Le monument du mois

2 février 2024

Le Mont-Valérien

Texte tiré de l’ouvrage de Serge Barcellini et d’Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Editions Plon, 1995, p.166-177.

LE MONT-VALERIEN ET LA CROIX DE LORRAINE

Le Mémorial de la France combattante du Mont-Valérien (Hauts-de-Seine), lieu où culmine chaque année les cérémonies anniversaires du 18 Juin, est le site par excellence de la mémoire nationale. Occupé par les armées allemandes en juin 1940, ce site isolé fut choisi comme lieu principal des exécutions de la région parisienne. Le 1er janvier 1941, René Lucien Argolvy y était fusillé, suivi par 13 autres victimes dans la première moitié de l’année 1941. Avec le début des attentats communistes contre les militaires allemands, les Allemands procédèrent à des représailles, fusillant individuellement ou par groupes. Au Mont-Valérien, 10 otages étaient fusillés le 16 septembre 1941 ; 76, parmi eux Gabriel Péri, le 15 décembre. Le 11 août 1942, ce sont 88 fusillés et 118 encore le 11 du mois suivant. Le nombre exact des fusillés du Mont-Valérien n’a pas pu être établi. Une étude de l’adjudant Robert Dor datant du 21 février 1945 fait état de 939 exécutions ; celle de Serge Klarsfeld rédigée en 1986 à partir des registres de l’état civil de Suresnes donne 953 victimes, tandis que les recherches de la Délégation à la mémoire et à l’information historique (1989) aboutissent à un chiffre de 1039. Ces chiffres sont inférieurs aux 2 000 dont se souvient dans ses mémoires l’abbé Stock, et aux 4 000 auxquels la gerbe déposée par le général de Gaulle le 1er novembre 1944 rendait hommage (photo 1).

Cette incertitude explique en partie l’absence d’une plaque commémorative sur le site des fusillades. En 1955, l’Associations des écrivains combattants, s’étonnant de cette absence, proposa le texte d’une plaque à apposer sur une casemate, à proximité de la butte des fusillés :

Ici
furent fusillés de 1941 à 1944
environ 4 000 résistants qui refusèrent
de s’incliner devant la domination
germanique

L’architecte en chef des bâtiments historiques proposa, au lieu de la plaque prévue, une véritable dalle, identique par sa dimension et son matériau, le grès, à celle installée à la Clairière de Rethondes et célébrant la victoire dans la guerre de 14-18. Cette dalle fut installée horizontalement au centre de la clairière des Fusillés, et inaugurée le 2 novembre 1959, lors de la cérémonie de la pose de la première pierre du Mémorial de la France combattante (photo 2). Elle porte un texte dont la symétrie avec celui de Rethondes est visible :

Ici
de 1940 à 1944
tombèrent plus de 4 500 résistants
fusillés par l’ennemi
pour leur indomptable foi
dans les destins de leur pays

L’absence de plaque dans la clairière pendant vingt-cinq ans fut compensée par l’apposition de plaques personnalisées sur les maisons ou immeubles où avaient vécu les fusillés : près d’une quinzaine à Paris, précisant en général la fonction dans la Résistance et la date d’exécution. Ainsi, au 3 rue Vauquelin (5e arrondissement) : Ici habitait Jacques Solomon, docteur ès sciences, organisateur de la Résistance universitaire, fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942 à l’âge de 34 ans ; au 123 quai de Jemmapes (10e arrondissement) : A la mémoire de notre camarade Edouard Maury, secrétaire de la section des Egouttiers, fusillés par les nazis au Mont-Valérien le 29 décembre 1943; au 182 rue de la Croix-Nivert (15e) : Ici, le 23 avril 1941, Hervé Albert, pilote-aviateur 1914-1918, fut arrêté par la Gestapo. Pionner des Forces françaises libres, il a été fusillé le 23 mai 1942 au Mont-Valérien. Des plaques semblables figurent en province. Donnons quelques exemples. En Vendée, à La Roche-sur-Yon, à l’angle de la rue Thiers et de la rue La Fayette, est signalé :

Ici fut arrêté
le 19 mai 1941
Ernest Seigneuret
héros et martyr de la Résistance
fusillé au Mont-Valérien
le 5 novembre 1941

En Côtes-d’Armor, trois plaques pour trois lycéens de 18 ans fusillés le 21 février 1944. L’une d’entre elles, à Etables-sur-Mer, indique :

