Trois questions à Julien Larère-Genevoix

2 décembre 2020

Julien Larère-Genevoix, avocat et petit-fils de Maurice Genevoix

 

1 – Que représente l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix ?

Portée depuis 2010, l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix est pleine de sens et de symboles. Comme toute entrée au Panthéon, elle vient d’abord « récompenser » une vie méritante, et un modèle d’ascension méritocratique.

Quarante ans après sa mort, elle célèbre l’écrivain au près de 60 livres, couronné par le Prix Goncourt en 1925, le Secrétaire perpétuel de l’Académie française et l’une de nos premières consciences écologiques, et offre une nouvelle perspective pour la mémoire de Maurice Genevoix.

Mais cette « panthéonisation » est bien davantage que cela, puisque c’est en tant que témoin de la Grande Guerre que Maurice Genevoix entre au Panthéon, porte étendard de ses frères d’armes. Cette dimension du témoignage a toujours été au centre de la démarche entreprise par Sylvie Genevoix et son époux Bernard Maris, premiers porteurs de ce vœu, et desquels je n’ai fait que suivre les pas.

 Ce moment mémoriel n’a jamais été imaginé comme la glorification de Maurice Genevoix, dont les qualités au front, au demeurant réelles, n’ont jamais été au centre de ce projet. La cérémonie du 11 novembre dernier marquait ainsi une rupture par rapport aux traditions en la matière, puisque c’est la première fois qu’elle est décidée à titre collectif, tous « ceux et celles de 14 » entrant avec Maurice Genevoix.

Loin d’être rhétorique, l’entrée de tous ceux et toutes celles de 14, avec Maurice Genevoix est bien au centre de la décision présidentielle. On ne saurait mieux le rappeler qu’en se rapportant exactement au discours annonçant cette entrée au Panthéon, prononcé le 6 novembre 2018 aux Eparges par Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République. Il voulait que « simples soldats, officiers, engagés, appelés, militaires de carrière, sans grade et généraux, mais aussi les femmes engagées aux côtés des combattants, car ceux de 14 ce fut aussi celles de 14, toute cette armée qui était un peuple, tout ce grand peuple qui devint une armée victorieuse, soient honorés au Panthéon ».

Il ajoutait souhaiter « qu’ils franchissent ce seuil sacré avec Maurice Genevoix, leur porte-étendard, qui inlassablement et où qu’il fut, sut faire résonner la voix et le combat de ses camarades ».

Cette entrée collective est d’autant plus « réelle » que des œuvres magistrales, – du plasticien monumentaliste Anselme Kiefer et du musicien Pascal Dusapin, ont été installées au Panthéon en mémoire de Ceux de 14, accompagnant le cercueil de Maurice Genevoix, et symbolisant la présence de ces soldats, anonymes ou célèbres, sous les voutes du dôme du Panthéon.

Ces œuvres témoignent de l’importance attachée à Ceux de 14 dans ce processus d’entrée au Panthéon. Le fait que l’œuvre sonore, prévue pour se déclencher aléatoirement au fil des jours contienne le nom de quinze mille soldats mobilisés, eux aussi égrenés de manière aléatoire, contribue même à assurer à chacun de ces fantômes une présence presque réelle et la pérennité de leur mémoire.

2 – Cent ans après la fin de la Première Guerre mondiale, cette panthéonisation marque-t-elle une étape dans l’enracinement de la mémoire de la Grande Guerre ?

A l’évidence, cette entrée au Panthéon de Maurice Genevoix et de Ceux de 14 vivifie la mémoire de la Première Guerre mondiale, déjà particulièrement présente et sacrée dans la conscience collective. Elle intervient surtout après un long cycle mémoriel qui a permis de rappeler que la mémoire de la Grande Guerre était aussi celle de toutes les familles de France.

Loin de la célébration d’un héroïsme fantasmé, Ceux de 14 est l’exacte peinture des atrocités vécues en commun par cette génération du feu.

Bien plus que victimaire, comme il lui a parfois été récemment reproché, c’est à une vision fraternelle des hommes dans la guerre que Maurice Genevoix nous appelle. C’est sans doute parce que Maurice Genevoix s’efface derrière ses hommes, qu’il n’est qu’un parmi eux, que Ceux de 14 parait être le plus universel des témoignages, dénonçant la guerre simplement en en montrant l’affreuse vérité, loin de tout pathos, exagération, ou « licence fabulatrice » selon le mot de Genevoix.

Cette entrée au Panthéon, si elle n’efface aucun des symboles mémoriels de la Grande Guerre, en réactualise la portée. La portée de cet hommage est d’autant plus grande qu’elle intervient l’année du centenaire du choix du Soldat Inconnu.

Ainsi qu’il l’a été rappelé plus haut, Maurice Genevoix n’entre pas au Panthéon en tant que héros, et il n’a jamais été question de lui faire remplacer le symbole du Soldat Inconnu.

