L’œil de l’Historien, Jean-Arthur Noïque

4 juillet 2023

Le drapeau Rhin et Danube, emblème identitaire associatif pour les vétérans de l’Armée de Lattre

Jean-Arthur Noïque, est professeur d’histoire-géographie au lycée Frédéric-Mistral à Avignon et docteur en histoire. Publication récente : « La place de la 1re Armée française dans l’espace mémoriel colmarien », Actes du colloque, « Les marqueurs mémoriels de la guerre et de l’armée. La construction d’un espace du souvenir dans l’Est de la France ». Sous la direction de Jean-Noël Grandhomme et Laurent Jalabert, Lille, Presse Universitaires du Septentrion, 2022. A paraître (2e trimestre 2024 aux Indes Savantes) : « Mémoire et oubli de la 1re Armée Rhin et Danube ».

La 1re Armée française, créée fin 1943 et commandée par le général de Lattre de Tassigny, après s’être emparée de l’île d’Elbe a libéré le tiers du territoire national depuis le débarquement de Provence le 15 août 1944. Elle a pénétré de vive force en Allemagne et a terminé la guerre en Autriche. La 1re Armée est donc la dernière armée française victorieuse depuis 1918.

Pour les vétérans de l’Armée de Lattre ainsi que pour leurs chefs, réunis dans l’association Rhin et Danube, leur engagement n’a pas pris fin le 8 mai 1945. Groupés derrière leur drapeau, dont la genèse remonte au Second conflit mondial, ces anciens soldats multiplient les actions mémorielles, commémoratives… voire politiques.

Le drapeau Rhin et Danube devient le symbole de la feu 1re Armée et de son union avec la nation. Il revêt une dimension identitaire, il est un symbole de ralliement, un symbole des gloires et des victoires de l’Armée de Lattre, voire une relique pour les anciens combattants. Les Rhin et Danube sont très attachés à leur drapeau qui les soude en tant que groupe.

L’Armée de Lattre : se rallier au drapeau

En raison de sa composition hétéroclite, le général de Lattre de Tassigny rappelle encore en 1949 dans L’Histoire de la Première Armée Française Rhin et Danube que les troupes qui lui sont confiées ne « forme[nt pas] réellement une Armée [et seulement] une juxtaposition d’unités »[1]. Comme dans toute les armées la cohésion des soldats et l’esprit de corps sont une priorité pour la hiérarchie. Le drapeau de la période consulaire est l’un des moyens employés pour arriver à ces objectifs.

Le drapeau consulaire

Ce n’est pas le général de Lattre qui a imposé la mise en place du drapeau consulaire sur les engins blindés de son armée. En effet ce drapeau qui est composé d’un rectangle dans lequel s’inscrit un losange blanc encadré par le bleu et le rouge est visible dés la campagne d’Italie. Comme le précise Pascal Ory un drapeau n’est pas toujours associé à un support en étoffe[2]. Ces références de la période consulaire sont le résultat d’une politique ayant comme objectif de restaurer l’image de l’armée française ternie depuis la campagne de France de 1940. Napoléon Bonaparte étant extrêmement populaire en France comme à l’étranger, les médias militaires et civils multiplient les références entre les troupes de de Lattre et celles du 1re Consul/Empereur. Il n’empêche, les véhicules qui débarquent en Provence le 15 août 1944 disposent tous du drapeau consulaire à la différence de ceux de la 2e D..B. (division blindée) de Leclerc. Ce drapeau devient l’identité de l’Armée de Lattre[3].

Néanmoins nous pensons que ce drapeau, s’il a été utile au général commandant la 1re Armée, devait à terme être remplacé par un autre. D’autant plus que les Français libres durant la guerre disposaient de leur drapeau avec une croix de Lorraine en son centre. Le général de Lattre n’est pas un Français libre et entretient des relations conflictuelles avec le général de Gaulle qui s’amplifient au fur et à mesure que le conflit approche de son dénouement. De Lattre, grand seigneur, orgueilleux, superbe… se devait de créer un nouveau symbole qui reflète son caractère et sa conception du commandement.

