages sont précieux, ils illustrent de manière authentique un des moments charnières de notre histoire. L’épisode sortira au début de l’été et sera disponible sur toutes les plateformes. 

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