Ici vécut
Pierre Le Cornec
lycéen
franc tireur
fusillé par les Allemands
au Mont-Valérien
le 21 février 1944
à l’âge de 18 ans

La cérémonie de pose de la première pierre d’un mémorial au Mont-Valérien se déroula conjointement avec l’inauguration de la dalle. Pris sans doute par la beauté du site et par sa puissance idéologique, le général de Gaulle avait fait sienne l’idée présentée en 1945 par le ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, Henri Frenay : transformer le Mont-Valérien en mémorial de la Seconde Guerre mondiale. « La sépulture définitive, écrit Henri Frenay dans ses Mémoires, rapportant sa conversation avec de Gaulle, je la vois sous la forme d’un phare, semblable à ceux de l’Océan, érigé au point culminant du Mont-Valérien, là où tant de résistants ont été fusillés. Une crypte recevrait les corps et, pour que la capitale et les générations futures se souviennent, le phare, chaque nuit, émettrait sur Paris le V lumineux de la Victoire.1 » Le 6 novembre 1945, une souscription nationale était lancée. Cinq jours plus tard, le 11 novembre, quinze corps étaient solennellement inhumés dans une crypte provisoire installée dans une ancienne casemate.

            Hautement symboliques, ces quinze corps devaient représenter la France restée au combat de 1940 à 1945 : combats de la Bataille de France, des Forces françaises libres sur le continent africain, des résistants et des maquisards sur le territoire national de 1941 à 1944, des armées de la libération de 1944-1945. Onze des quinze combattants avaient été « tués à l’ennemi ». Mais quatre représentaient la France martyre, celle des prisonniers de guerre fusillés pour faits de résistance, des résistants déportés, fusillés, assassinés. Ce 11 novembre 1945, aucune place pour ceux qui furent simplement des victimes : prisonniers de guerre, requis du STO, victimes civiles, malgré-nous, juifs morts dans les centres d’extermination.

            Mais il ne suffit pas de représenter tout le spectre de la France au combat. Il faut aussi que tous les espaces géographiques soient là : tous les territoires de l’Empire (Afrique occidentale française et Afrique équatoriale française, Afrique du Nord, colonies du Pacifique), tous les champs de bataille où s’illustrèrent les Français (la France métropolitaine, l’Allemagne, l’Italie, l’Afrique). Il faut encore que toutes les armées de la France combattante soient représentées : 1re DFL, 2e DB, 1re armée ; mais aussi toutes les armes : mer, terre, air. Enfin, il faut que les femmes aient une place, même ténue2, puisque Berty Albrecht et Renée Lévy les représentent.

            Avec cette inhumation dans une crypte, fût-elle provisoire, deux endroits du même site entraient en rivalité : la crypte, lieu d’une mémoire globale de tous les morts combattants, et la clairière où les victimes avaient été fusillées.

            Le 20 janvier 1946, le jour où de Gaulle quittait le pouvoir, un décret était publié au Journal Officiel, désignant les membres du comité national chargé de gérer la construction du mémorial. Dès lors, le Mont-Valérien devenait l’enjeu d’une bataille de mémoire où rivalisaient trois acteurs. Le général de Gaulle et les associations de la France Libre qui firent de la crypte le point culminant des cérémonies du 18 juin ; le parti communiste qui concentrait ses commémorations dans la clairière des Fusillés, « le Golgotha de Paris », comme il la nommait en novembre 1948 ; les gouvernements de la IV République qui tentaient de se frayer un chemin entre les mémoires gaulliste et communiste en multipliant les initiatives aussi bien dans la crypte que dans la clairière, comme la décision gouvernementale d’inhumer, en pleine guerre d’Indochine, un seizième corps, celui d’Edmond Grethen, symbolisant la résistance française aux Japonais, et l’institution de la Journée nationale de la déportation. De fait, le 24 avril 1954, la cérémonie principale de la première journée nationale, calquée sur celle du 18 juin, « en souvenir des victimes de la déportation et morts dans les camps de concentration du IIIe Reich au cours de la Seconde Guerre mondiale » était organisée au mont Valérien. Une urne contenant des cendres prélevées dans un camp de concentration nazi était alors déposée dans la crypte.

