Texte tiré du Soldat inconnu vivant, Jean-Yves Le Naour, Éditions Fayard, 2018.
« Dans une société qui voudrait tant oublier et qui n’en finit pas de se souvenir, il n’y a pas plus de certitudes que de corps à pleurer. » Par cette citation, l’historien Jean-Yves Le Naour résume le drame des disparus de la Grande Guerre et notamment l’un des cas les plus troublants de l’entre-deux-guerres : celui d’un soldat sans nom, surnommé par la presse « le soldat inconnu vivant ».

Livre Le soldat inconnu vivant de Jean-Yves Le Naour


Tombe d’Octave Monjoin dans le cimetière de Saint-Maur (Indre) ©Forum Pages 14-18
Dans le silence d’un cimetière militaire, parmi les milliers de croix blanches alignées, certaines tombes portent une mention suscitant une grande émotion : Inconnu. Elles rappellent ces soldats tombés sans que leur identité n’ait jamais été retrouvée…
Mais que se passe-t-il lorsque l’inverse survient ? Lorsqu’un soldat revient vivant du front… sans nom, sans souvenirs, sans passé ? C’est l’histoire d’Octave Monjoin ou plutôt d’« Anthelme Mangin », nom donné à un homme retrouvé amnésique en 1918.
Devenu une énigme nationale, il incarne à lui seul les ravages invisibles de la Première Guerre mondiale. Derrière son visage perdu dans la foule des mutilés de l’âme, c’est toute une société d’après-guerre qui s’interroge sur la mémoire, l’identité et la place des survivants. Son histoire marque profondément les esprits et va jusqu’à toucher la littérature, le théâtre et le cinéma.
Le 31 janvier 1918, Octave Félicien Monjoin, un soldat français atteint de troubles mentaux, est rapatrié d’Allemagne avec d’autres soldats traumatisés. Il est dirigé vers l’hôpital psychiatrique de Bron, près de Lyon. Mais il disparaît mystérieusement pendant le trajet. Une erreur d’identification est commise : Octave ne répond pas à l’appel et est considéré comme absent tandis qu’un autre homme, non identifié, est admis à sa place.
Le lendemain, un homme errant est retrouvé à la gare des Brotteaux à Lyon. Il fait partie du convoi mais n’a aucun papier sur lui. Amnésique, désorienté et tenant des propos incohérents, il est diagnostiqué comme dément, est interné à l’hôpital de Bron puis transféré à l’asile de Clermont-Ferrand.