L’on peut cependant espérer que cet hommage républicain, rendu cent ans après cette étape essentielle du souvenir combattant, puisse convaincre les plus jeunes de la nécessité de ne pas oublier et de l’importance du devoir de mémoire.

3 – La mémoire des écrivains combattants est présente au Panthéon. L’entrée de Maurice Genevoix permet-elle de remettre en lumière les écrits de ces combattants ?

 L’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix consacre Ceux de 14 comme le plus grand témoignage sur la Première Guerre mondiale. Dès 1929, Jean Norton Cru, enseignant américain ayant combattu pendant la guerre plaçait Genevoix au pinacle de la littérature de guerre, relevant que ce récit était le plus exact, le plus précis et la meilleure source historique.

Désireux de protéger les hommes de l’oubli, Ceux de 14 est le mémorial de leurs souffrances et de leur mort. Pour Maurice Genevoix, leur sacrifice ne peut qu’entraîner une forme de piété fraternelle. Parce qu’ils sont morts, Maurice Genevoix veut les restituer en leur vérité, leur réalité. C’est bien davantage aux hommes qui la font qu’à la guerre elle-même que Maurice Genevoix s’intéresse. La dernière adresse du Lieutenant Genevoix à ses hommes, après sa blessure du 25 avril 1915, témoigne de cette volonté et de cette ambition :

On vous a tués, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits, notre souffrance et notre gaité, les mots que nous disions, les visages que nous avions parmi les autres visages, et votre mort. Vous n’êtes guère plus d’une centaine, et votre foule m’apparaît effrayante, trop lourde, trop serrée pour moi seul. Combien de vos gestes passés aurais-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il ne me reste plus que moi et l’image que vous m’avez donnée ».

Pour nous les faire revivre tels qu’ils étaient, Maurice Genevoix a notamment porté une attention particulière à la voix de ses soldats. Mieux que tout le reste, la restitution des dialogues de ces soldats porte témoignage de ce qu’étaient ces hommes.

Pour Norton Cru, « ces dialogues si nombreux, qui ne peuvent pas avoir été notés en sténographie et que l’on pourrait déclarer fictifs, sont en réalité une de ces réussites merveilleuses qui font penser au génie. Comparez-les aux dialogues des romans de guerre, évidemment artificiels, comparez-les aux quelques dialogues des souvenirs et vous trouverez ceux de Genevoix savoureux dans leur simplicité, exempt d’effort et d’esprit littéraire, adaptés aux personnages, poilus, civils ou officiers. Genevoix est doué d’une mémoire auditive qui lui a permis de retrouver les mots typiques de chaque individu, son accent, sa manière de discuter, tout son tempérament enfin qui se faisait jour dans ses paroles. Aucun écrivain de l’avant ou de l’arrière n’a su faire parler les poilus avec un réalisme d’aussi bon aloi, un réalisme qui ne les idéalise pas plus qu’il ne les avilit ».

Ce jugement de Norton Cru, qui aurait sans doute été mieux accueilli si sa détestation des œuvres reconnues comme majeures jusque-là, notamment Le Feu de Barbusse et les Croix de Bois de Dorgelès avait été moins forte, est conforté par l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon.

Cette appréciation est même prophétique lorsque l’on lit les dernières lignes consacrées à Ceux de 14 par Norton Cru: « Qu’est-ce que l’avenir pensera de cette prodigieuse pentalogie des Éparges que notre époque ignore ou feint d’ignorer ? Je m’en doute bien. Le temps efface bien des réputations ; celles qui sont fondées sur le lancement, le mot d’ordre des critiques, la mode du jour, ne lui résistent guère. Par contre, le temps crée des réputations : l’homme qui a fait œuvre utile, qui a servi la vérité, qui a témoigné pour sa génération avec désintéressement et avec talent, cet homme, l’avenir en a besoin et il le trouvera et il s’abîmera dans la lecture de son œuvre. L’avenir voudra savoir et dans sa recherche des sources il sera guidé par des motifs bien différents de ceux qui expliquent la vogue d’un écrivain du jour. Mais il aura la naïveté de s’étonner que notre génération se soit trompée dans ses admirations littéraires, comme nous nous étonnons que Jean-Baptiste Rousseau fût un moment le plus grand écrivain de son temps.

L’avenir se demandera par quelle aberration la génération qui a vu la guerre de 1914 n’a pas su distinguer dans son sein le plus grand peintre de cette guerre.

Pour autant, et si nous partageons évidemment l’admiration de Norton Cru pour ce qu’il appelle « le génie de Genevoix », cette mise en avant légitime et justifiée ne doit pas conduire à déconsidérer les autres écrits sur la Première Guerre mondiale.

Tous les écrivains ayant été engagés dans ce conflit en ont en effet livré leur version, leur vérité. Si l’on peut assurément dire aujourd’hui que Ceux de 14 est le premier, les autres textes doivent être aussi relus, en ce qu’ils forment partie de cette grande chorale dressée contre l’oubli, donnant chacun une part de cette expérience que Maurice Genevoix qualifiait d’incommunicable.

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