Trois questions à Jean-Paul Grasset

4 septembre 2023

Jean-Paul Grasset (né en 1947) : professeur agrégé d’histoire -géographie, il a d’abord enseigné dans plusieurs établissements secondaires de Bordeaux et à l’Institut Universitaire de Formation des Maitres de l’académie de Bordeaux, avant de devenir Inspecteur d’Académie – Inspecteur Pédagogique Régional d’Histoire Géographie, dans l’académie de Limoges, puis dans celle de Bordeaux. Il a été pendant de nombreuses années chargé du service éducatif du Centre Jean Moulin de Bordeaux et à ce titre il a coordonné plusieurs documents pédagogiques (sur Jean Moulin, le maréchal de Lattre de Tassigny, René Cassin), participé au montage d’expositions et animé de nombreuses conférences et colloques. Succédant à Roger Joly, il est depuis 2013 Président de l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin.

1 – Vous êtes le Président de l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin. Pouvez vous nous présenter votre association ?

L’Association Nationale des Amis de Jean Moulin a été créée en 1974, par Laure Moulin avec l’appui de quelques grands résistants comme Jacques Chaban-Delmas, à Bordeaux où rayonnait déjà depuis 1967 un très actif Centre Jean Moulin. Mais ses origines sont bien plus anciennes. Dès 1946, Laure Moulin, la sœur du héros, publiant aux Éditions de Minuit le livre de son frère « Premier Combat », sollicite Charles de Gaulle afin qu’il veuille bien préfacer le livre et présider une association nationale dédiée à la mémoire de Jean Moulin ; le général accepte de donner une préface mais ne peut présider l’association dès lors que les responsables des anciens mouvements de Résistance se divisent sur le plan politique. A l’automne 1946, à l’occasion de la très officielle inauguration d’un monument à Béziers, le projet de création d’une association est repris par quelques personnalités héraultaises mais les divisions de l’époque et les prémices de la guerre froide ne permettent pas la concrétisation du projet.

 L’association a été présidée durant de longues années par d’anciens résistants : André Delage, Jean Pizoard, Philippe Cazentre et Roger Joly.  Depuis 2013, c’est à moi qu’est revenu l’honneur d’assurer cette responsabilité.

Au début, l’association regroupait   des membres de la famille de Jean Moulin et de celle du Général de Gaulle, et les principaux collaborateurs de Jean Moulin ou leurs proches. S’y sont joints des élus, des hauts fonctionnaires – les Préfets sont membres de droit – des officiers généraux et supérieurs, des officiers, sous-officiers et soldats, des historiens, des enseignants, des journalistes ou plus généralement des personnes désireuses de manifester leur fidélité à la Résistance et à celui qui fut son unificateur dans l’Hexagone en 1942 et 1943.

Selon ses statuts, le but de l’association est de préserver et servir l’idéal de la Résistance, participer au rayonnement du Centre Jean Moulin de Bordeaux, et organiser des activités pédagogiques, d’études et de recherches sur la Seconde Guerre mondiale.

A ces fins, l’association a publié plusieurs documents pédagogiques (sur Jean Moulin, le maréchal de Lattre de Tassigny, René Cassin), organisé des conférences à l’intention du grand public, mais prioritairement des enseignants (souvent en liaison avec les thèmes du Concours National de la Résistance et de la Déportation ou avec la publication d’ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale), monté des expositions, organisé des conférences et des colloques,  et  financé des voyages scolaires sur des lieux de mémoire.

Chaque année, l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin rend le 17 juin un hommage solennel à Jean Moulin au Panthéon, conjointement avec la mairie de Bordeaux et le ministère des Armées.

L’Association Nationale des Amis de Jean Moulin participe par ailleurs, à l’échelle locale comme à l’échelle nationale, aux principales cérémonies patriotiques.

L’Association Nationale des Amis de Jean Moulin a signé plusieurs conventions de partenariat. La plus ancienne, renouvelée tous les 3 ans, est celle conclue avec le Rectorat de l’Académie de Bordeaux et le trinôme académique qui regroupe sous l’ autorité du Recteur,  l’autorité militaire territoriale et le  président de l’association régionale des auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes de la  Défense Nationale (IHEDN) ;   en 2018 une convention a été signée avec le Souvenir Français , et  en 2019 avec la Fondation Charles de Gaulle .

