Le Souvenir Français et le rapport de Benjamin Stora au président de la République

29 janvier 2021

A la recherche des Morts pour la France


Mais où sont passés les Morts pour la France ?

Dans les 157 pages du rapport de Benjamin Stora consacré aux questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie, cette expression n’est pas à l’ordre jour.

Elle n’est présente qu’à trois reprises, deux fois dans des citations d’un discours de Jacques Chirac et d’un texte de loi, donc de manière extérieure à la rédaction de l’auteur, et une seule fois sous la plume de ce dernier.

Cette seule fois concerne les tombes des soldats musulmans « Morts pour la France » dont le gouvernement algérien a refusé après l’indépendance le regroupement dans des nécropoles nationales françaises et dont il est demandé par l’auteur que la France finance, aujourd’hui, leur entretien aux familles (p. 97).

Quant aux 25.719 jeunes morts sous l’uniforme français en Algérie (chiffre du rapport), soit, ils ont été tués (p. 31 et 42) – soit, ont perdu la vie (p. 14) – soit, sont morts (p. 44) – soit, sont des victimes (p. 15 et 41) mais jamais n’apparaissaient comme « Morts pour la France » sous la plume de Benjamin Stora.

Il est donc bon de rappeler que la mention « Mort pour la France » a été créée par la loi du 2 juillet 1915 et a été introduite par les termes suivants : « Il semble juste que l’état civil enregistre, à l’honneur du nom de celui qui a donné sa vie pour le Pays, un titre clair et impérissable à la gratitude et au respect de tous les Français ».

Les militaires qui participaient au « maintien de l’ordre et à la pacification » de l’Algérie ont eu droit à la mention « Mort pour la France » lorsqu’ils décédaient dans les cas prévus par la loi.

L’absence d’utilisation de l’expression « Mort pour la France » dans ce rapport traduit donc une certaine conception de la guerre d’Algérie.

Alors que pour l’Algérie, c’est une guerre « lumineuse », une guerre de libération qui conduit à l’indépendance ; pour la France, le contexte historique de la guerre ne correspond plus à la perception actuelle mémorielle des opinions publiques françaises, ou du moins d’une partie de cette opinion publique.

La guerre d’Algérie a été conduite par la France afin de conserver trois départements alors considérés comme français.

Dans ce cadre, à l’origine l’attribution de la mention « Mort pour la France » est ambiguë.

Peut-on mourir pour la France dans une opération de maintien de l’ordre où l’autre est une composante de sa propre nation ?

Cette ambiguïté se lit dans la loi de 1955 qui définit les droits des combattants qui interviennent alors en Algérie.

L’article L.511-11 qui définit l’attribution de la mention « Mort pour la France » leur est ouvert sans que le texte publié au Journal Officiel ne précise que cet article concerne la mention « Mort pour la France ».

Dès lors, au cours des milliers de cérémonies organisées sur le sol métropolitain pour l’inhumation dans des tombes familiales des combattants tués en Algérie, l’expression « Mort pour la France » est très rarement utilisée. Sur les tombes est majoritairement inscrit l’expression « tué en Algérie ». La guerre d’Algérie est alors une guerre qui cache son nom comme sont cachés ses morts pour lesquels aucune nécropole nationale n’est alors construite en France.

L’arrivée au pouvoir du président Valéry Giscard d’Estaing ouvre un deuxième temps de l’utilisation de la mention « Mort pour la France ». La guerre d’Algérie s’impose comme une réalité historique.

La loi du 9 décembre 1974 donne « vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ». Les anciens combattants d’une guerre qui cache encore son nom sont reconnus.

Le 16 octobre 1977, un soldat inconnu, relevé au cimetière du Petit Lac à Oran est inhumé à Notre-Dame-de-Lorette en présence du Président de la République.

Cette inhumation donne sa pleine signification à la mention « Mort pour la France » en Algérie qui va dès lors trouver toute sa place en France sur les monuments aux morts communaux, sur les mémoriaux départementaux et sur les tombes familiales.

