
Franck Leconte occupe le poste de chef du Département reconnaissance et réparation à la direction générale de l’ONaCVG depuis octobre 2019. Auparavant, il a notamment servi en qualité de directeur du service départemental de l’Office du Calvados, dans un service de la direction des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale (DSPRS) du ministère des anciens combattants et victimes de guerre ainsi qu’au sein d’une direction de l’état-major de l’armée de l’air. D’avril 2013 à août 2014, il occupe aussi les fonctions de directeur de la mission régionale Etat-Région pour l’organisation des célébrations du 70e anniversaire du Débarquement et de la Bataille de Normandie. Il est par ailleurs président d’une association mémorielle, auditeur de l’IHEDN, élu correspondant défense et conseiller technique auprès du président du comité du Débarquement.
1 – Pouvez-vous nous expliquer l’origine et la portée symbolique de la mention « Mort pour la France » ?
Cela ne surprendra personne, la mention « Mort pour la France » trouve son origine au cours de la Première Guerre mondiale, conflit dévastateur qui a emporté près de 1 500 000 personnes côté français. Au caractère exceptionnel de cette tragédie nationale, il convenait de prendre des mesures exceptionnelles afin d’honorer, comme l’avait écrit Victor Hugo, « ceux qui pieusement sont tombés pour la Patrie » mais aussi accompagner dignement ceux qui restaient.
C’est le député Joseph Thierry qui, le premier, déposa le 22 décembre 1914 une proposition de loi afin que « l’état civil enregistre à l’honneur du nom de celui qui a donné sa vie pour le pays un titre clair et impérissable à la gratitude et au respect de tous les Français ».
Finalement, la loi du 2 juillet 1915 institue la mention « Mort pour la France » applicable rétroactivement aux actes de décès dressés ou transcrits depuis le 2 août 1914. Cette mention marginale de l’état-civil est destinée à être portée sur « les actes de décès des militaires et civils tués à l’ennemi ou morts dans des circonstances se rapportant à la guerre ». Un diplôme d’honneur est alors décerné et remis à la famille des combattants décédés pour le service et la défense du pays jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, la volonté du législateur crée un cadre tout à fait nouveau et unique qui trouve écho dans la sentence proclamée quelques années plus tard par l’auteur des « Croix de Bois », Roland Dorgelès : « Nos morts ne mourront pas aussi longtemps que nous penserons à eux », et participe de l’esprit magnifiquement incarné par Georges Clemenceau, Président du Conseil, ministre de la Guerre, proclamant à la tribune de la Chambre des députés le 20 novembre 1917 : « Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous… ».
La mention « Mort pour la France » apparait donc véritablement comme étant le premier acte symbolique d’un droit à la reconnaissance et à la réparation qui allait naitre durant la Grande Guerre, puis être considérablement complété à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et des guerres de décolonisation et qui constitue de nos jours un dispositif complet en matière de droits des combattants et de leurs familles, une exception française.
Les dispositions initiales de la loi du 2 juillet 1915 ont ainsi été adaptées pour tenir compte de certaines situations, ainsi la loi du 28 février 1922 et l’Ordonnance n° 45-2717 du 2 novembre 1945 étendent l’hommage de la Nation aux prisonniers de guerre, militaires, civils, morts en pays ennemi ou neutre.
C’est donc à partir de cette mention que se met en place progressivement le corpus législatif et réglementaire permettant à la puissance publique à la fois d’honorer le Grand Absent et de se substituer à lui afin d’assurer dans les meilleurs conditions possible la survie de sa famille : ce sera l’entretien par l’Etat de sa sépulture individuelle non restituée à la famille ou collective s’agissant des ossuaires, l’inscription de son nom sur un monument aux Morts, la création du statut de pupille de la Nation pour ses enfants mineurs, la reconnaissance de la qualité de veuve de guerre comportant un droit à pension militaire d’invalidité, la possibilité d’attribuer une pension pour ses ascendants, le droit à un voyage annuel gratuit sur les tombes pour les conjoints survivants, ascendants et descendants des premier et deuxième degrés, et, à défaut des parents, à la sœur ou au frère aîné des militaires morts pour la Patrie etc…
Ce droit à la reconnaissance et à la réparation, complété ensuite par le droit à la solidarité a été codifié en deux étapes en 1947 puis en 1951 au sein du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG).
2 – Quels sont les critères d’attribution de la mention aujourd’hui, et comment les familles peuvent-elles en faire la demande ?