Le Mémorial

            De Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, relance immédiatement le projet de mémorial de la France combattante qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis le 20 janvier 1946. La mission de le réaliser incombe à Félix Brunau, inspecteur général des Bâtiments civils et des Palais nationaux, architecte et conservateur du Mont-Valérien depuis 1946. Pour fusionner les mémoires communiste et gaulliste, le glacis sud-est, le plus proche de la clairière des fusillés, est choisi pour adosser le futur mémorial. De part et d’autre d’une large esplanade de 12 000 mètres carrés formant le V de la victoire, des gradins sont élevés pour permettre à la foule d’assister aux cérémonies. Face à l’esplanade, adossé au mur du fort d’origine, le mémorial développe sur plus de 120 mètres de longueur un contre-mur en grès des Vosges rose, le matériau qui est déjà celui de la dalle des fusillés. Jaillissant en surplomb du mur des fortifications, fixés sur le contre-mur, seize tombeaux, dont les thèmes ont été choisis par Edmond Michelet, alors ministre des Anciens Combattants, sculptés chacun par un sculpteur différent. Ainsi, de gauche à droite en faisant face au mur, se succèdent, suivant une description due à Félix Brunau :

Joseph Rivière : l’Alsace. Deux mains, dans un geste d’offrande vers les armoiries de Colmar, symbolisent la libération de la province.

Georges Saupiqué : Casablanca. Les forces navales françaises libres luttent pour desserrer l’étreinte d’une pieuvre dont les tentacules cherchent à les étouffer.

Marcel d’Amboise : Paris. Dans un alvéole rappelant les contours de la capitale, la main de l’occupant, empoignée par la Résistance brisant ses chaînes, est contrainte de lâcher prise.

Raymond Corbin : le maquis. Dans l’ombre des forêts, les maquisards guettent et frappent. Vigilante et résolue, la France veille sur eux.

René Leleu : Alençon. Tel le phénix renaissant de ses cendres, l’armée française livre sa première grande bataille sur le sol enfin retrouvé de la Mère patrie.

Pierre Duroux : Saumur. Les cadets de l’école de cavalerie livrent un combat désespéré pour l’honneur de l’armée. Le soldat tombe, mais son sacrifice ne sera pas vain.

Henri Lagriffoul : la Déportation. Dans un suprême effort, deux mains émaciées tentent d’arracher les barbelés qui lacèrent un cœur torturé.

Claude Grance : les Forces aériennes françaises libres. Malgré la menace des rapaces dont les serres se referment inexorablement, les liaisons seront assurées et les missions accomplies.

Alfred Janniot : l’action. La France Libre poursuit le combat et serre dans ses bras ses fils immolés pour que la Patrie survive.

Aimé Bizette-Lindet : le Fezzan. La Nation, symbolisée par un lion blessé mais toujours debout, attaque et pourchasse l’ennemi sur ses territoires les plus lointains.

Maurice Calka : les fusillés. Lacéré par les balles du peloton d’exécution, l’homme n’est plus qu’une matière sans visage et sans forme. De sa chair pitoyable se lève l’anathème contre l’oppression et la guerre.

Ulysse Gemignani : Cassino. Saisi dans le carcan de l’armée française d’Italie, l’aigle ennemi commence à faiblir.

Raymond Martin : Bir Hakeim. Après une résistance sublime, la 1re division française libre, livrée à ses seules ressources, force par le glaive le barrage d’acier et de feu qui l’encercler.

Robert Juvin : Narvik. Comme une nef percée de flèches, mais toujours à flot, le corps expéditionnaire français, en dépit de tous les périls, quitte la Norvège, pavillon haut.

René Andrei : Sienne. La France force la victoire à rallier définitivement les rangs des Alliés.

Louis Dideron : le Rhin. Strasbourg, mutilée mais indomptée, brise ses chaînes et libère le Rhin.

            Au centre du monument a été érigée une imposante croix de Lorraine de 12 mètres de haut (photo 3), dont la signification gaullienne est encore accentuée par l’inscription de la dernière phrase de l’appel du 18 juin :

Quoi qu’il arrive la flamme de la résistance
française ne doit pas s’éteindre
et ne s’éteindra pas
Charles de Gaulle
Le 18 juin 1940

            Sous les bras de la croix de Lorraine, deux portes de bronze donnent accès à la crypte creusée à flanc de coteau.