Le blason Rhin et Danube

A partir de l’Ordre du Jour n°8 du général de Lattre (24 avril 1945) qui évoquait le Rhin et le Danube, l’appellation non-officielle de 1re Armée française, Rhin et Danube, s’impose auprès de ses hommes. C’est un « raccourci symbolique de ses conquêtes » en « un mois de campagne en terre allemande » précise le général de Lattre[4].

De Lattre exige qu’un blason soit créé pour matérialiser la nouvelle identité de ses troupes. Il reprend l’écu de Colmar, bataille dans laquelle la 1re Armée « s’était aussi unanimement liguée […]. Au surplus, un hasard préparé par les siècles n’avait-il pas voulu cet écu rouge et vert, aux couleurs de notre Croix de guerre, et rehaussé d’une masse d’armes singulièrement parlante. De part et d’autre de sa pointe, trois traits d’azur où ondulent les flots des fleuves ; leur nom accouplés : le blason de « Rhin et Danube » était né » rappelle le général de Lattre[5]. C’est l’un des proches de de Lattre, Gérard Ambroselli qui réalise une douzaine de modèles le 21 avril 1945 à Karlsruhe. Mais c’est le général commandant la 1re Armée qui choisit la broderie définitive le lendemain[6].

Si tous ses soldats cousent ce blason sur leur épaule, en signe de cohésion, il ne nous semble pas que le moindre drapeau français en soit doté. Dans le fameux défilé du 14 juillet 1945 qui a lieu à Paris et qui est le champ du cygne de la 1re Armée qui est dissoute quelques jours plus tard, aucune photographie du S.C.A. (service cinématographique des armées) ne montre une bannière avec le blason de Rhin et Danube. Ce sont donc uniquement les drapeaux de l’association qui en sont dotés[7].

L’association Rhin et Danube 

La fondation

Le général de Lattre a pensé créer une association des vétérans de son armée au début de juillet 1945. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale de Lattre connaît le besoin qu’ont les anciens combattants de se retrouver dans une structure associative. Rhin et Danube est officiellement fondée le 4 octobre 1945 et est reconnue « d’utilité publique » le 7 octobre 1947.

L’association a plusieurs objectifs comme maintenir les liens de camaraderie, entretenir la mémoire de la 1re Armée, aider les adhérents, représenter ses membres auprès de l’État, et organiser la préparation militaire des jeunes. Rhin et Danube a aussi une autre mission officieuse celle de maintenir la grandeur de la France en défendant l’existence de l’Empire.

Le drapeau Rhin et Danube

Nous ne savons pas qui a eu l’idée de mettre le blason Rhin et Danube sur le drapeau français. Mais étant donné que toute décision devait être validée par le général de Lattre celui-ci était naturellement impliqué dans le choix du drapeau.

Sur les drapeaux sont aussi brodées en lettres d’or des inscriptions. On retrouve le nom de la section, une référence à la 1re Armée, voire aux F.F.L. et au C.E.F.I. (Corps Expéditionnaire en Italie). Il s’agit dans ce cas peut-être d’une référence à l’hétérogénéité des troupes qui se sont amalgamées dans le cadre de l’Armée de Lattre. L’inscription Rhin et Danube se trouve toujours au-dessus du blason. « NE PAS SUBIR » qui était la devise du général de Lattre de Tassigny peut aussi avoir sa place au-dessous du blason.

L’utilisation, l’usage

Précisons d’abord qu’il n’y a pas de manuel Rhin et Danube sur l’utilisation du drapeau dans les différents moments de la vie de l’association. La présence d’une garde d’honneur et de son drapeau est quelque chose de normal qui n’est pas systématiquement signalée dans les comptes rendus des commémorations. Néanmoins dans la composition de la section on retrouve toujours le nom d’un porte-drapeau et de son suppléant. Finalement Rhin et Danube ressemble à une association d’anciens combattants comme celles de la Première Guerre mondiale.

Nous pouvons tenter d’ébaucher une typologie des moments, des cérémonies, des commémorations dans lesquels le drapeau de Rhin et Danube joue  un rôle.