Pour rester synthétique, on peut dire que la mention « Mort pour la France » concerne aujourd’hui différents publics, au premier chef, les militaires engagés dans les conflits et les opérations extérieures ; ceux qui sont tués à l’ennemi ou morts de blessures de guerre, ceux qui sont morts de maladie contractée en service commandé en temps de guerre, ceux morts d’accident survenu en service ou à l’occasion du service en temps de guerre ou enfin ceux qui ont été prisonniers, exécutés par l’ennemi ou décédés des suites de blessures, de mauvais traitements, de maladies contractées ou aggravées ou d’accidents survenus du fait de la captivité.
À côté de cela existent des dispositions permettant la reconnaissance de cette qualité aux marins du commerce victimes de faits de guerre, aux soignants et ministres du culte intervenant en situation de conflit ainsi qu’aux civils exposés à différentes situations survenues au cours des conflits passés, à l’instar des Résistants et combattants de la Libération, des réfractaires au service du travail obligatoire, des requis, des otages, des déportés, des incorporés de force s’agissant de la Seconde Guerre mondiale ou encore de membres du service d’ordre ou des forces supplétives lors des conflits de la décolonisation.
Ce sont les dispositions de l’article L. 511-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre qui identifient les publics et les situations permettant d’ouvrir l’éligibilité à la mention ainsi que l’article L. 4123-4 du code de la défense s’agissant des militaires décédés lors d’opérations extérieures.
À cet égard, le 7e alinéa de l’article L. 511-1 précité précisant que la mention peut être apposée sur l’acte de décès « d’une personne décédée à la suite d’actes de violence constituant une suite directe de faits de guerre », présente un intérêt certain car il permet de prendre en compte différentes situations, par exemple celles concernant les victimes civiles des bombardements ou encore celles des personnels intervenant pour la neutralisation des engins explosifs retrouvés sur les champs de bataille.
Point également important à souligner, l’article L. 511-2 du code précité précise que ces dispositions « sont applicables aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l’Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France et aux engagés à titre étranger tués ou décédés dans les conditions fixées à l’article L. 511-1 ».
Depuis la réforme de 2010 qui s’inscrivait dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la mention « Mort pour la France » est instruite par les services du Département reconnaissance et réparation (DRR) de la direction générale de l’Office national des combattants et des victimes de guerre, il en est d’ailleurs de même en ce qui concerne les trois autres mentions mortuaires créées par la suite : « Mort en déportation » (créée par la loi n° 85-528 du 15 mai 1985 sur les actes et jugements de décès des personnes décédées en déportation), « Mort pour le service de la Nation » (créée par l’article 12 de la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme) et « Mort pour le service de la République » (créée par l’article 30 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels).
Hormis le cas particulier des personnels de la marine marchande précité, c’est le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre qui est chargé de la délivrance de la mention « Mort pour la France », étant précisé que ce dernier a donné compétence en la matière à la directrice générale de l’ONaCVG en vertu d’une délégation de pouvoir mentionnée à l’article R. 612-11 du CPMIVG.
D’un point de vue pratique, toute demande d’attribution de la mention doit être effectuée au moyen de l’imprimé réglementaire accessible à partir du lien suivant : https://for.onac-vg.fr/demarches/mention-mort-pour-la-france .
Le dossier doit être acheminé à la direction générale de l’ONaCVG, Département reconnaissance et réparation (coordonnées : 11 rue Neuve Bourg l’Abbé – BP 552 14037 Caen Cedex) et complété d’un certain nombre de pièces justificatives en fonction des différents cas de figure ; dans tous les cas, il sera demandé une copie intégrale de l’acte de décès et dans le cas d’une maladie survenue après la fin du conflit, la production d’un certificat médical établi lors du constat du décès précisant sa cause ainsi que la fiche descriptive des infirmités pensionnées seront nécessaires.
Aucun délai de prescription n’existant pour l’attribution de cette mention, la demande peut toujours être effectuée pour l’ensemble des conflits et opérations reconnues éligibles depuis la Première Guerre mondiale, impliquant une participation militaire française.
Lorsque la mention est attribuée, l’ONaCVG donne les instructions nécessaires à l’officier de l’état-civil communal ou au service central de l’état-civil pour les décès survenus à l’étranger, afin qu’elle soit inscrite en marge de l’acte de décès de la victime. Cet acte est le seul document nécessaire et suffisant pour justifier de la mention « Mort pour la France ».