La crypte

            La crypte s’ouvre par un couloir conduisant à une nef hexastyle semi-circulaire. Sur le tympan, une phrase se détache : Nous sommes ici pour témoigner devant l’histoire que de 1939 à 1945, ses fils ont lutté pour que la France vive libre, Au pourtour d’une sorte d’abside basse formant sanctuaire, seize cercueils en bois précieux, frappés d’une marque d’or, recouverts de linceuls tricolores, rayonnent vers le centre. Ils ne contiennent pas les dépouilles des combattants transférés lors de la cérémonie du 11 novembre 1945, ni le seizième corps que nous avons évoqué qui sont enterrés sous la dalle (photo 4). De gauche à droite se succèdent :

  1. Boutie Diasso Kal, né en 1918 à Kayoro, cercle de Ouagadougou (Haute-Volta), soldat au 16e régiment de tirailleurs sénégalais, tué à l’ennemi pendant la campagne de France le 28 mai 1940 à Fouilloy (Somme).
  2. Edmond Grethen, né le 23 mars 1898 à Thionville (Moselle), inspecteur en chef de la Garde indochinoise, fusillé par les Japonais le 16 mars 1945 à Thakhek (Laos).
  3. Raymond Anne, né le 17 décembre 1922 à Villers-Bocage (Calvados), sergent FFI, dit « Filochard » dans la Résistance, tué à l’ennemi à Vassieux-en-Vercors (Drôme), le 21 juillet 1944.
  4. Maboulkede, né en 1921 à Dangarare (Tchad), soldat au 24e bataillon de marche, participe au débarquement de Provence, tué à l’ennemi le 22 août 1944 à La Garde (Var),  1ère DFL, inhumé en 1960 en substitution d’un prisonnier de guerre reconnu comme traître à la nation3.
  5. Berty Albrecht, résistante, membre fondateur du mouvement « Combat », née le 15 février 1893 à Marseille, décédée à la prison de Fresnes le 31 mai 1943. Compagnon de la Libération.
  6. Maurice Debout, né le 30 décembre 1914 à Arras (Pas-de-Calais), prisonnier de guerre, fusillé le 13 mars 1944 à Oberhonau (Bavière).
  7. Pierre Ulmer, né le 24 juillet 1916 à Châtellerault (Vienne), dragon au 4e régiment de dragons portés. Tué à l’ennemi le 24 mai 1940 pendant la campagne de France à la ferme de Berthonval (Pas-de-Calais).
  8. Georges Brière, né le 24 décembre 1922 à Reims (Marne), matelot au 1er régiment de fusiliers marins de la 1ère division française libre, tué à l’ennemi le 25 novembre 1944 à Giromagny (Territoire de Belfort).
  9. Hubert Germain, né le 6 août 1920 à Paris, résistant, 1ère Division légère française libre, 13e Demi-Brigade de Légion étrangère, dernier Compagnon de la Libération, décédé le 12 octobre 2021 à Paris, inhumé le 11 novembre 2021.
  10. Albert Touny, colonel Guérin dans la Résistance, né à Paris le 24 octobre 1886, résistant, chef de l’Organisation civile et militaire (OCM), fusillé en avril 1944 à Arras (Pas-de-Calais), Compagnon de la Libération.     
  11. Jean Charrier, né le 1er juin 1920 à Paris, soldat au 152e régiment d’infanterie, tué à l’ennemi le 26 novembre 1944 dans le bois de St Jean près de Courtelevant (Territoire de Belfort).
  12. Allal Ould M’hamed Ben Semers, né en 1920 au douar Bourjaa (Maroc), soldat de 2e classe au 1er régiment de tirailleurs marocains, matricule 13 867, tué à l’ennemi le 6 octobre 1944 à Briançon (Hautes-Alpes).
  13. Hedhili Ben Salem Ben Hadj Mohamed Amar, présumé né en 1913 à Hergla, caïdat de Sousse (Tunisie), soldat au 4e régiment de tirailleurs tunisiens, tué à l’ennemi pendant la campagne de France, le 16 juin 1940 à Aunay-sous-Auneau (Eure-et-Loir).
  14. Henri, Antoine, Jean Arnaud, né le 24 août 1907 à Paris, aviateur, commandant de la 4e escadre de chasse, tué à l’ennemi le 12 septembre 1944 à Roppe (Territoire de Belfort).
  15. Marius Elie Duport, né le 7 avril 1919 à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), sous-lieutenant du 22e bataillon nord-africain, tué à l’ennemi pendant la campagne d’Italie, le 4 mai 1944 à San Clemente (Italie).
  16. Antoine Mourgues, né le 13 octobre 1919 à Lorient (Morbihan), caporal-chef au bataillon du Pacifique, tué à l’ennemi le 1er novembre 1942 à El Mreir en Libye, au cours de la bataille d’El Alamein.
  17. Renée Lévy, née le 25 septembre 1906 à Auxerre (Yonne), professeur de lettres, résistante, membre du réseau du Musée de l’Homme, puis du réseau Hector, arrêtée le 25 novembre 1941, déportée, décapitée le 31 août 1943 à la prison de Cologne (Allemagne).