Il est tout d’abord attesté lors des événements internes à l’association. Il est conservé dans les locaux de Rhin et Danube et les membres des sections aiment poser en sa compagnie devant leur siège. Lors des assemblées générales départementales ou nationales les drapeaux sont exhibés en signe de ralliement pour ces anciens soldats dans les localités où sont organisés ces événements . C’est le cas de « L’association « Rhin et Danube » du Finistère [qui] a tenu son Assemblée Générale le 26 février 1986 à L’Hôpital-Camfrout ». Outre la séance retraçant la vie de l’association, les vétérans, porte-drapeau en tête, se rendent « en cortège au monument aux morts pour la cérémonie du souvenir »[1]. Dans toutes les activités organisées par Rhin et Danube, voyages, bals, pèlerinages (comme à Lourdes en 1990)… les drapeaux sont de sortie[2]. Dans ces conditions les Français les connaissent et savent identifier l’association.

Les nouvelles sections, ou les sections qui se pérennisent, en reçoivent un exemplaire « personnalisé » comme c’est le cas à Chambéry après la cérémonie du 8 mai 1954[3]. Le drapeau peut également recevoir une bénédiction de la part d’une autorité religieuse. « S. Exc. Mgr. Edmond Abèle, Evêque de Monaco […] a prononcé une homélie d’une haute élévation de pensée puis a béni le drapeau » de l’association Rhin et Danube de la principauté dont le président d’honneur n’est autre que Rainier III[4].

Rhin et Danube en tant qu’association d’anciens combattants accompagne ses camarades lors de la mort de ces derniers, ce qui n’a rien d’original pour ce type de structure. C’est par exemple le cas lors des funérailles du maréchal de Lattre le 15 janvier 1952, ainsi que lors des anniversaires de son décès, ou même lors de la disparition d’un adhérent anonyme.

Rhin et Danube commémore ses victoires comme Marseille, Colmar ou le débarquement de Provence. Bien évidemment les drapeaux y ont une place prépondérante.

Le 8 mai occupe une place particulière chez les Rhin et Danube. L’ordre du jour n°9 du général de Lattre qui est lu à chaque commémoration précise que le pays doit sa victoire à la 1re Armée. L’association est ainsi présente sous l’Arc de Triomphe pour raviver la flamme avec ses drapeaux, mais aussi dans toute la France ainsi que dans l’Empire, jusqu’en 1962. Le 8 mai 1960 à Paris par exemple « Derrière le Président National, en uniforme suivi de plusieurs de nos anciens Chefs, en rangs serrés, 1.500 des nôtres ont remonté les Champs-Elysées […] [avec] 90 drapeaux »[5]. Cette commémoration à la différence du 11 novembre a pour objectif d’honorer les morts mais elle a surtout été voulue comme la fête de la 1re Armée par le général de Lattre..

Dans le même ordre d’idée lors des manifestations en faveur du maintien de la plus grande France lors de la guerre d’Indochine et d’Algérie, les Rhin et Danube manifestent drapeau en tête ce qui est le cas le 8 mai 1960.

Les hommes

Être un porte-drapeau est un honneur pour les Rhin et Danube comme le précise le journal de l’association. Ces hommes « sont innombrables et fidèles, rudes et candides, intransigeants et ponctuels. Sous le soleil ou sous la pluie, les pieds dans la neige ou la tête dans le vent, ils ne manquent jamais les rendez-vous fixés par la mort d’un compagnon, la commémoration d’un anniversaire, la date d’un congrès »[6].  En outre ils jouent un rôle essentiel pour l’association car ils assurent sa visibilité auprès des Français « partout où c’est nécessaire »[7]. Le drapeau ne peut être confié qu’à un vétéran exceptionnel. Antoine Prost à propos des associations d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale précise que « le choix du porte-drapeau fait souvent l’objet d’une délibération en assemblée générale, et c’est l’un des plus décorés des adhérents, ou le titulaire du plus grand nombre de citations, qui se voit confier le drapeau pour les cérémonies »[8].

A la fin de 2002 la disparition de Rhin et Danube se précise en raison, entre autre, de l’âge des adhérents. Le Souvenir français, avec qui l’association entretient des liens étroits depuis longtemps, est choisi pour devenir son légataire universel. En juin 2005 lors du congrès de Colmar la dissolution de Rhin et Danube est officielle. « 60 drapeaux » sont présents lors des trois derniers jours de l’association que ce soit dans les cérémonies religieuses, ou lors du défilé militaire[9].