À noter que l’article 2 de la loi n° 273-2012 du 28 février 2012, codifié à l’article L. 515-1 du CPMIVG, a rendu obligatoire l’inscription des noms des personnes qui ont été reconnues « Mortes pour la France » sur le monument aux Morts de leur lieu de naissance ou de leur dernier domicile ou, plus récemment, de leur lieu d’inhumation (dans ce dernier cas de figure, en application de l’article 19 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense).
Aussi surprenant que cela puisse paraitre en 2025, l’attribution de la mention « Mort pour la France » n’est pas une activité devenue marginale pour l’Office. Bien au contraire, on constate un réel intérêt, à la fois des familles mais aussi des associations, à l’instar des comités du Souvenir Français, des collectivités territoriales ou encore d’historiens locaux qui nous font remonter régulièrement des situations oubliées, voire d’anciens rejets qui seraient susceptibles d’être réexaminés favorablement aujourd’hui sur la base d’informations nouvelles ou d’une évolution législative permettant d’apporter un regard nouveau.
À cet égard, en 2024, les services de l’ONaCVG/DRR ont délivré 469 mentions de ce type, réparties comme suit : 343 au titre de la guerre 1939-1945, 110 en ce qui concerne la Première Guerre mondiale, 11 pour la guerre d’Algérie, 3 pour la guerre d’Indochine et 2 pour les opérations extérieures (un en Irak et un autre au Liban). Au total, ce sont 368 civils et 101 militaires qui ont été reconnus l’année dernière « Morts pour la France ».
Par ailleurs, 74 décisions de rejet ont été notifiées selon la répartition suivante : 26 au titre de la Seconde Guerre mondiale, 23 pour la Grande Guerre, 17 concernant la guerre d’Algérie, 2 relatives à des théâtres d’opérations extérieures, 3 pour des opérations extérieures et 3 pour des situations hors guerre. Au total, 40 civils et 34 militaires ont fait l’objet d’une décision de rejet en 2024.
Depuis le 1er janvier 2025, environ 500 demandes de mention « Mort pour la France » ont été déposées dans nos services. À ce jour, 326 décisions ont été rendues (269 favorables – 57 défavorables).
Pour terminer avec les statistiques, on pourra rappeler, s’agissant des combattants des opérations extérieures, que 592 mentions ont été attribuées depuis la première OPEX reconnue en 1969, la dernière concernant un personnel féminin tombé au Liban dans le cadre de l’opération « DAMAN », le 15 novembre 2024 à l’âge de 23 ans.
3 – Quels sont les enjeux actuels autour de la reconnaissance « Mort pour la France », notamment pour les conflits plus récents ou les cas restés en attente ?
La loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense a apporté une réponse à la dernière partie de cette question en élargissant, via son article 18, le champ d’application de la mention « aux personnes étrangères exécutées ou tuées sur le territoire national en qualité d’otages ».
À ce sujet, il convient d’ailleurs de préciser qu’avant cette modification législative, un important travail avait été mené dès 2022 concernant les étrangers engagés en France contre l’Occupant, lequel avait débouché sur la décision collective du 18 juin 2023 portant attribution de la mention à 91 étrangers fusillés au Mont-Valérien ; d’autres décisions sont intervenues depuis et ont permis l’octroi de la mention à des étrangers fusillés ou massacrés par l’ennemi ou morts dans les combats de la Résistance.
Toujours dans le cadre des mentions « Mort pour la France » délivrées au titre de conflits anciens, force est de constater que les grands oubliés de la mention sont principalement les civils et, accessoirement, les anciens militaires décédés le plus souvent à leur domicile des suites de leurs blessures ou de maladies contractées en service. En effet, si l’administration militaire est particulièrement efficace en la matière concernant les combattants tombés à l’ennemi, les familles et la société civile n’ont pas toujours entrepris à l’époque les démarches nécessaires pour honorer les civils victimes des bombardements pour ne citer qu’un exemple particulièrement frappant dans ma région normande qui a compté à elle seule plus de 20 000 civils tués pendant les combats de la Libération en 1944.
À noter enfin, en ce qui concerne les conflits les plus récents, qu’une disposition introduite par le décret n° 2023-1215 du 20 décembre 2023, permet dorénavant d’ouvrir le bénéfice de la qualité de combattant aux militaires et civils décédés à compter du 1er janvier 2024 dont l’acte de décès porte la mention « Mort pour la France » et définit, à ce titre, les conditions dans lesquelles la carte du combattant peut être remise à leurs ayants cause. La carte du combattant ne pouvant jusqu’ici être attribuée à titre posthume, cette disposition constitue une avancée symbolique significative permettant d’honorer encore mieux les combattants tombés pour le service de la France.
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