Trois questions à Cédric de Fougerolle

4 juillet 2023

Spécialiste du drapeau tricolore et des vexilles institutionnels français, Cédric de Fougerolle, est président de la Société française de vexillologie (société savante regroupant les passionnés de drapeaux) et coordonne Vexib, le groupe de recherches en bibliographie et bibliophilie vexillologiques.

Libraire, bibliographe, expert en livres rares, éditeur, auteur et préfacier, il collectionne les ouvrages sur les drapeaux, a rassemblé une riche documentation sur le sujet et a publié plusieurs ouvrages et articles sur ces sujets.

1 – Quelles sont aujourd’hui les études conduites par votre société afin d’enrichir nos connaissances ?

La Société française de vexillologie (SFV) est la société savante nationale en charge de l’étude des drapeaux et pavillons. À ce titre, elle s’intéresse particulièrement au tricolore, notamment à son histoire et à son usage depuis deux siècles.

Étonnamment, il y a peu d’études sérieuses sur la question et ce sujet n’intéresse que peu chercheurs, d’universitaires ou d’historiens. Depuis quelques années, la SFV s’emploie donc à nouer des relations avec d’autres sociétés savantes et avec le monde universitaire pour les encourager à travailler sur le sujet, notamment à proposer aux étudiants des sujets de mémoires ou de thèses sur ces questions. Il y a encore beaucoup de zones d’ombre notamment sur l’apparition des trois couleurs, la rapidité avec laquelle elles se sont imposées et leur cristallisation sous la forme du drapeau actuel. Nous menons donc des recherches pour tenter de mieux comprendre ses processus. Nous travaillons aussi sur l’usage du drapeau tricolore à la fois comme symbole patriotique, mais aussi politique, ou bien au sein des armées.

Au-delà de cet aspect historique, nous essayons de sensibiliser les pouvoirs publics, les élus, les utilisateurs de drapeau et pavillons (anciens combattants, marins, sportifs, etc.) aux règles d’usage du tricolore. La France est un pays qui est longtemps resté méfiant vis-à-vis de son drapeau et il en résulte à la fois un désintérêt et une certaine désinvolture dans le traitement public du tricolore. On voit aussi régulièrement flotter des drapeaux décolorés, déchirés ou entortillé. On constate que les règles de préséance du drapeau national par rapport aux autres drapeaux (le drapeau européen par exemple), ne sont pas respectées, simplement parce qu’elles ne sont pas connues. Sur ce point, par exemple, la SFV a saisi l’occasion de la récente proposition de loi tendant à rendre obligatoire le pavoisement des mairies avec les drapeaux français et européen, pour communiquer auprès des parlementaires à propos du protocole et donc des places à respecter pour les drapeaux européens, régionaux ou municipaux. Nous avons eu l’heureuse surprise de constater qu’indépendamment des étiquettes politiques, il y avait un réel intérêt pour cette question et un souhait unanime de pouvoir s’appuyer sur des textes de référence. Pourtant, à l’heure actuelle, seule une petite brochure du ministère de l’intérieur, qui ne semble pas avoir été largement diffusée, et une page internet sur le site du ministère des armées, évoque ce protocole en quelques lignes… La SFV est donc en train d’élaborer un petit guide pratique du protocole vexillologie français.

Nous avons aussi eu l’occasion, au début du premier quinquennat du président Macron, de sensibiliser la présidence de la République sur le fait qu’utiliser un drapeau tricolore avec une bande blanche plus étroite était une erreur grave. Nous avons été entendus et la quasi-totalité des administrations centrales ont suivi l’exemple élyséen et ont abandonné ce drapeau. Nous avons en revanche eu moins de succès pour l’instant avec la présidence de l’Assemblée nationale et le conseil constitutionnel qui continuent à utiliser dans leurs salons et leurs bureaux des drapeaux tricolores portant le sigle “RF” au centre de la bande blanche, invention de quelques fabricants commercialisant au prix fort ces soi-disant “drapeaux de prestige” !

Dans un registre moins critique, la SFV entretient depuis sa création une base de données des drapeaux exposés dans les musées français et particulièrement des drapeaux tricolores. Le renouveau muséal de ces dernières années a conduit à une réorganisation de beaucoup de collections et ce travail est un chantier permanent. Dans une majorité des cas, les drapeaux sont peu considérés par les conservateurs et les muséographes. On peut ainsi regretter la disparition de la mythique salle des emblèmes du musée de l’armée aux Invalides. A contrario, la récente modernisation du musée de l’ordre de la Libération aux Invalides a permis d’exposer des dizaines de drapeaux, de fanions ou de pavillons absolument remarquables et mis en scène avec beaucoup de talent. Ces pièces uniques, artisanales pour la plupart, sont des objets d’étude passionnants et la SFV travaille à mieux les faire connaître.

