Après un service national effectué en 1997-1998 comme sergent à la 11e CBI du 9e régiment de commandement et de Soutien (9e division d’infanterie de marine, Nantes), Ivan Cadeau rejoint l’armée comme officier sous contrat en 2 000. Après avoir servi à l’École nationale des sous-officiers d’active comme instructeur au sein de la Division enseignement général et perfectionnement et dirigé pendant quatre ans le musée du sous-officier, il est affecté au Service historique de la Défense à Vincennes en 2007.
Titulaire d’un doctorat en histoire sur l’arme du génie pendant la guerre d’Indochine, il est spécialiste des guerres d’Indochine et de Corée et également de la campagne de France, d’Italie et de Provence. Il effectue des missions au profit de l’enseignement militaire supérieur, participe à des colloques en France et à l’étranger et également à des études historiques sur le terrain (EHT). Il est également rédacteur en chef adjoint de la Revue historique des armées.
Auteur de nombreux articles et livres, il a notamment écrit Le Génie au combat. Indochine 1945-1956 (Service historique de la Défense, 2013), Diên Biên Phu (Tallandier, 2013 réédité en 2016), La Guerre de Corée (Perrin 2013, réédité en 2016), Histoire de la guerre d’Indochine. De l’Indochine française aux adieux à Saigon 1940-1956 (Tallandier, 2015, réédité en 2019) et De Lattre (Perrin 2017).
Le 10 avril 1956, les rues de Saigon s’animent, pour la dernière fois, du spectacle des forces françaises défilant sur le sol vietnamien. En dépit de l’attitude nettement antifrançaise dont fait montre le gouvernement sud-vietnamien depuis plusieurs mois, les habitants de Saigon se sont rendus en foule à ce dernier adieu, un adieu qui apparaît aux yeux du correspondant du Monde qui couvre l’événement comme l’« ultime manifestation » de la présence française en Indochine. Le lendemain soir, 11 avril, Radio Hirondelle, la radio des forces armées en Extrême-Orient, diffuse sa dernière émission. Avec elle s’éteint symboliquement la voix de la France dans ce qui a constitué, près de cent ans durant, l’Indochine française.
Si l’on trouve trace de la présence française dans cette partie du monde dès l’époque moderne, c’est au XIXe siècle que commencent véritablement les relations entre les territoires qui, plus tard, formeront le Laos, le Vietnam et le Cambodge. Déclenchée initialement en 1858 sur ordre de Napoléon III pour des raisons religieuses et économiques (il s’agit alors de faire cesser les exactions commises contre les Chrétiens et de tenter d’ouvrir une voie de pénétration vers la Chine à partir des bouches du Mékong), la colonisation française se poursuit dans les décennies suivantes. En 1887, l’Union indochinoise est officiellement créée et regroupe, à terme, cinq entités gérées plus ou moins directement : le Laos, le Cambodge, le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine, celle-ci ayant, seule, le statut de colonie. Au cours de la première moitié du vingtième siècle, la France renforce sa souveraineté et développe les infrastructures mais cet élan n’est pas sans créer de fortes inégalités et, au début des années trente, les revendications sociales qui se font jour s’accompagnent de celles réclamant l’indépendance. Les révoltes qui éclatent en 1930, qu’elles soient le fait de mouvements nationalistes ou communistes sont cependant facilement écrasées, notamment du fait de leur peu d’assise populaire et de l’efficacité de la Sûreté générale. C’est, en définitive, un événement extérieur qui vient bouleverser l’ordre colonial établi et mettre fin à la Pax Gallica. En effet, au début de l’été 1940 et suite à la défaite de la France contre l’Allemagne nazie, le Japon profite de la disparition de la métropole comme grande puissance sur la scène internationale pour faire valoir ses prétentions sur l’Indochine. Celle-ci doit devenir, en Asie, une pièce centrale dans la politique impérialiste nippone. Pendant quatre ans, au terme d’accords passés entre le gouvernement de Vichy et celui de Tokyo, les autorités politiques et militaires françaises vont côtoyer leurs homologues japonaises, jusqu’à ce que ces dernières, en raison de la tournure défavorable que prend la guerre contre les Britanniques et les Américains, se décident de mettre fin au statu quo : le Japon ne veut pas prendre le risque de voir l’Indochine, devenue capitale pour le contrôle de leurs voies de communication, entrer en dissidence et rejoindre les Alliés. Le 9 mars 1945, par un coup de force brutal et sanglant, la souveraineté qui restait de la France en Indochine est balayée, seuls quelques milliers de militaires parviennent à se réfugier en Chine, les autres trouvent la mort au combat ou sont internés – avec la population civile européenne – dans des camps aux conditions de vie indignes et inhumaines.
