Il était une fois un monument

1 septembre 2025

Le monument aux Garibaldiens et aux volontaires italiens « Morts pour la France » pendant la Grande Guerre (1914-1918)

Monument aux Garibaldiens et aux volontaires italiens « Morts pour la France » pendant la Grande Guerre (1914-1918), cimetière du Père-Lachaise.

Le vaste cimetière du Père-Lachaise, comme un balcon qui dominerait Paris, est un endroit privilégié et quasi mythique de notre capitale. C’est dans ce vieux cimetière qu’ont eu lieu les derniers combats de la Commune que Jean Cassou a si magistralement évoqués dans Les Massacres de Paris, c’est là que reposent des milliers de Parisiens et, parmi eux, une foule de personnalités qui font accourir les passionnés de tous bords et de toutes disciplines, les amateurs d’Histoire et les innombrables curieux, touristes ou locaux. Des généraux napoléoniens aux savants, artistes, écrivains mondialement connus, le chemin du promeneur est semé de haltes mémorielles.

Si on entre dans le cimetière par l’ex-allée du Levant, tout en haut, par la porte Gambetta, du côté de la Mairie du XXème arrondissement, le visiteur se trouve aussitôt en présence de la mémoire attachée aux deux guerres mondiales qui ont fait du siècle passé une ère de deuil et de destruction. De part et d’autre de l’allée, s’élèvent en effet des monuments commémoratifs rappelant le sacrifice des combattants de divers pays engagés dans les troupes hexagonales. L’Allée du Levant a été d’ailleurs rebaptisée « avenue des combattants étrangers morts pour la France ». Le monument aux Italiens se détache car il est l’un des plus imposants et des plus directement symboliques. Monument aux Italiens ou aux Garibaldiens ? Il est généralement mentionné comme monument aux Garibaldiens et lié, de ce fait, à la Première Guerre mondiale, lorsque, alors que le Royaume d’Italie était encore neutre, le fils du « héros des deux mondes », Ricciotti Garibaldi se mit au service de la France et engagea ses fils à rejoindre la Légion Etrangère dans les premiers mois de la guerre. Cependant, qui partage le culte du souvenir sait que de nombreux Italiens ou enfants d’Italiens sont « Morts pour la France » lors de la Seconde Guerre mondiale, dans les rangs des FFL, FFI ou FTP, et pendant les conflits liés à la décolonisation (Indochine et Algérie).

Ici, toutefois, c’est aux « Garibaldiens de 14 », comme on les appelle, que les autorités ont voulu d’abord rendre hommage, sans oublier les autres « combattants italiens morts pour la France » en 14/18. Ricciotto Canudo, par exemple, le cosignataire, avec Blaise Cendrars et Jacques Lipchitz, du fameux « appel aux étrangers vivant en France », ne servit pas parmi les Garibaldiens, pas plus que les nombreux Italiens ou fils d’Italiens qui s’engagèrent, souvent « pour la durée de la guerre », dans les troupes coloniales, l’infanterie, l’artillerie ou le génie. Mais évoquons les Garibaldiens qui figurent parmi les premiers à répondre à l’appel de Cendrars et Canudo, placardé dès le 31 juillet, et à celui de Ricciotti Garibaldi. Réunis sur l’esplanade des Invalides dès août 1914, les étrangers de France répondirent en masse à l’invitation qui leur était faite de rejoindre l’armée française. Les Italiens furent si nombreux (entre 2 000 et 3 000 jugés aptes à porter les armes), que l’état-major français accepta de mettre sur pied avec ces hommes un régiment constitué presqu’uniquement d’Italiens. La création du 4e de marche du 1er régiment de la Légion Etrangère décidée dès septembre, fut officialisée le 5 novembre 1915 et monta en ligne fin décembre. Les combats meurtriers du Bois de Bolante, de Courtechausse ou des Meurissons, demeurent. Les Garibaldiens payèrent un large tribut : de nombreux tués, dont deux des frères Garibaldi, Bruno et Costante, beaucoup de soldats capturés par l’ennemi et plusieurs centaines de blessés. (Le JMO du 4° de marche indique 93 tués, 136 disparus, 336 blessés en deux semaines de combats). Des pertes si conséquentes que les rescapés du régiment sont mis au repos dès le 9 janvier. L’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Entente étant imminente, le régiment est dissous début mai 1915. Parmi les démobilisés, beaucoup se porteront de nouveau volontaires à l’entrée en guerre de l’Italie, dont K.E. Suckert (le futur Malaparte), ou Lazare Ponticelli, connu comme « le dernier poilu de la Grande Guerre », même s’il combattit pour l’essentiel dans l’armée italienne.

