Trois questions à Nicolas Aznavour

2 février 2024

Délégué général du Souvenir Français pour l’Arménie

Nicolas Aznavour est le Délégué général du Souvenir Français pour l’Arménie où il a sa résidence principale en bordure du parc qui porte le nom de Missak Manouchian à Erevan. Fils du chanteur Charles Aznavour, il a fondé avec son père la Fondation Aznavour, qui vise à préserver et promouvoir son patrimoine en développant des projets éducatifs, culturels et sociaux notamment en Arménie et dans le monde. Cette Fondation joue un rôle essentiel dans le soutien du peuple arménien mais également dans la préparation du centenaire de la naissance en 2024 de Charles Aznavour.

1 – Les familles Aznavour et Manouchian se connaissent bien. Pouvez-vous nous raconter leur histoire partagée de la Seconde Guerre mondiale ?

Il s’agit avant tout d’une histoire d’amitié entre deux familles, tissée dès les années 1930, bien avant les tourments de la guerre. Mélinée, à l’époque Assadourian et qui deviendra Manouchian, louait un appartement appartenant au tuteur de ma grand-mère, Knar Aznavourian. Mon grand-père Misha et Missak, fréquentant les mêmes lieux, ont développé une amitié. Les dimanches de ma famille étaient souvent passés au bois de Boulogne en compagnie d’amis proches, parmi lesquels figuraient les Manouchian.

Missak a partagé sa passion pour les échecs avec mon père, et ils passaient des heures à explorer les subtilités du jeu ensemble. Mélinée a même accompagné mon père et ma tante Aïda à leur premier radio-crochet, où mon père a remporté le premier prix et Aïda le second.

Le 16 avril 1940, Misha, engagé parmi les « étrangers volontaires », quitte Paris par la gare d’Austerlitz, son tar à la main, pour rejoindre le camp de Septfonds, où il officie aux cuisines. Le soir, il enchantait ses camarades par des chansons juives, russes, grecques et arméniennes, ce qui lui valut le surnom « Les Yeux Noirs » en référence à la chanson « Otchi Tchornie ». Après l’Armistice du 22 juin 1940, Misha entreprend un périlleux périple à pied pour échapper à la Wehrmacht et rejoindre sa famille à Paris. À son retour, il choisit de continuer à lutter contre l’occupant.

Ma famille assiste pleinement la Résistance, accueillant des Juifs recherchés par la Gestapo, ainsi que des Russes et des Arméniens enrôlés de force dans l’armée allemande. Mon père, encore adolescent, parcourt Paris pour disperser dans des égouts distants les uniformes militaires. Il est difficile d’imaginer leur abnégation face aux risques encourus ; s’ils avaient été arrêtés, ils auraient probablement été déportés ou fusillés.

Le 16 novembre 1943, Missak est dénoncé et arrêté. Mon grand-père et mon père se cachent dans une chambre d’hôtel en face de leur appartement au 22 rue Navarin. Après l’arrestation de Missak, Mélinée, ne le voyant pas revenir, quitte leur appartement avant la nuit. Le lendemain matin, en sortant du métro Quatre-Septembre, elle retrouve ma grand-mère Knar venue la prévenir. La cachette de Mélinée au 8 rue de Louvois est perquisitionnée simultanément avec son appartement au 11 rue de Plaisance peu après son départ. Elle se réfugie chez mes grands-parents rue de Navarin jusqu’à la Libération.

Mélinée et ma famille maintiennent le contact, comme en témoignent les photos et documents que j’ai eu l’occasion de consulter.

L’histoire des Manouchian est tragique, celle de deux survivants du génocide arménien, dont le destin commun sera brisé par une seconde barbarie. Mélinée, espérant un avenir meilleur en Union Soviétique, voit ses aspirations anéanties encore une fois par une nouvelle forme de tyrannie.

Je vous invite à lire la lettre d’amour extrêmement émouvante que Missak a rédigée à Mélinée quelques heures seulement avant son exécution : 

“Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi, à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération. Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu.
Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.”

Un tel esprit d’honneur, de sacrifice et de devoir. Je regrette profondément de ne pas avoir eu le privilège de connaître Missak et Mélinée.

2- L’année 2024 sera l’année du centenaire de la naissance de Charles Aznavour, votre père. Pouvez-vous nous présenter ce centenaire ?

Mon père est né le 22 mai 1924, au cours de l’année marquée par les premiers Jeux Olympiques à Paris, et son centenaire sera honoré sous les mêmes auspices. La Fondation Aznavour, ainsi que la famille Aznavour, ont élaboré un programme d’événements festifs et commémoratifs pour célébrer ce centenaire tant en France qu’en Arménie.

En France, le coup d’envoi du centenaire sera donné avec le concert « Aznavour Classique » au Palais des Festivals de Cannes le 4 février 2024. (Plus d’informations sur l’événement ici: https://www.palaisdesfestivals.com/offres/la-fondation-aznavour-presente-aznavour-classique-cannes-fr-4190185/).