Ces deux temps essentiels de l’inscription de la guerre d’Algérie dans notre mémoire nationale sont oubliés dans le rapport de Benjamin Stora.

La reconnaissance le 10 juin 1999 par l’Assemblée Nationale du terme « guerre d’Algérie » clôt ce temps de la reconnaissance des « Morts pour la France ».

Elle intervient tardivement alors que se développe un troisième temps, celui de la mise en avant d’une guerre sale conduite par la France au moyen de la torture, des assassinats, de l’utilisation du napalm qui porte le nom de « bidons spéciaux » (p. 49) et du déplacement des populations.

Ce temps de la critique sur les objectifs politiques et les opérations miliaires rejoint paradoxalement pour les « Morts pour la France », le premier temps de la guerre cachée. Hier, on dissimulait leur mort, aujourd’hui on souligne qu’ils sont morts pour rien, pire qu’ils seraient morts pour une sale guerre coloniale.

Dès lors, la question que nous devons nous poser à la fin de la lecture du rapport de Benjamin Stora est bien celle de la réconciliation, et avant tout, celle de la réconciliation des Français avec leur propre histoire. Le Souvenir Français qui depuis plus de 130 ans transmet le flambeau du souvenir aux jeunes générations en leur inculquant, par la connaissance de l’histoire, l’amour de la Patrie et le sens du devoir, considère que la solidarité de la Nation et la foi dans le fonctionnement de la République ne doit pas souffrir en ces temps déjà bien cruel d’un conflit de mémoires.

Aucune réconciliation franco-algérienne ne pourra intervenir si, en même temps, on ne réconcilie pas les mémoires de celles et de ceux qui furent les acteurs ou les victimes de cette guerre, combattants sous uniforme français, harkis, pieds-noirs, partisans de l’indépendance algérienne, victimes de l’OAS.

Et cette réconciliation franco-française doit redonner toute leur place à ceux qui ont donné leur vie sous ordres des autorités légitimes de la République.

A cette fin, nous suggérons les préconisations suivantes :

-La réouverture des dossiers de combattants à qui la mention « Mort pour la France » n’a pas été attribuée. Plus de 4.000 combattants sont dans ce cas

-La sauvegarde des tombes familiales dans les cimetières communaux en France dans lesquelles sont inhumés des combattants « Morts pour la France » en Algérie.

-La géolocalisation de toutes ces tombes et la présentation des destins individuels de chacun de ces combattants.

-La construction d’un monument en hommage aux soldats de l’armée française dont le corps n’a jamais été retrouvé et le soutien du projet conduit par l’association Soldis Algérie.

-La sauvegarde des tombes des anciens harkis dans les cimetières des communes qui ont accueilli des camps de harkis ou des hameaux forestiers.

-Le regroupement en Algérie de tous les corps de combattants « Morts pour la France » restitués aux familles et inhumés dans des cimetières communaux algériens aujourd’hui à l’abandon et la création en Algérie d’un Mémorial national français géré par l’Etat français.

-Le regroupement dans le cimetière national français du Petit Lac à Oran, après accord des familles, des tombes des soldats « Morts pour la France » d’origine musulmane aujourd’hui disséminées dans les cimetières algériens.

-L’attribution de la mention « Mort pour la France » aux six inspecteurs des centres sociaux assassinés en Algérie par l’OAS le 15 mars 1962.

-Le recensement de tous ceux qui habitaient en Algérie entre 1914 et 1962 – quelle que soit leur origine – et qui sont « Morts pour la France » durant les guerres du 20ème siècle (14|18 – 39|45 – Indochine – Algérie) et la création d’un mémorial numérique.

-L’inscription des noms des combattants « Morts pour la France » en Algérie (harkis, pieds-noirs, combattants métropolitains) dans la toponymie urbaine de nos communes.

-La restitution du canon historique « Baba Merzoug », en échange du retour en France du monument aux morts d’Alger « Le Pavois » construit par le sculpteur Paul Landowski en 1928.

Paris, le 27 janvier 2021

Le Contrôleur général des armées (2s) Serge Barcellini, Président général du Souvenir Français

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