Enfin, la SFV s’intéresse aussi à l’influence du drapeau tricolore à travers le monde. Nombreux sont en effet, les États, les régions ou les municipalités qui ont repris soit nos trois couleurs soit notre construction en trois bandes verticales d’égales largeurs. Le plus souvent, c’est en hommages aux idées de liberté, d’égalité et de respect des droits de l’homme qu’incarne la France.

2 – Comment analysez-vous la spécificité du drapeau français ?

Ce qui fait sans doute la spécificité du drapeau tricolore par rapport aux autres drapeaux nationaux, est sa construction et son unicité.

Sa construction, qui nous semble très ordinaire aujourd’hui, ne l’a pas été au moment où il s’est figé, dans les années 1790. En effet, un drapeau est fait pour être lu à l’horizontal (de la hampe au bord extérieur, de gauche à droite, du guindant au battant dans le langage des spécialistes), puisqu’il est sans cesse en mouvements lorsqu’il flotte au vent. Quand il n’y a pas de vent ou à l’intérieur, le drapeau pend, mais si le motif est le même tout le long du drapeau, même si l’on en voit qu’un petit bout, on peut l’identifier. Il est donc naturel que les bandes d’un drapeau soient horizontales et non pas verticales… Beaucoup d’emblèmes révolutionnaires portaient d’ailleurs des bandes tricolores (dans des ordres et en nombre très différents les uns des autres) horizontales. Il semble que ce soit tout simplement pour distinguer le pavillon (terme qui s’applique aux drapeaux flottant à la mer) français de celui des Pays-Bas ou de la Russie que cette forme verticale ait été adoptée en 1794. Depuis, bien d’autres États ont adopté des drapeaux avec des bandes verticales, parfois sous l’influence du tricolore (Irlande, Italie, anciennes colonies africaines), parfois sans rapport avec le drapeau français.

Son unicité est aussi une caractéristique particulière. D’autre part le drapeau tricolore n’a pas évolué depuis sa création, d’autre part il n’y a quasiment qu’un seul drapeau en France, le tricolore.

Depuis son adoption comme pavillon national par la Convention, en février 1794, le tricolore n’a pas changé. Il a juste été remplacé pendant la Restauration par le drapeau blanc. Si bien que, relativement récent par rapport à certains drapeaux d’anciennes nations européennes, le tricolore est un des plus anciens toujours en usage. Cela lui confère une notoriété et un poids qui expliquent le silence étonnant des textes normatifs à son sujet. Il ne semble y avoir pour le décrire que le simple arrêté du 7 mars 1848 du gouvernement provisoire (qui fut pris pour corriger une déclaration erronée du délégué au département de la police de ce même gouvernement provisoire de l’avant-veille), avant l’article 2 de la constitution de 1946 repris par la constitution actuelle. Et encore, l’article 2 de la constitution de 1958 ne mentionne même plus que les bandes sont verticales. Le drapeau tricolore est tellement célèbre et, il faut le souligner, facile à construire, qu’il n’est pas besoin de le décrire en détail ! En revanche, dès la fin d’octobre 1790 les différents pavillons tricolores ont fait l’objet de spécifications précises et il est de même pour les drapeaux et étendards militaires depuis la même époque. Cependant, il faut noter que le pavillon national actuel comporte des bandes de largeur différente (90 trois centièmes de la longueur pour le bleu, 99 trois centièmes pour le blanc et 111 trois centièmes pour le bleu) et cela depuis 1838, mais sans que le texte instituant cette construction n’ait été retrouvé… C’est là aussi une spécificité du pavillon français car c’est un cas unique au monde, pas de pavillon national différent du drapeau national (c’est au contraire presque la norme) mais d’une construction différente du même emblème national à terre et à la mer.

L’unicité du tricolore s’exprime aussi dans le fait qu’il n’y a quasiment pas de drapeaux ou de pavillons alternatifs au tricolore, et d’ailleurs de moins en moins depuis qu’ont notamment disparu le drapeau particulier du président de la République (qui se contente, depuis la présidence de Jacques Chirac, d’une cravate blanche sur son fanion de voiture), les drapeaux des gouverneurs d’outre-mer et de facto les pavillons des navires câbliers (qui est encore présent dans la dernière édition de l’Album des pavillons édité il y a quelques années par le service hydrographique et océanographie de la marine, où le pavillon du service postal a lui disparu). Il ne reste pratiquement que les marques de commandement à la mer et peut-être les pavillons du ministre et du chef d’état-major des armées.

