Trois questions à Charles Langhendries et Philippe Jadin

4 janvier 2024

Charles Langhendries et Philippe Jadin sont tous les deux bruxellois. Philippe Jadin est diplômé de la Chambre de Commerce de Bruxelles, il travaille dans les relations publiques. Il est également spécialiste et historien de la chanson française du début du XXe siècle jusqu’aux années 1980. Charles Langhendries est quant à lui, philologue, attaché à la langue française et à son rayonnement international, en tant que Belge. Ensemble, ils œuvrent à la promotion de la mémoire de divers chanteurs et comédiens et, dans le cadre de celle de Germaine et Jean Sablon, ils ont donné des conférences à Boston, New York, Rio, Buenos Aires, Bogota ou encore à Manille.

1 – Vous avez créé et vous présidez l’association qui rend hommage à Jean Sablon et à sa sœur Germaine. Quelles sont les raisons qui vous ont amenés à créer et à animer cette association ?

L’un de nous, Philippe Jadin, a assisté aux adieux de Jean Sablon, à Paris, au Pavillon Gabriel en 1982. S’ensuivit un échange de correspondance puis l’invitation de Jean Sablon à le rencontrer au Festival de la chanson de Spa, en Belgique. Une grande amitié en naquit pendant onze ans, jusqu’à sa disparition en 1994. Quoique d’une extrême modestie, il était en quelque sorte séduit de notre connaissance de sa carrière ainsi que, plus généralement, de la chanson française de l’Entre-deux-guerres. Il nous choisit pour héritiers. Tout naturellement, nous nous attachâmes à perpétuer sa mémoire et réalisâmes mieux encore toute l’importance de celui qui fut rien de moins que le chanteur français le plus connu dans le monde de sa génération, le premier interprète à avoir enregistré avec Django Reinhardt ainsi que le premier à utiliser un micro sur scène en France. A cette occasion notre attention fut attirée par la personnalité marquante et attachante de sa sœur Germaine, fervente résistante, chanteuse et créatrice (première interprète) du Chant des Partisans. Germaine, Jean, ainsi que les deux autres frères Marcel, chef d’orchestre et directeur de théâtres, et André, compositeur et chef d’orchestre, constituaient une fratrie de musiciens, tous frappants par leur discrétion, rare dans ce milieu. Nous avons rédigé deux ouvrages sur Jean Sablon, une biographie (Jean Sablon, le Gentleman de la chanson aux éditions Christian Pirot) et un livre de photos (Jean Sablon, aux éditions Gourcuff et Gradenigo) et nous attachons actuellement à celle de Germaine. Deux ouvrages récents ont par ailleurs largement contribué à remettre Germaine Sablon au devant de la scène : Un Amour de Kessel, au Seuil, de Dominique Missika, relatant la relation amoureuse de Germaine et Joseph Kessel, ainsi que Les Partisans, à la NRF, de l’académicienne Dominique Bona, biographie croisée de Joseph Kessel et Maurice Druon, au sein de laquelle, Germaine, troisième personnage central, occupe une place importante.

2 – Germaine Sablon a été une résistante et l’interprète du Chant des Partisans. Pouvez-vous nous en parler ?

Il faut se souvenir que Germaine Sablon est née en 1899. Jeune fille, elle voit ses deux frères aînés et son père mobilisés lors de la première guerre, Jean Sablon, le benjamin, étant trop jeune car né en 1906. Si son père, vu sa génération, sera moins exposé en tant que président de commission technique et chef de la musique des 119e et 120e régiments ainsi qu’au 1er régiment étranger, les deux frères seront au plus près du théâtre des opérations. Marcel, maréchal des logis au 13e régiment d’artillerie coloniale, écopera de multiples plaies suite à un éclat d’obus à Douin, le 29 septembre 1915. Son jeune fiancé, Ernest Bloch, reviendra « gueule cassée ». Ces dures épreuves, ainsi que son tempérament passionné, entier et extrêmement courageux, conduiront Germaine à choisir l’action lors de la deuxième guerre, dès 1939. Elle commença par dissimuler à son amant Jeff Kessel ses activités au sein du réseau Carte avant de l’y faire entrer. Germaine conduira des ambulances de Lady Spiers, se retrouvera en Tripolitaine et sera sérieusement blessée au Mont Cassin. Pour sa part, Jean Sablon, résidant aux Etats-Unis depuis 1937, collaborera activement avec les Free French. Sa mère, qui l’y rejoindra, passera également secrètement des informations.

