Trois questions à Ysabel Saïah-Baudis

28 novembre 2018

Ysabel Saïah-Baudis, journaliste née à Alger d’une mère pied-noir et d’un père algérien, a publié : Pieds-noirs et fiers de l’être (1988) ; Oum Kalsoum, l’étoile de l’Orient (1985, 2004, Editions du Rocher), traduit en arabe par le Centre de traduction du Caire (2008) ; Haram, itinéraire des femmes orientales (2003, Editions du Chêne) ; Douce est la lumière, Le Qohélet, calligraphié par Henri Renoux, en français, arabe et hébreu (2004, Hazan) ; Les Mille et une nuits érotiques, illustrées par Van Dongen (2008, 2012, Hazan) ; Introduction à la princesse de Babylone de Voltaire, illustré par Van Dongen (2012, France Loisirs) ; Mohammed prophète d’Allah, d’Etienne Dinet et de Slimane Ben Ibrahim, préface avec Dominique Baudis (Editions Orients/Klincksieck, 2014) ; Dans ses yeux, photographies de Dominique Baudis commentées par ses amis (Orients Editions, 2015) ; La Main de Fatima, La Khamsa porte-bonheur, 2018.

Elle dirige les Editions Orients qui donnent un nouvel éclairage dans tous les domaines de ces terres si tourmentées et si riches aussi.

1. Quelle doit-être d’après vous la place des combattants musulmans dans la mémoire combattante ?

Je ne suis pas historienne mais les chiffres sont probants. Le nombre des Français musulmans morts pendant la Première Guerre mondiale avoisine les 100 000 soldats. Le British Muslim Heritage Centre a organisé une exposition en 2016 appelée “Stories of Sacrifice” pour leur rendre hommage et rendre publique leur participation à l’effort de guerre. Ils ont dénombré environ 885 000 musulmans engagés dans les troupes alliées. C’est énorme, et c’est deux fois plus que ce qui a longtemps été dit. Ce sont bien sûr des musulmans de tous les territoires coloniaux des Alliés, avec un grand nombre d’Indiens, d’Indonésiens, et de Malgaches, en plus des Africains et des Maghrébins qui sont plus connus de nous. Pendant la guerre, les Alliés écoutaient les demandes religieuses des soldats musulmans. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, ils étaient très sollicités par les troupes adverses, puisque le sultan de Turquie et les Allemands les appelèrent à se joindre à leur « Djihad », ce qu’ils ne firent pas. C’était l’espoir de vaincre la barbarie par la civilisation avec, pour les acteurs musulmans, le souhait d’acquérir par les armes leurs droits civiques égaux à ceux des Français de souche. Leur participation à la lutte pour la liberté des Alliés est donc encore plus admirable. Aussi, il faut rappeler qu’en plus des besoins en soldats, la France avait besoin de bras, et que, pour l’Algérie, on dénombre 300 000 travailleurs. C’est le premier appel aux travailleurs étrangers, et donc le début de l’immigration.

2. Pouvez-vous nous présenter Etienne Dinet qui joua un rôle déterminant dans la reconnaissance des combattants musulmans en France ?

Étienne Dinet est un immense peintre du tournant des XIXème et XXème siècles. C’est un des plus grands orientalistes, il représente l’honnête homme absolu. Il commence à peindre l’Algérie après un premier voyage en 1884. A compter de cette date, il multiplie les voyages dans cette région, se passionne pour elle, s’y installe, et se convertit à l’Islam. Après la Première Guerre mondiale, il se sert de sa notoriété et se bat pour que sa nouvelle patrie qu’est devenue l’Algérie, ainsi que les musulmans, trouvent une place digne dans les combats, et qu’ils puissent acquérir les mêmes droits que les Français de souche. Il bataille pour une reconnaissance du culte de ceux qui donnent leur vie pour sauver les Alliés. Il leur faut comme les autres soldats des aumôniers musulmans, des stèles spéciales – qu’il dessinera – (cf. dessin ci-joint), et un lieu de culte digne de leur engagement. Il sera dans le comité pour l’édification de la mosquée de Paris. Devenu islamologue par passion, il arrivera à convaincre le Ministère des Armées d’offrir aux musulmans qui ont combattu avec la France pendant la guerre une biographie du prophète en français, qu’il écrira en 1918 : La Vie de Mohammed prophète d’Allah. Il l’illustrera de tableaux de scènes de mœurs et de culte, avec comme dédicace « Pour les musulmans morts pour la France”. Avant les autres, il annoncera que ‘l’union France-musulmane’ est une question vitale. C’est un visionnaire qui a passé toute sa vie à unir les deux pays.

3. Etienne Dinet a été le créateur de la stèle qui orne aujourd’hui les tombes des combattants dans nos nécropoles nationales. Pouvez-vous nous décrire cette stèle et sa symbolique ?

Étienne Dinet était peintre. Dans sa nouvelle vie algérienne, il est aussi devenu chercheur, musulman, et écrivain (il a écrit 10 livres, dont son Mohamed, qui fait toujours autorité). En France, les sépultures pour les musulmans n’existaient pas. Pour donner aux combattants musulmans la même reconnaissance que les autres, il a donc dessiné leur stèle. Comme le sont toute les tombes de cette religion, il en a dessiné une très austère, mais ornée de ses propres symboles. On y trouve l’étoile et le croissant qui côtoient dans les cimetières les croix, à l’image des soldats qui ont combattu ensemble dans les tranchées de la guerre. Deux inscriptions s’y lisent: “hadhâ qabr al-mahrûm” en arabe (qui se traduit par “Ceci est la tombe du rappelé à Dieu”), ainsi que le nom, le régiment, et la date du décès du soldat inscrits en français. A la suite du beau geste du gouvernement français qui en fait la demande, il écrit La Vie de Mohammed, Prophète d’Allah, que j’ai rééditée en 2014 avec les éditions Klincksieck, pour le 100ème anniversaire de la Grande Guerre.

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