Le mois de mars réserve une pièce de théâtre originale, « Petit frère la grande histoire Aznavour », qui sera présentée au public à Erevan, s’inscrivant dans les festivités des Journées de la Francophonie et de la Journée Internationale du Théâtre. L’adaptation est signée par Laure Roldan, Gaëtan Vassart et Armen Verdian.

En avril, les Éditions Albin Michel publieront un ouvrage exclusif comprenant une sélection d’interviews inédites de mon père depuis les années 1950, couvrant une vaste gamme de thèmes.

La programmation pour le mois de mai s’annonce particulièrement riche en événements : la première du film biographique sur la vie de Charles Aznavour, intitulé « Monsieur Aznavour » (réalisé par Mehdi Idir et Grand Corps Malade, avec Tahar Rahim dans le rôle principal) ; un concert en plein air à Erevan ; l’inauguration d’une plaque commémorative à Montmartre ; la remise du prix littéraire « Aznavour pour l’Amour » (www.aznavourpourlamour.com) ; la dénomination du Jardin Charles Aznavour à Paris, du Parc Charles Aznavour à Marseille, ainsi que d’une rue Charles Aznavour à Aix-en-Provence. Enfin, le 30 mai, lors du Paris Philex (salon de philatélie à la Porte de Versailles), un timbre de la Poste française, illustré par Hom Nguyen, sera dévoilé.

Juin sera marqué par une soirée musicale à Gyumri et un festival du film à Erevan projetant cinq films mettant en scène Charles Aznavour, offrant une rétrospective cinématographique. Simultanément, un colloque à l’Université Paris-Sorbonne explorera l’héritage culturel du célèbre artiste. Par ailleurs, la talentueuse violoncelliste Astrig Siranossian prépare un projet original qui sera présenté à l’Olympia Classique le 25 juin 2024 (lien vers le site d’Astrig Siranossian).

En juillet 2024, une exposition des photos de Roger Kasparian sera organisée dans les rues de Erevan.

Le mois de septembre réserve un concert spécial à la Philharmonie de Paris et un grand concert public sur la Place de la République à Erevan.

Quant au mois de novembre, le 23, mon frère Misha Aznavour, travaille sur un projet de ciné-concert symphonique au Palais des Congrès de Paris.

Je vous invite à suivre ces événements sur nos réseaux sociaux :

Aznavour Foundation sur Facebook : https://www.facebook.com/aznavourfoundation

Aznavour Foundation sur X (twitter): @AznavourFound

Aznavour Foundation sur Instagram: @aznavourfoundation

Site internet : www.aznavourfoundation.org

3- Vous avez accepté de présider la délégation du Souvenir Français en Arménie. Pour quelles raisons ?

Lorsque le Président du Souvenir Français, Monsieur Serge Barcellini, s’est aimablement adressé à moi, j’en étais bien évidemment très honoré. La notion du souvenir constitue une pierre angulaire de notre identité et façonne notre avenir. Nous ne devons jamais oublier ceux qui se sont sacrifiés pour protéger les acquis dont nous jouissons aujourd’hui.

L’hommage que nous rendons à la mémoire de ceux qui sont « Morts pour la France » révèle notre essence et nos valeurs. C’est également le fil d’Ariane de nos aspirations, car une société dépourvue de mémoire est condamnée à l’égarement. Notre objectif dépasse le simple devoir de mémoire ; il faut inspirer en cultivant la notion de l’honneur, du devoir et du sacrifice. En honorant ceux qui ont péri pour la France et ses valeurs, nous enrichissons notre sens de l’identité et demeurons maîtres de notre destin.

Dans un monde plus divisé que jamais, où les réseaux sociaux dictent souvent la communication avec un impact polarisant, les valeurs qui nous unissent revêtent une importance cruciale et doivent être vigoureusement défendues.

Bien que le nombre de combattants français inhumés en Arménie ne soit pas considérable, il est impératif d’honorer leur mémoire, de restaurer leurs lieux de sépulture et de partager leur histoire. Les liens historiques et militaires entre la France et l’Arménie, tels que le sauvetage des Arméniens du Musa Dagh sur la plage du Ras el Mina par la Marine française pendant le génocide de 1915 et l’engagement volontaire ou la Résistance des Arméniens pendant la Seconde Guerre mondiale, témoignent de cette relation spéciale. Ces liens militaires ont été renforcés récemment avec la nomination d’un attaché militaire français en Arménie, le Lieutenant-colonel Arnaud Helly. Les Arméniens aiment la France et aspirent à des relations plus étroites.

Je tiens à souligner que la réalisation de ma mission en Arménie ne pourrait se faire sans le précieux soutien de son Excellence, M. Olivier Decottignies, Ambassadeur de France en Arménie, et du commandant Patrick Aprile près l’Ambassade de France en Arménie. Enfin, et surtout, je souhaite rendre hommage au Lieutenant-colonel Jean-Luc Messager, un homme exceptionnel qui a mené son combat avec courage jusqu’au bout, et qui nous a quittés bien trop tôt.

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