Toutefois, son souvenir est avant tout attaché au Chant des Partisans, qu’elle créa en 1943. Arrivée à Londres au terme d’une traversée nocturne des Pyrénnées puis d’Espagne et du Portugal, après avoir bravé de multiples périls, elle y retrouve Kessel et son neveu Maurice Druon. Inspirés par un air entendu un soir, joué à la guitare par Anna Marly, compositrice d’origine russe, Kessel et Druon en modifient intégralement les paroles dans la nuit du 30 mai. Ainsi naît le Chant des Partisans, interprété dès le matin par Germaine Sablon, au sein du film Three Songs about Resistance. L’hymne, diffusé sur la BBC, connaîtra un succès fulgurant et sera souvent surnommé la Marseillaise de la Résistance.

3 – Quel hommage souhaiteriez-vous réserver à Germaine Sablon et plus largement aux chanteurs et musiciens résistants dans le cadre du 80ème anniversaire de la Libération ?

Germaine a été reconnue de son vivant pour sa bravoure et décorée à plusieurs titres. Chevalier de la Légion d’honneur au titre de la défense nationale, elle fut aussi décorée en tant que Marraine des Evadés de France internés en Espagne 40-45, gratifiée de la médaille des Soldats sans uniforme ainsi que de la Ville de Paris et de Nogent-sur-Marne. Promue officier des vétérans des Foreign Wars (USA), elle reçut en outre la médaille de Reconnaissance de l’Association des Dames française de la Croix Rouge, la Croix de guerre avec palmes et étoile d’argent, la médaille de la Résistance, 1e classe d’honneur du 22e BMNA et le diplôme de Reconnaissance de l’Union nationale des évadés de guerre.

Nous ne pouvons passer sous silence que ses deux frères Marcel et André ont également reçu la Légion d’honneur, tandis que Jean l’a refusée, affirmant avec modestie que ses frères et sœur l’ayant reçue à titre militaire, il la refusait « à titre de chansonnette« .

Beaucoup plus récemment, à l’occasion du 80e anniversaire du Chant des Partisans, une rue de Paris a été baptisée du nom de Germaine Sablon ainsi qu’une école du Perreux-sur-Marne. Une école de Saint-Raphaël a également inauguré cet été une fresque en son hommage.

C’est donc un hommage d’une autre nature qu’elle mériterait en 2024, propre à maintenir vif son souvenir et son exemple de courage. Cette vertu, incarnée aujourd’hui sous nos yeux admiratifs par les Ukrainiens à l’occasion du retour inattendu d’une guerre en Europe, nous interroge en quelque sorte tous quant à notre capacité actuelle individuelle à faire face à pareille adversité. Des personnages comme Germaine Sablon nous rappellent qu’honneur et courage peuvent renaître partout, à tout moment, et triompher de l’horreur.

A ce titre, une exposition au Musée de la Résistance ou dans les locaux du Souvenir Français serait la bienvenue, particulièrement aujourd’hui où un honneur particulier est rendu aux femmes. Pour notre part, nous nous consacrons à la rédaction de sa biographie. Un spectacle musical, évoquant cette héroïne, ou tout au moins cette époque célébrée en 2024 et le rôle qu’elle y joua parmi d’autres personnages, parlerait sans doute au public de manière plus vivante, le toucherait probablement plus intimement. Germaine Sablon mériterait aussi sans nul doute un documentaire télévisé, d’autant plus intéressant qu’elle et ses trois frères vécurent tous quatre la Seconde Guerre mondiale de façons différentes, toutes intéressantes. Pour qui souhaiterait réentendre la voix de ces deux personnalités de la chanson, des CD ont été réédités chez Marianne Mélodie.

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