Le Souvenir français hérite, entre autre, des drapeaux de Rhin et Danube. Depuis 2016, sous l’impulsion de son président, Serge Barcellini, elle les confie à des établissements scolaires. Les élèves lors des cérémonies commémoratives deviennent d’une certaine manière les porteurs de la mémoire de la 1re Armée.


[1] «  Comité départemental », Rhin et Danube, n°375, mars 1986, p. 7.

[2] Photographies de Rhin et Danube, pèlerinage à Lourdes en 1990. SHD, PA 130 36.

[3] « L’Amicale illustrée. La section de Chambéry a reçu son fanion », Rhin et Danube, n°79, août 1954, p. 8.

[4] « Monaco. Bénédiction du drapeau » Rhin et Danube, n°299, mai 1973, p. 15.

[5] « Le 8 mai à Paris », Rhin et Danube, n°127, mai 1960, p. 1.

[6] RHIN ET DANUBE, «  Les porte-drapeau » Rhin et Danube, n°249, août-septembre 1978, p. 1.

[7] GENERAL ROLAND GLAVANY, «  Nos porte-drapeau », Rhin et Danube, n°347, mai 1983, p. 1.

[8] PROST Antoine, Les Anciens Combattants dans la Société Française, Tome 2, Sociologie, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, p. 182-183.

[9] COLLIN DU BOCAGE Claude, « Le congrès national des 17/18/19 juin 2005 à Colmar », Rhin et Danube, n°556, juillet-août 2005, p.1-2.


[1]  GENERAL DE LATTRE DE TASSIGNY , Histoire de la Première Armée Française Rhin et Danube, Paris, Plon, 1949, p.13.

[2] ORY Pascal, « Y-a-t-il des familles de drapeaux ? Introduction à la vexillologie comparée », in  La République en représentations, sous la dir.  De Maurice Agulhon, Anette Becker et Evelyne Cohen, Paris, Editions de la Sorbonne, 2006, p. 393-403.

[3]  NOÏQUE, Jean-Arthur, « La construction d’une identité militaire, de l’hétérogénéité à l’unité : la 1re Armée française du général de Lattre », Actes du colloque, Symbolique, traditions et identités militaires, sous la direction d’Hervé Drévillon et Edouard Ebel, Vincennes, S.H.D., 2020, p. 187-197.

[4] GENERAL DE LATTRE DE TASSIGNY, Histoire de la Première Armée Française Rhin et Danube, op.cit., p. 612.

[5] Ibid.

[6] AMBROSELLI, Gérard, « Deux idées, deux réalisations. L’imagerie de l’Armée d’Alsace et l’insigne « Rhin et Danube » », Saisons d’Alsace, n°2, 1952.

[7] NOÏQUE Jean-Arthur, « Images et mémoires de la 1re Armée française (1943-2015) », Thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Jean-François Muracciole, université Paul-Valéry-Montpellier 3, 2015, 804 p.

Articles récents

2 mai 2024

Billet d’humeur du Président Général

La France détient un record mondial ! Le 28 mars 2024, les 78 députés présents dans l’hémicycle ont adopté une proposition de résolution visant à instaurer une journée de commémoration pour les victimes du massacre du 17 octobre 1961 à Paris. L’histoire en est connue. Ce jour-là, la répression policière d’une manifestation pro FLN bravant le […]

Voir l'article >

Sous les projecteurs

Afin de mettre en lumière la Guerre d’Indochine et la bataille de Dien Bien Phu, le Souvenir Français a accepté de s’associer à plusieurs associations dans un groupe dénommé « l’Alliance Indochine 2024 », coordonné par l’ASAF (Association de Soutien à l’Armée Française) Cette alliance regroupe les associations suivantes : – Association nationale des Anciens Prisonniers Internés Déportés […]

Voir l'article >

Monument du mois

Le cimetière de Than Muoi / Dong Mo 2000 : Cimetière de Dong Mo et ses 81 tombes en ruines, découvertes par le colonel Platon, Délégué Général du Souvenir Français. Le cimetière de Than Muoi / Dong Mo est un lieu exceptionnel. D’abord par son histoire, Profitant de la faiblesse de la France après la […]

Voir l'article >
  • Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.