Jean-Christophe DENIS
L’ouvrage sur Le Souvenir Français que présente M. Jean-Christophe Denis, délégué général pour le Loiret, est le fruit de cinq années de travail issues de vingt années d’actions sur le terrain. Il retrace l’histoire de l’association, de son origine à nos jours, en essayant de retranscrire la perception de ses missions par les habitants et les acteurs de chaque époque au travers de nombreux écrits et objets qui ont étayé les 130 années de son existence.
« Il est dans l’histoire, qui les a enregistrés de son burin immortel, des deuils que la mémoire d’une nation, qui les a connus et surtout qui les a subis, ne peut oublier.
C’est à l’honneur d’un fils d’Alsace, Xavier Niessen, dont le cœur souffrait profondément des suites du funeste traité de Francfort, de l’avoir rappelé à ceux de sa génération. »
C’est ainsi que commençait un ouvrage de Jean-Pierre Jean[1], imprimeur de profession, député de la Moselle au sortir de la Grande Guerre, fondateur en Moselle du premier comité du Souvenir Français en septembre 1906 puis Délégué général et administrateur du Souvenir Français jusqu’à sa mort en 1942.
En 1871, c’est la défaite. Le traité de Francfort est signé entre la France et l’Allemagne le 10 mai 1871 qui met fin à la guerre franco-allemande de 1870-1871.
La France perd 1 447 000 hectares, 1 694 communes et 1 597 000 habitants. Elle perd également 20 % de son potentiel minier et sidérurgique, ainsi que la liaison par canaux entre le canal de l’Est et le canal du Rhône au Rhin. Il faut rappeler que l’avion n’existe pas, le chemin de fer en est à ses balbutiements et les premières voitures réellement commercialisées, à vapeur, sont à l’état de projet, d’où l’importance des fleuves et des canaux.
L’Alsace et la Lorraine sont occupées mais le sentiment national demeure toujours aussi vivant dans ces ex-provinces françaises. Les Dames de Metz veillent à l’entretien des tombes militaires françaises du cimetière de Chambières et font célébrer chaque année un office religieux pour les soldats morts pour la Patrie. En France de l’intérieur, dans la « Grande Patrie », il faut maintenir présent le souvenir de ces provinces perdues. Telle est la volonté de Xavier Niessen pour qui le culte des Morts pour la France et l’entretien de leurs tombes peuvent et doivent constituer le trait d’union capable de conserver dans les esprits le sentiment d’unité nationale. Alsacien Français, son désir était aussi de travailler au maintien du souvenir de la France en Alsace-Lorraine et du souvenir de l’Alsace-Lorraine en France.
François-Xavier Niessen né le 09 octobre 1846 à Sarre-Union (Bas-Rhin), prématurément orphelin, est recueilli par son oncle maternel. En 1871, il opte pour la France et s’installe comme professeur privé d’allemand à Neuilly-sur-Seine après avoir enseigné quelque temps au collège Sainte-Croix également à Neuilly-sur-Seine.
C’est le 13 février 1887 que François-Xavier Niessen réunissait à l’Hôtel de Ville de Neuilly, les ouvriers de la première heure afin de leur soumettre les statuts d’une société ayant pour but d’entretenir les tombes des soldats et marins morts pour la France et de perpétuer la mémoire de ceux qui avaient accompli de belles actions à la gloire de la Patrie. Ces pionniers s’appelaient entre autres : Monsieur le général Henrion-Bertier, Maire de Neuilly, Monsieur Boeswilwald, Inspecteur général des Monuments historiques, Monsieur Clément de Lacroix, Directeur du service des sépultures militaires au Ministère de l’Intérieur, futurs administrateurs, Monsieur le commandant Baude, Monsieur le capitaine Guébin, tous deux respectivement futurs trésorier général et secrétaire du Souvenir Français. « La société nationale pour l’édification et l’entretien des tombes des militaires et marins Morts pour la Patrie » fut autorisée par arrêté ministériel en date du 29 août 1887.