L’association entretient des liens étroits avec le Comité Régional du Mémorial Jean Moulin de Salon-de-Provence, et localement avec le Comité de soutien du Mémorial de la Ferme de Richemont (où plusieurs jeunes résistants, élèves du lycée Montaigne de Bordeaux ont été massacrés le 14 juillet 1944) et avec les classes Défense de l’académie de Bordeaux. Des contacts étroits existent  avec le Service Educatif du Mémorial Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises ainsi qu’avec d’autres associations en lien avec Jean Moulin et la Résistance, comme le cercle Jean Moulin de Mâcon et le Centre d’Etudes et de Documentation sur la Résistance en Eure-et-Loir, ainsi qu’avec Béziers, la ville natale de Jean Moulin, et les départements de l’ Eure-et-Loir et de la Savoie dans lesquels Jean Moulin a exercé de hautes fonctions  dans l’administration préfectorale. Une nouvelle convention va être bientôt signée avec l’UNADIF et la ville de Rueil-Malmaison. La ville de Bordeaux qui héberge le siège de l’association dans son Centre Jean Moulin et est coordonnatrice de la cérémonie d’hommage à Jean Moulin au Panthéon tous les 17 juin, est un partenaire indispensable.

2 – Chaque année votre association organise une cérémonie au Panthéon le 17 juin. Pourquoi ? Pouvez-vous nous présenter la cérémonie du 17 juin 2023 ?

Ses origines remontent aux années 1960. Contrairement à ce que certains prétendent de nombreux hommages ont été rendus à Jean Moulin bien avant le transfert de ses cendres au Panthéon en décembre 1964. Dès l’hiver 1943-1944 et qu’il est avéré que Jean Moulin est décédé, ses plus fidèles lieutenants ressentent la nécessité impérieuse de faire vivre la mémoire de leur patron. Entre 1945 et 1964, la mémoire de Jean Moulin est largement présente tant à l’échelle locale que nationale. De nombreuses plaques commémoratives sont inaugurées sur les lieux où Jean Moulin est passé, de sa maison natale de Béziers jusqu’au 48 de la rue du Four à Paris où s’est tenue la première réunion de Conseil National de la Résistance en passant par l’appartement loué par Moulin dans le 14ème arrondissement de Paris et toutes les sous-préfectures et préfectures où il a été en poste. De nombreuses stèles et monuments sont inaugurés à Chartres et à Béziers, et aux ministères de l’air et de l’intérieur. N’oublions pas la publication en 1947 du livre de souvenirs sous le titre de « Premiers combats » préfacé par le général de Gaulle, la fondation en 1958 du Club Jean Moulin par Daniel Cordier et Stefan Hessel, et la création en 1961 du Comité Régional du Mémorial Jean Moulin à Salon-de-Provence sous la Présidence d’Honneur et le Haut Patronage du général de Gaulle (prémices de l’inauguration en 1969 du magnifique monument dû au sculpteur Marcel Courbier).

Mais c’est l’entrée de ses cendres au Panthéon le 19 décembre 1964 et le célèbre discours d’André Malraux (« Entre ici, Jean Moulin… ») qui fait véritablement entrer Jean Moulin dans la mémoire collective. Et c’est à la suite de cette cérémonie que Antoinette Sachs, amie de Jean Moulin depuis 1938 et animatrice d’une amicale encore informelle, obtient des autorités qu’une cérémonie commémorative ait lieu, chaque 17 juin, au Panthéon, en hommage à Jean Moulin. Le flambeau sera repris par l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin.