Au cœur de l’hémicycle, enfouie sous les volutes en acier forgé d’un motif allégorique, l’urne de cendres de déportés déposée en avril 1954. Dans le narthex, surmonté de la devise des Compagnons de la Libération : Patriam Servando Victoriam Tulit (en servant la patrie il a remporté la victoire), est encastré l’habitacle du Livre d’Or ouvert à l’occasion de l’inauguration du monument.

Le mémorial fut inauguré en deux temps, en 1960 et 1962.

Le 17 juin 1960, sous la présidence de Raymond Triboulet, ministre des Anciens Combattants, et du chancelier de l’ordre de la Libération, se déroula l’inauguration de la crypte. A 22h30, devant quelque 15 000 personnes, les seize cercueils symboliques y étaient transférés. Le lendemain, 18 juin, le général de Gaulle participait, comme il le faisait depuis 1946, aux cérémonies et se recueillait pour la première fois dans la crypte définitive.

Deux ans plus tard, le 10 mars 1962, Raymond Triboulet inaugurait la seconde composante du site mémoriel du mont Valérien : le parcours du souvenir, qui permet au visiteur de découvrir la clairière des Fusillés.

La clairière

            De la crypte, des escaliers mènent à la ligne de crête du glacis intérieur. De là, un escalier, creusé en sape, longe la face interne du mur escarpé et permet d’atteindre le chemin de ronde : une passerelle en béton armé serpentant à flanc de coteau. Cet ouvrage léger repose sur quelques poteaux, installés de place en place, à travers les frondaisons. Il conduit à la chapelle où les condamnés étaient rassemblés avant d’être conduits jusqu’à la sinistre clairière, par un sentier passant entre un champ de mines et une haute muraille austère plus que centenaire. Tout a été restauré ou conservé dans l’état d’origine. Pour préserver la clairière, et, en son centre, la dalle commémorative, un chemin de contournement a été créé.

            En aménageant une seule entrée pour la crypte et la clairière, les portes de bronze placées sous les bras de la croix de Lorraine, l’architecte Félix Brunau a réussi la symbiose des mémoires gaullienne et communiste, tout en établissant une hiérarchie. Par le biais de la croix de Lorraine qui ouvre et clôt toute visite à la clairière des Fusillés, c’est bien la première mémoire qui domine même si l’inauguration en 2003 d’une cloche commémorative (photo 5) sur laquelle sont inscrits les 1 008 fusillés connus de la clairière tend à corriger cette exposition.

LA CROIX DE LORRAINE

            La croix de Lorraine s’est généralisée comme symbole de la Résistance. Elle n’est pas spécifique à la seule France Libre. Pourtant, les associations et les amicales de la France Libre ont cherché à sauvegarder la spécificité du symbole, en en accentuant l’usage. Au lieu de l’utiliser comme un simple marqueur sur des stèles ou des plaques, elle est l’élément principal, sinon unique, de la stèle ou du monument.

Le Monument croix de Lorraine

           Le monument de la France Libre se réduit souvent à une seule croix de Lorraine, comme à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne) (photo 5). Implantée sur le sommet de la « Montagne », une petite colline arrondie culminant à 397 mètres d’altitude et dominant d’une cinquantaine de mètres le paysage environnant, la croix est visible d’une dizaine de kilomètres à la ronde. Réalisée par deux architectes anciens résistants, Marc Nebinger et Michel Mosser, ses proportions sont majestueuses : 43.50 m de hauteur, 4 mètres de largeur, 19 et 16 mètres de longueur pour les bras supérieurs et 14 et 10 mètres pour les bras inférieurs. Elle a nécessité 1500 tonnes de béton et de granit rose, une quantité de matériaux équivalente à celle utilisée pour le mémorial de la France combattante.