Détail des services et mutations diverses
Le 10 janvier 1920, pour percer le mystère, le directeur de l’établissement publie la photo de cet individu dans le journal Le Petit Parisien, accompagnée de celles d’autres patients amnésiques. Le but est de permettre à des familles de soldats disparus de les reconnaître. Cette tentative suscite une émotion nationale. Près de 300 familles identifient avec certitude leurs proches sur les photos mais dans le cas d’Anthelme Mangin, l’histoire prend une tournure exceptionnelle. Anthelme devient un symbole national, une figure collective de l’angoisse des familles sans nouvelles et devient le fils de toutes les mères qui n’ont pas retrouvé le leur.
La presse s’empare de l’affaire et transforme Anthelme en une figure presque légendaire.
Jean Anouilh s’en inspire dans sa pièce Le Voyageur sans bagage, métaphore poignante d’une identité effacée par la guerre. Pour résoudre la question administrative, en particulier l’attribution des pensions, le Ministère des Pensions fait afficher en février 1922 la photo d’Anthelme dans toutes les mairies de France. Cette initiative suscite une forte mobilisation de l’opinion publique. Cette œuvre a été portée à l’écran en 1944 par le réalisateur Jean Anouilh lui-même, avec Pierre Fresnay dans le rôle principal.
Deux identifications vont particulièrement marquer l’affaire. La première, en 1920, émane de Madame et Mademoiselle Mazenc, de Rodez, persuadées de reconnaître Albert Mazenc, disparu en 1915. Anthelme est transféré à l’asile de Rodez. Mais confronté à des amis, des voisins et comparé à la fiche anthropométrique d’Albert Mazenc, les divergences sont trop importantes : la taille diffère de dix centimètres. L’hypothèse Mazenc est donc abandonnée.
L’autre piste se révèle plus crédible. Il s’agit d’Octave Monjoin. Son père, Pierre Monjoin, apprend que son fils fait partie du convoi de rapatriés de janvier 1918. Il mène ses recherches et se rend convaincu qu’Anthelme Mangin est en réalité Octave, victime d’un enchaînement d’erreurs. Les juges et médecins partagent peu à peu cette conviction. En 1934, une visite est organisée à Saint-Maur, village natal d’Octave. Ce dernier reconnaît la gare, la maison de son père, l’église et note même le changement du clocher, foudroyé depuis la guerre. Ces détails bouleversent les témoins. Jean Dion, âgé de 9 ans à l’époque, raconte l’arrivée d’Anthelme à Saint-Maur comme un grand événement :
« Une foule attendait l’arrivée du train, le préfet, le maire, le curé, le conseil municipal étaient présents, ce n’était pas coutumier. Une personne encadrée par deux gendarmes est descendue. Très vite, le bruit a couru que c’était le soldat inconnu, que plus de 300 familles avaient réclamé. Les rues du bourg étaient bloquées par les gendarmes. J’habitais le centre bourg, gamins, on était vifs, on s’est faufilé. L’inconnu a immédiatement précisé que le clocher de l’église avait été changé ; en effet, la foudre l’ayant fait tomber. Puis, il a reconnu son école et sa classe ; ensuite, il est allé s’asseoir sur le perron de la maison de ses grands-parents. Cette reconstitution a certainement pesé dans la décision des juges. »
Le 16 novembre 1937, le tribunal de Rodez rend sa décision. Anthelme Mangin est officiellement reconnu comme étant Octave Monjoin.
Le retour au foyer familial fut de courte durée. En mars 1938, l’auteur fut frappé par la mort de son frère, mort d’une chute de cheval. Quelques semaines plus tard, son père décède à son tour de vieillesse. Cette double perte, survenue dans un laps de temps très rapproché, met brutalement fin à une tentative de ré ancrage familial à peine amorcée.
Sans famille pour l’accueillir, Octave est finalement confié à l’hôpital Saint-Anne à Paris où il décède le 10 septembre 1942, seul et oublié de tous. D’abord enterré dans une fosse commune à Bagneux, Octave est finalement transféré le 4 avril 1948 au cimetière communal de Saint-Maur, aux frais de Marcel Boucton, un ancien combattant touché par son histoire. À l’occasion de la cérémonie, le maire de l’époque, Léon Bourdier, prononce ces mots :
« Dors en paix, Octave, aux côtés de tes camarades de la drôle de guerre. Ta présence dans notre cimetière fera vivre, parmi nous, le souvenir de ton tragique parcours, toi qui fus, pendant vingt-cinq ans, un mort vivant. »
L’affaire d’Octave Monjoin, alias Anthelme Mangin, est loin d’être un cas isolé. De nombreux poilus amnésiques sont internés après la guerre. Grâce aux enquêtes et à la publication de leurs photos dans la presse, la plupart retrouvent leur identité et leur famille. Début 1920, il ne reste que quelques cas non élucidés, parmi lesquels figure celui d’Anthelme, le plus célèbre, le plus médiatisé et le plus poignant.


Pour en découvrir plus sur cette histoire, un documentaire sur ARTE a été tourné à Saint-Maur le 11 novembre 2003. Placé sous la direction historique de Jean-Yves Le Naour, agrégé d’histoire et auteur d’un livre à ce sujet, de nombreux habitants de la ville de Saint-Maur participent à ce projet. Lien pour visionner ce documentaire : https://youtu.be/pF1py0Lsrto?si=hwnoRUhMoJXYLWMu

Les saint-maurois lors du tournage pour le documentaire.
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