Profitant du vide politique créé, un acteur, resté jusqu’alors dans l’ombre, se lance à la conquête du pouvoir. Le Viêt-Minh (abréviation de Viêt Nam Doc Lap Dong Minh ou Ligue pour l’indépendance du Vietnam), mouvement communiste dirigé par des révolutionnaires formés à l’école de Moscou s’impose progressivement par l’adhésion ou l’endoctrinement des masses et l’élimination de ses adversaires politiques. Le 2 septembre 1945, son chef, Hô Chi Minh, proclame l’indépendance du Vietnam alors même qu’en France, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) se prépare à reprendre pied dans ses anciennes possessions asiatiques et à y restaurer sa souveraineté. Le corps expéditionnaire, formé initialement pour participer à la lutte contre le Japon, voit sa mission redéfinie : il doit désormais assurer le retour de l’ordre français. Si la France est prête à accepter quelques aménagements dans le statut des territoires et des populations qu’elle administre, en accordant, notamment, plus d’autonomie, ses propositions se heurtent aux revendications du Viêt-Minh qui entend obtenir l’indépendance pleine et entière et la réunion des trois régions constituant le Vietnam (Tonkin, Annam, Cochinchine) au sein d’un seul et même État. Enfin, l’instauration d’un régime communiste, même si ce dernier aspect est à l’époque encore peu mis en avant – dans le but de rassembler le plus largement possible les Vietnamiens – est également au cœur de sa politique.
Les années 1945 et 1946 sont marquées par une guerre larvée où alternent négociations et opérations. L’antagonisme radical des positions des uns et des autres, les arrière-pensées et manœuvres politiques diverses des deux camps se soldent finalement par la rupture quand, le 19 décembre 1946, le Viêt-Minh ordonne à ses troupes de prendre d’assaut les principales garnisons du Tonkin : la guerre d’Indochine vient officiellement de commencer. Elle va durer neuf ans. Entre 1947et 1949, le corps expéditionnaires composé d’une centaine de milliers d’hommes renforcé de quelques dizaines de milliers de supplétifs s’efforce, avec les moyens dérisoires et souvent obsolètes consentis par Paris, de venir à bout d’une insurrection qui, si elle n’est pas encore très bien armée, bénéficie par la persuasion ou la violence du soutien populaire. Dans le même temps, les gouvernements français qui se succèdent, ont enfin compris que le retour au statu quo ante étant impossible, il était nécessaire de s’appuyer sur des personnalités locales favorables au maintien de la présence française. C’est dans ce contexte que se met en place la solution Bao Daï, à savoir le retour de l’ex-empereur d’Annam sur sont trône, dans un Vietnam enfin unifié. À la fin de l’année 1949, le processus politique débouche sur la création de trois États associés à la France : le Vietnam, le Laos et le Cambodge. Ces derniers ont également la mission de mettre sur pied des armées nationales afin de participer à la défense et à la sécurité de leur territoire, le souhait de la France étant bien, à terme, de se désengager d’un conflit qui grève lourdement ses finances.
Un événement géopolitique extérieur va, une fois encore bouleverser la situation. En effet, à la fin de l’année 1949, la victoire de Mao et son armée sur les nationalistes de Tchang Kaï-Chek et l’instauration d’une République populaire de Chine, permet désormais au Viêt-Minh de disposer d’un sanctuaire où, à l’abri de toute intervention française, son bras armé, l’armée populaire vietnamienne (APV), va pouvoir équiper, instruire et entraîner ses cadres et ses combattants. Le général Giap, son commandant en chef, développe avec l’aide de conseillers chinois un corps de bataille moderne qui sait, dès l’été 1950, manœuvrer et coordonner ses actions. La guerre change de nature ; si les combattants français le comprennent bien sur le terrain, le haut commandement n’en prend véritablement conscience qu’à l’issue de la bataille de la Zone frontière du Nord-Est, plus connue sous le nom de bataille de Cao Bang (ou de la Route coloniale 4). Les tergiversations et erreurs des autorités gouvernementales, en France, ou locales, en Indochine, conduisent à la disparition, au mois d’octobre 1950, de milliers de soldats du corps expéditionnaire, tués ou faits prisonniers, ces derniers commençant une longue captivité placée sous le sceau des privations et de la rééducation politique.