           Si la croix de Colombey est incontestablement la plus considérable, d’autres croix de Lorraine ont été dressées, aux proportions à peine plus modestes. A Camaret (Finistère), le monument aux Bretons de la France Libre réalisé par François Bazin et J.B. Masson, inauguré par le général de Gaulle le 15 juillet 1951, se présente comme une croix de Lorraine de 13 mètres de haut, montée sur une base de 15 mètres de haut et de 7 de profondeur. La base est ornée sur ses deux faces de bas-reliefs et d’inscriptions. Sur la partie centrale du monument sculptée, une statue de la libération de 4 mètres de haut, chaîne brisée aux poignets. Le blason de la Bretagne et les noms de toutes les batailles, du Tchad au Rhin, sont gravés. Les bas-reliefs disposés de part et d’autre de la statue soulignent la diversité des hommes et des femmes qui s’engagèrent dans la France Libre : marins, paysans, pêcheurs, femmes en habits bretons. Mais ils soulignent aussi la diversité des uniformes, la diversité des armes : marins, aviateurs, fantassins du Tchad, conducteurs de chars… L’ensemble est, comme la croix de Colombey, d’une majestueuse grandeur et s’intègre parfaitement dans le paysage sévère, monotone et rude de cette partie de la côte bretonne.

           Dans le même département du Finistère, un second monument rend hommage à l’engagement des Bretons dans la France Libre : celui de l’Ile de Sein. Inauguré le 7 septembre 1960, lui aussi par le général de Gaulle, c’est une croix de Lorraine en granit à laquelle est adossé un marin-pêcheur revêtu d’un ciré. A ses pieds est inscrite « à la mode celtique » la devise ancestrale des Bretons :

Kentoc’h Mervel
Plutôt mourir

Sur le socle, une seconde inscription éclaire le sens de la première :

Le soldat
qui ne se reconnaît pas vaincu
a toujours raison

           D’autres croix de Lorraine ont été érigés, comme à Créteil (Val-de-Marne) ou à Mérignac (Gironde), au lieu-dit Beurre. Inauguré le 16 juin 1990, ce monument rappelle le départ du général de Gaulle pour l’Angleterre. A Huppy (Somme), une croix de Lorraine en pierre donne son nom au lieu-dit de la Croix de Lorraine.

           La croix de Lorraine est parfois inscrite dans V de la victoire comme à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques, 1990) ou au cimetière de Bangui (République Centre-Africaine, monument inauguré le 28 août 1958).

           Elle est aussi présente en creux, comme celle inaugurée à Dijon (Côte-d’Or) le 29 octobre 1983 et que l’architecte semble avoir conçue pour qu’elle soit visible sous tous les angles, ou celle qui figure à Paimpol (Côtes-d’Armor) sur le monument consacré à la marine marchande de la France Libre. Enfin, la croix de Lorraine peut être intégrée dans un monument plus vaste. Dans ce cas, ce sont ses proportions qui l’imposent comme élément dominant du monument. C’est le cas du monument de la France Libre inauguré en 1966 sur l’esplanade Charles-de-Gaulle du quartier Meriadek de Bordeaux (Gironde) et de celui de Toulon (Var) inauguré le 12 juin 1993. C’est dans cette catégorie que peut-être classé le mémorial de la France Combattante du Mont Valérien.

           Avec la commémoration de l’appel du 18 juin et l’usage monumental de la croix de Lorraine, la célébration des actes de la personne de général de Gaulle constitue une autre composante de la politique du souvenir des Français Libres.

Photo 1 : La clairière des Fusillés au Mont-Valérien (Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Clairi%C3%A8re_des_fusill%C3%A9s_du_mont_Val%C3%A9rien_2.jpg).

Photo 2 : Dalle de la clairière des Fusillés du Mont-Valérien (Crédits : Cyrille Weiner).

Photo 3 : Esplanade du Mont-Valérien et mémorial de la France combattante (Crédits : Mary Quincy, DPMA, ONAC).

Photo 4 : Crypte du mémorial de la France combattante (Crédits : Cyrille Weiner).

Photo 5 : La cloche commémorative en hommage aux fusillés du Mont-Valérien. (Crédits : Cyrille Weiner)

  1. Henri Frenay, La nuit finira. Mémoires de Résistance 1940-1945, Paris, Éditions Robert Laffont, 1973, p. 549. ↩︎
  2. Une bonne description de la cérémonie du 11 novembre 1945 se trouve dans Gérard Namer, La Commémoration en France, 1944-1982, Paris, 1983. ↩︎
  3. Nathalie Saint-Cricq, L’ombre d’un traître, Editions de L’Observatoire, 2023. ↩︎

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