Deux ans après, en mars 1889, le fondateur du Souvenir Français lance un appel chaleureux :
« Nous convions autour du berceau de la Société tous les hommes qui conservent pur et intact le culte impérissable de la Patrie. Ce culte qui constitue le mobile le plus puissant dans la vie des peuples. Nous leur annonçons alors la naissance d’une œuvre nouvelle dont la mission consiste à entretenir, non seulement au milieu de nous mais partout où le sang français a coulé, les tombes des soldats et marins morts au champ d’honneur. »[2]
En 1906, le 1er février, le Souvenir Français est reconnu d’utilité publique par décret présidentiel.
La même année, il s’implante en Alsace-Lorraine. Le 2 septembre 1906 à Vallières-lès-Metz est créé par J.-P. Jean le premier comité du Souvenir Français en Alsace-Lorraine. Sa première action fut d’ériger à Vallières une stèle à la mémoire de deux officiers originaires du village, tués à la bataille de Servigny en 1870.
Mais c’est l’érection des monuments de Noisseville en octobre 1908 et de Wissembourg en octobre 1909 qui fut à l’origine des attaques juridiques des autorités prussiennes envers le Souvenir Français en Alsace-Lorraine. Durant plusieurs années, jusqu’à la guerre de 1914/1918, le gouvernement allemand fit exercer sur les membres supposés du Souvenir Français en Alsace-Lorraine une surveillance très sévère, les bridant énormément dans le rayonnement des actions qu’ils menaient en l’honneur des braves et vaillants défenseurs français de 1870.
La Première Guerre mondiale ne pouvait pas ne pas jeter la perturbation dans les comités au moment où la vie de la France se concentrait tout entière vers nos vaillantes armées.
Les plus jeunes collaborateurs de l’association étaient mobilisés. Des femmes prenaient, dans les rangs de l’association, la place de leurs époux, des pères, au lieu de leurs fils ; néanmoins ce fut la désorganisation totale dans bien des comités, car nombre des membres du Souvenir Français sont restés sur les champs de bataille.
A tous ces morts, la plupart loin des leurs, le Souvenir Français apportait l’hommage de sa présence et d’une palme, avec l’inscription qui devait, sur leur tombe, être le suprême témoignage de l’affection et de l’amour de la Patrie.
L’action du Souvenir Français se diversifie énormément car il faut apporter un soutien moral aux blessés soignés dans les hôpitaux et une aide aux familles touchées par la disparition de l’un des leurs. Au cours de cette période, le Souvenir Français, en plus d’œuvrer pour l’hommage aux morts, a apporté du réconfort aux vivants et aux blessés.
Il a poursuivi ainsi son action jusqu’à la victoire. L’association, qui avait alors en charge les 88 000 tombes de 1870, ne pouvait à elle seule s’occuper des tombes des 1 700 000 morts de la Grande Guerre.
Décédé le 29 décembre 1919, François-Xavier Niessen repose à Puteaux, au nouveau cimetière de Neuilly-sur-Seine.
Pour ne pas oublier leurs compagnons tombés au champ d’honneur, ceux qui sont revenus vont être à l’origine d’un formidable élan pour la mémoire de ceux qui sont morts pour la France et c’est à cette époque-là que vont se multiplier les monuments aux morts communaux, érigés grâce à l’attribution de subventions aux communes pour glorifier les morts pour la patrie.
A cette époque, la mention « militaires et marins » disparaît de l’intitulé du Souvenir Français, certainement en raison de l’apparition de l’aviation, pour laisser place aux civils et militaires qui ont donné leur vie pour la France ou qui l’ont honorée par de belles actions. Dès le début des années 1930, la transmission du souvenir des soldats morts pour la France et l’explication du sens de leur sacrifice aux plus jeunes deviennent de plus en plus des sujets de préoccupation. Les enfants sont associés aux cérémonies par leur présence mais aussi par le dépôt de fleurs.