Ainsi chaque année, l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin rend le 17 juin un hommage solennel à Jean Moulin au Panthéon. La cérémonie est organisée conjointement avec la mairie de Bordeaux et le ministère des Armées. Sont invitées les plus hautes autorités politiques, militaires et civiles ainsi que les associations de résistants et déportés, avec leurs présidents et leurs portes drapeaux. Le ministre des Armées ou le Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et à la Mémoire sont toujours présents ainsi qu’un représentant du Maire de Paris et le Maire du Vème arrondissement. Lors des années particulièrement commémoratives, le Président de la République nous honore de sa présence.

Mais surtout, nous tenons à la participation de nombreux jeunes. Ainsi se retrouvent des élèves lauréats du Concours National de la Résistance et de la Déportation et des élèves des classes défense des collèges et lycées, ainsi que des élèves d’autres établissements scolaires ayant manifesté un intérêt pour Jean Moulin et plus largement pour la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup viennent de l’académie de Bordeaux, mais aussi de la région parisienne et de l’académie de Montpellier, et parfois d’autres régions et villes de France. Les déplacements des élèves et de leurs accompagnants sont pris en charge par l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin, le ministère des Armées et les différents établissements scolaires.

Car l’objectif de cette manifestation annuelle est triple :

-Rendre hommage à Jean Moulin, héros et martyr de la Résistance,

-Faire vivre les valeurs qui ont inspiré son action et celle de tous ses compagnons,

-Permettre aux jeunes de participer à une cérémonie patriotique avec toute la solennité que la République sait y mettre.

Elle se déroule en deux temps. D’abord un hommage solennel est rendu à Jean Moulin dans la nef du Panthéon avec les discours des personnalités présentes, des lectures de texte de Jean Moulin par des élèves, les chants des chœurs de l’armée française et les dépôts de gerbes. Puis tous les participants descendent dans la crypte pour se recueillir devant le tombeau de Jean Moulin, et saluer et remercier les portes drapeaux.

Pour les élèves, la journée se poursuit par un repas pris au restaurant de l’Hôtel National des Invalides et par une visite d’un lieu emblématique lié à la Seconde Guerre mondiale, comme le musée de l’Armée à l’Hôtel National des Invalides, le musée Jean Moulin (intégré maintenant dans le musée de la Libération de Paris), le musée national de la Légion d’Honneur ou le Mémorial de la Shoah.

Pour avoir rencontré par la suite des élèves ayant participé à cette journée, je peux affirmer qu’elle les a profondément marqués et qu’ils en gardent un souvenir ému et reconnaissant. Ainsi non seulement, tous les 17 juin, nous rendons un hommage à Jean Moulin dans la lignée des premières cérémonies voulues par Antoinette Sachs, mais nous remplissons un rôle pédagogique et de formation historique et civique, qui est au cœur des projets de l’Association Nationale des Amis de Jean Moulin.

Nous tenons à donner à la cérémonie du 17 juin 2023 une solennité particulière. Elle marque en effet le 80ème anniversaire de plusieurs moments importants de la vie de Jean Moulin :  sa remise de la Croix de la Libération, sa deuxième mission en France, la création du Conseil National de la Résistance, puis son arrestation et sa mort. Nous avons demandé à Monsieur le ministre des Armées et à Madame la Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et à la Mémoire de veiller à ce qu’il en soit tenu compte dans le déroulé de la cérémonie et de prévoir un protocole particulièrement solennel. Et nous avons invité Monsieur le Président de la République et Madame Macron de nous honorer de leurs présences.

3 – Il y a 80 ans disparaissait Jean Moulin. Quelle est la place de ce héros dans la France d’aujourd’hui ?