En revanche, né lors de la Révolution comme un emblème revendicatif et politique, le drapeau tricolore a toujours été et reste un emblème très largement surchargé par des inscriptions et des motifs divers. La bande blanche centrale, qui peut d’ailleurs se lire comme un “vide”, un « espace à orner » (selon l’heureuse expression de Bernard Richard dans Les emblèmes de la République. CNRS éd., 2012), facilitant d’un point de vue pratique ces surcharges. L’habitude s’est ainsi prise, dès 1789, d’inscrire des textes ou de placer différents symboles et insignes sur le drapeau tricolore pour en faire un drapeau particulier. Outre les unités militaires et quelques formations civiles, on pensera aux associations patriotiques et d’anciens combattants, aux classes de conscrits, aux municipalités, aux paroisses, aux écoles publiques ou privées, aux sociétés musicales, etc. Notons aussi le drapeau de l’éphémère Communauté française qui portait la devise de la République. Dans ce cas, le drapeau est assez fréquemment carré, frangé d’or, et comporte un texte brodé ou inscrit en or en lettres capitales. Souvent un insigne est brodé ou reproduit “au naturel” au centre du blanc : blason, insigne militaire, décoration, etc. Le texte au-dessus et au-dessous est parfois brodé en arrondi de façon à l’entourer. Enfin, cette bande blanche a parfois fait l’objet de surcharges destinées à transformer le drapeau tricolore, soit pour lui faire perdre son caractère révolutionnaire ou républicain (le Sacré-Cœur ou la francisque, par exemple), soit au contraire pour marquer une régénérescence de la Nation (notamment la croix de Lorraine lors de la Seconde guerre mondiale).

Enfin, comme la constitution dispose que « L’emblème national est le drapeau tricolore », il en est fait une lecture qui exclut tout autre drapeau. Ainsi, seul le tricolore représente la Nation, sa population, ainsi que l’État et de son territoire. De fait, tous les rares autres drapeaux officiels contiennent le drapeau tricolore ou flottent de conserve avec lui : collectivités d’outre-mer (Wallis-et-Futuna, Terres australes et antarctiques françaises, Nouvelle-Calédonie, et dans une moindre mesure Polynésie française), services de l’État (douanes), marques de commandement évoquées précédemment et même organisations privées “institutionnalisées” (Société nationale de sauvetage en mer ou Yacht-club de France). En revanche, lorsque le caractère national n’est pas concerné, il règne une totale liberté qui se déploie avec plus ou moins de bonheur parmi les collectivités territoriales (régions, départements, communes).

3 – Quelle est la place du drapeau national dans la symbolique républicaine ?

La symbolique républicaine fait une place paradoxale au tricolore. D’un côté, elle glorifie son usage au nom de la rupture révolutionnaire qui se matérialise dans la notion même de drapeau et particulièrement de drapeau national. Cette idée était en effet inconnue en France sous l’ancien régime. Il existe alors des pavillons (et principalement le pavillon blanc, pavillon du roi et de l’État), des étendards et des drapeaux militaires, des bannières civiles et religieuses, mais pas de drapeau français et a fortiori de drapeau national. On sait par ailleurs, combien l’idée de nation est un concept dans lequel s’est reconnue et incarnée la Révolution. Avec le drapeau, tricolore en l’occurrence, naît l’idée fondamentale d’une unicité du signe de reconnaissance à la fois de chacun des citoyens comme membre de la Nation et, à la fois, opposable à l’étranger aussi bien qu’à l’ennemi de l’intérieur. Ainsi l’histoire des vexilles français est marquée d’une rupture fondamentale qu’est l’idée même du drapeau civil. N’étant plus uniquement une enseigne militaire ou un pavillon de marine, le drapeau tricolore va fleurir sur les bâtiments et sur les compositions si appréciées par l’esprit du temps. Cette fonction de drapeau flottant sur des bâtiments sera portée à son paroxysme par le drapeau placé en mai 1793 sur les Tuileries, où siège la Convention. Ce drapeau est le prototype de celui flottant depuis lors au sommet ou au fronton de tous les bâtiments publics et notamment des deux assemblées, de l’Élysée et du palais de justice de Paris. D’autre part, ces couleurs sont celles de la première Révolution (celle de l’insurrection parisienne de juillet 1789) et à ce titre elles garderont et gardent encore le caractère symbolique et sacré des origines fondatrices.

A contrario, les Français se sont longtemps méfiés du drapeau. Il est depuis deux siècles utilisé comme décor des cérémonies nationales mais en réalité a longtemps été négligé par les pouvoirs publics et largement considéré dans la société civile comme un oripeau d’un nationalisme étroit et obsolète. Cette situation évolue cependant depuis quelques années car c’est aussi un symbole festif qui, par le sport, a envahi la rue. Il est aussi devenu beaucoup plus présent depuis la multiplication des attentats terroristes, à la suite desquels il a retrouvé son statut de symbole de l’unité nationale.

C’est dans cet esprit que les établissements d’enseignement ont l’obligation (depuis la loi du 8 juillet 2013) de l’ « apposer sur [leur] façade » et qu’une récente proposition de loi, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, souhaite le rendre obligatoire sur la façade des mairies aux côtés du drapeau européen.

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