La Seconde Guerre mondiale rend impossible la continuation des missions du Souvenir Français. En Alsace-Lorraine réoccupée, les dirigeants du Souvenir Français sont chassés vers la France de l’intérieur, tel Jean-Pierre Jean qui aura deux heures pour quitter la Lorraine avec sa famille, sans possibilité d’emporter le moindre bien. Durant toute l’occupation, l’action du Souvenir Français repose sur les initiatives locales des adhérents car la coordination des délégations générales et des comités est impossible.
En octobre 1944, le général de Gaulle salue l’action du Souvenir Français dans une lettre adressée au Président général :
« Le Souvenir Français poursuit une œuvre admirable. C’est la vie de la France qu’il défend en s’occupant de ceux des siens qui sont morts pour elle.
Leur exemple, dont la mémoire est grâce à vous perpétuée, permet en effet aux générations nouvelles de mesurer la valeur de la liberté et le prix dont il faut savoir la payer.
C’est donc avec le plus grand plaisir que j’accepte de donner mon parrainage à votre association. »
Outre les missions habituelles d’entretien des tombes et des monuments, Le Souvenir Français se veut gardien de la mémoire. Il lui appartient donc d’organiser et de participer à toutes les cérémonies patriotiques et de veiller à ce que l’oubli ne fasse son œuvre ni en France, ni dans les pays étrangers où nos soldats ont combattu.
Dans le même temps, notre armée est engagée en Indochine, où elle perd 100000 hommes, à Madagascar, en Corée, au Maroc, en Tunisie puis en Algérie où 25000 soldats français sont tués; 120000 harkis et leurs familles meurent pour la France, à laquelle ils croyaient, entre 1954 et 1962.
« Ainsi que l’on dit de nombreux et éminents penseurs, l’humanité est composée de plus de morts que de vivants. C’est dans leurs morts que les vivants doivent trouver leur raison de vivre, se montrant dignes d’eux en vivant pour la Patrie, pour la vérité, pour le droit, pour tout ce patrimoine pour lequel se sont sacrifiés nos soldats.
Ces idées sont actuellement latentes dans tous les cœurs, il faut les évoquer, les raviver, les réveiller, les renforcer et les faire pénétrer dans tous les esprits.
Le souvenir des morts ne cessera pas. Le Souvenir Français doit se perpétuer d’âge en âge, il doit survivre à tout et à tous, apportant aux générations futures un élément précieux de morale.
Ce culte des morts a son dogme et sa morale. Le Souvenir Français en maintiendra les temples, en assurera les rites, actuellement vivaces, mais périssables; entretenant les tombes auprès desquelles chacun doit venir puiser les raisons de devenir meilleur; organisant les cérémonies patriotiques qui réveilleront périodiquement ces sentiments; conservant les monuments commémoratifs qui serviront à perpétuer et à rendre impérissables les hautes leçons que nous ont données nos grands morts et à évoquer leur souvenir.
Dans les sillons sanglants fraîchement creusés par la guerre, semons le bon grain de l’espérance, qui produira d’abondantes récoltes, assurant ainsi l’aliment moral nécessaire à la Patrie grandie et fortifiée par ses morts. »
Ces paroles sont extraites d’un livret consacré à « L’œuvre de Niessen » dans les années 1920. Elles ont gardé leur valeur et restent d’actualité.
[1] J.-P. JEAN, Le Souvenir Français et le Souvenir Alsacien-Lorrain pendant l’annexion Allemande. Imp. V. Gueblez Metz, 1937.
[2] J.-P. JEAN, Le livre d’Or du Souvenir Français. Metz, 1929.
Pour en savoir plus: Ce livre édité chez Bernard Giovanangeli Editeur peut être commandé auprès de la société Alifrance : alifrance@orange.fr
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