Tout d’abord je crois que pour la majorité des Français Jean Moulin est LE Résistant. Chaque moment de l’histoire laisse dans la mémoire collective le souvenir de seulement quelques hommes et femmes. Les autres sont oubliés malheureusement. Pour la période difficile qu’a constitué pour notre pays la Seconde Guerre mondiale, indiscutablement, le nom de Jean Moulin demeurera. Il a été un résistant de la première heure, puisque son premier acte de résistance date du 17 juin 1940, avant même l’appel du 18 juin par le général de Gaulle. Ce jour-là, il refuse de signer un protocole que voulaient lui imposer les autorités militaires allemandes qui venaient d’entrer dans la ville de Chartres dont il était préfet. Par ce protocole, il devait reconnaitre que c’étaient des tirailleurs sénégalais qui avaient commis des exactions dans un village voisin. Arrêté, il est torturé et enfermé dans une pièce de la conciergerie de l’hôpital de Chartres. Là dans la nuit, il tente de se suicider avec un morceau de verre qui trainait par terre. Dans « Premiers combats » il explique pourquoi. En refusant de signer, il pense avoir accompli son devoir et de peur d’être contraint à le faire, il préfère mourir, car écrit-il, comme des milliers de Français, depuis la déclaration de guerre, il a accepté la mort, elle ne lui fait pas peur. Et ainsi il montrera à ceux qu’il appelle « les Boches » qu’un Français est capable de se saborder. Heureusement pour lui (et pour la France), au matin, des soldats allemands entrent dans la pièce, découvre son corps ensanglanté et vont le faire soigner.

De ce premier moment de résistance (c’est Jean Moulin qui utilise lui-même ce mot) est née la légende de la célèbre photographie où on le voit avec son chapeau et une écharpe autour du cou qu’il aurait nouée pour cacher sa blessure. On sait aujourd’hui que c’est une légende et que la photographie a été prise par un de ses amis à Montpellier pendant l’hiver 1939 1940, donc avant l’épisode tragique de Chartres. Jean Moulin était un homme élégant : il portait un chapeau. Il faisait froid : il a noué une écharpe autour du cou.  Il n’en demeure pas moins que cette photographie, popularisée seulement dans les années 1970, connue de tous, identifie Jean Moulin à la Résistance.

Ensuite, Jean Moulin apparait, comme le fidèle représentant en France du général de Gaulle, qui accomplit avec sérieux et efficacité, les tâches qui lui ont été confiées, malgré les difficultés et les dangers qui viennent du gouvernement de Vichy, des autorités d’occupation mais aussi de certains de ses propres compagnons. En mettant en place le Conseil National de la Résistance, il réussit à unifier la Résistance et à mettre les mouvements de résistance sous l’autorité du général de Gaulle.  Ainsi, il est un héros de la Résistance.

Et puis, il y a sa fin tragique : son arrestation, son interrogatoire par Klaus Barbie, les tortures qui lui ont été infligées, et sa mort à un moment et dans un lieu mal défini. Ainsi, il devient un martyr de la Résistance

L’entrée de ses cendres au Panthéon en décembre 1964 et le discours d’André Malraux, suivis en 1981 par le pèlerinage de François Mitterrand au Panthéon et son arrêt devant son tombeau, ont renforcé encore ce double caractère de héros et de martyr de la Résistance.

Sur le plan historique, Jean Moulin est celui qui en unissant la résistance et en la mettant sous l’autorité du général de Gaulle, a permis à ce dernier d’être reconnu comme le seul chef de la France combattante en 1943 face au général Giraud qui avait alors les faveurs des Américains et a permis à la France de se trouver dans le camp des vainqueurs en 1945. Comme l’a dit le général de Gaulle, sans le Conseil National de la Résistance, il n’y aurait pas eu une Résistance, mais des Résistances.

Le CNR, même s’il a évolué après la mort de Jean Moulin, dans un sens que celui-ci n’aurait sans doute pas souhaité, en réunissant les représentants des différents mouvements de résistance et les principales forces politiques et syndicales a évité à notre pays les troubles violents que d’autres ont connus.

Plus profondément, Jean Moulin apparait comme un homme « presqu’ordinaire » avant 1940, menant à la fois une brillante carrière professionnelle et une vie privée faite de plaisirs et d’amour de l’art, qui a su s’engager dans la Résistance et en devenir un héros et un martyr. Pas par hasard, pas au gré des circonstances, mais parce qu’il avait de solides convictions patriotiques et républicaines acquises dans sa famille, particulièrement auprès de son père, puis renforcées par sa carrière au service de l’Etat. En ce sens, Jean Moulin, par-delà son statut de héros et de martyr de la Résistance, peut être un modèle de vie pour les jeunes générations.

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