Au lendemain du désastre de Cao Bang, le gouvernement français, qui n’est pas encore dans une logique de sortie de guerre, nomme un chef prestigieux au poste de commandant en chef et de haut commissaire de France : le général de Lattre de Tassigny. Ce dernier reçoit la triple mission de redresser le moral du corps expéditionnaire, de développer l’armée nationale vietnamienne et d’obtenir un accroissement de l’aide américaine, ce qu’il parviendra en partie à réaliser. Les victoires qu’il obtient au début de l’année 1951, dont celle de Vinh Yen en janvier, portent certes de rudes coups à l’APV, mais ne changent rien à la situation d’un point de vue stratégique. Avec Bao Daï et les autorités vietnamiennes, les relations sont difficiles et, au mois de septembre 1951, le général de Lattre ne fait pas montre d’un grand optimiste lorsqu’il écrit : « Il peut survenir une catastrophe en Indochine, il ne peut pas y surgir de miracle ».
À partir de 1952, son successeur, le général Salan se contente de parer, avec intelligence (la victoire de Na San, au mois d’octobre, en témoigne), les offensives lancées par l’APV qui dispose d’une masse de manœuvre à cette date supérieure à celle du corps expéditionnaire. Ses quelque 200 000 hommes, aidés par les soldats des armées nationales sont en effet absorbés par des servitudes et des missions d’ouverture de routes et seuls quelques bataillons, en majorité parachutistes ou légionnaires, sans cesse sur la brèche, constituent la réserve générale du commandant en chef. Au début de l’année 1953, Salan est remplacé par le général Navarre qui doit, « avec des yeux neufs » créer les conditions favorables à une sortie de guerre : le fardeau de la guerre d’Indochine est devenu insupportable aux finances françaises et est, d’un point de vue militaire, dans une impasse. Le plan qu’il élabore est toutefois mis à mal par la stratégie du Viêt-Minh qui cherche à éliminer toute présence française en pays thaï et à internationaliser la guerre en menaçant le Laos. La réoccupation de la vallée de Diên Biên Phu, à partir du mois de novembre 1953, est une réponse à l’offensive du Viêt-Minh. La base aéroterrestre voulue par Navarre se transforme progressivement en camp retranché devant la volonté de l’APV de faire tomber la garnison française. La décision, prise à Berlin au mois de février 1954, de réunir une conférence chargée de débattre « du rétablissement de la paix en Indochine », renforce cette volonté et, à compter de cette date, Hô Chi Minh et Giap sont bien décidés à arriver à la table des négociations avec un atout de poids : la chute de Diên Biên Phu. Malgré le courage des défenseurs français, la bataille qui débute le 13 mars 1954 s’achève par une défaite le 7 mai 1954. Cette dernière accélère la fin de la guerre et, le 21 juillet 1954, les accords de Genève qui mettent fin aux hostilités en Indochine consacrent la création de deux États et divisent le pays à hauteur du 17e parallèle.
La France va encore rester deux années au Sud-Vietnam, deux années au cours desquelles, son influence et sa présence sont progressivement supplantées par celles de « l’allié » américain qui a décidé de faire de Ngo Dinh Diem, devenu président du Sud-Vietnam à la fin de l’année 1955, son champion dans la lutte contre le communisme. Au début de l’année 1956, c’est ce dernier qui, après avoir dénoncé tous les accords liant encore son pays à la France, demande à Paris de retirer ses troupes. Le 28 avril 1956, le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient est dissout et ses dernières unités constituées quittent le Sud-Vietnam. Près de 100 000 soldats de l’Union française sont, au total, morts au combat, des suites de leurs blessures, dans les camps du Viêt-Minh ou du fait de maladie entre 1945 et 1954 ; parmi eux, l’armée française déplore la perte de plus de 20 000 officiers, sous-officiers et soldats métropolitains contre 11 000 légionnaires, 15 000 Africains et Nord-Africains. Enfin, 45 000 combattants cambodgiens, laotiens mais principalement vietnamiens, ont également disparu auprès de leurs frères d’armes européens ou africains. Aujourd’hui la France et le Vietnam entretiennent des relations apaisées autour d’un passé commun dont quelques lieux et quelques réalisations témoignent de la présence française. Autour du delta du fleuve Rouge et de Hanoï, les blockhaus de la ligne de Lattre, désormais silencieux, rappellent à eux seuls cette guerre du « bout du monde » qui n’a suscité que peu d’intérêt à l’époque de la part de la France et pour laquelle, pourtant, sont tombés nombre des siens. Souvenons-nous.
Ivan Cadeau
Le mémorial du Mont-Valérien D’après l’ouvrage « Passant, souviens-toi ! : les lieux du souvenir de la Deuxième Guerre mondiale en France », Annette Wieviorka et Serge Barcellini, éditions Plon,1995. Le Mémorial de la France combattante du Mont-Valérien (Hauts-de-Seine), lieu où culminent chaque année les cérémonies anniversaires du 18 Juin, est le site par excellence de la […]
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