Le groupe des Garibaldiens avait vécu. Il était formé, pour la plus grande partie, d’Italiens immigrés, pour le reste, d’aventuriers ou de malfrats, certains en quête de rachat, ou, au contraire, d’idéalistes et de militants politiques ou syndicalistes (mazziniens, anarchosyndicalistes disciples de Filippo Corridoni, intellectuels socialisants, républicains…), une troupe composite, donc, ce qui se vérifia lorsque, après les combats de l’Argonne, les combattants se retrouvèrent à Avignon, là où ils étaient basés. Actes d’indiscipline, vols, bagarres, désordres en ville… Un mauvais souvenir pour les Avignonnais. Le préfet dut intervenir. Ces faits n’enlèvent rien à la bravoure dont ils firent preuve en Argonne. « L’assaut à la garibaldienne », aux cris de « vive l’Italie, vive la France », écho lointain de l’expédition des Mille en Sicile et des guerres d’indépendance, est resté célèbre.

Le monument du Père-Lachaise est tout à fait représentatif de ce double vivat, de cet élan quasi spontané donné à la solidarité latine. L’Italie fasciste était à son zénith dans l’opinion publique et auprès des gouvernements européens, au cours des années 1934/1935. En France en particulier, de nombreux intellectuels, certains de sensibilité de gauche, comme Daniel Halévy, appréciaient l’action volontariste de Mussolini et la « normalisation » du régime qui avait mis fin au squadrisme violent des années vingt et qui avait signé avec le Vatican les accords du Latran, ce qui satisfaisait une partie de l’opinion française. Or l’initiative de témoigner par un monument commémoratif du geste des Garibaldiens de 1914 vint précisément des milieux immigrés favorables au fascisme, notamment de l’association d’anciens combattants, présidée par Camillo Marabini qui avait été officier dans les rangs du 4e de marche. Le fascio de Paris apporta sa caution enthousiaste. L’accord avec la ville de Paris, qui faisait don d’une cinquantaine de mètres carrés de terrain aux vétérans garibaldiens de Marabini et aux autres associations d’anciens combattants, permit de mettre à exécution le projet.

On confia la réalisation du monument à un sculpteur reconnu, venu en France en 1912, Alberto Cappabianca, natif de Palestrina, marié à une Française, qui proposa rapidement des maquettes d’une sorte de Pietà où la France – ou plus exactement la République Française, garibaldisme oblige – campait une « mater dolorosa » autochtone veillant un légionnaire italien blessé à mort. Il n’est pas impossible que le sculpteur français Camille Montagné ait repris l’idée pour le monument qu’il édifia à Pederobba, en Vénétie, dans le cimetière où sont inhumés un millier de soldats français tombés sur le front italien en 1917. Parfaite réciprocité. L’œuvre de Montagné est plus imposante et le fantassin français agonisant repose sur les genoux de deux mères, la première représentant la France, la seconde l’Italie, « matres dolorosae » unies dans le deuil, symbolisant parfaitement la « fraternité latine ».

Inauguration du monument en 1934.

Plus modeste, la sculpture de Cappabianca que nous pouvons voir aujourd’hui au Père-Lachaise produit le même effet poignant que le monument de Pederobba. La portée symbolique est la même. L’œuvre de Cappabianca, pourtant, me semble plus riche d’intentions. La mère est en effet une Marianne, la tête légèrement penchée (sur sa gauche), moins éplorée que reconnaissante, songeuse, réfléchissant peut-être aux rebonds de l’Histoire. Ce Garibaldien sans uniforme, cet homme à demi-nu qui a sacrifié sa vie pour que la France et la lumière qu’elle a apportée au monde en rompant avec l’ordre ancien ne meurent pas, prend pour nous la dimension mythique des « soldats de l’An II », des héros de Valmy, ce village placé, clin d’œil de l’Histoire, en face de la forêt de l’Argonne où le malheureux jeune homme a été touché à mort. Ce monument nous parle, à l’évidence. Il nous rappelle que des hommes ont sacrifié leur vie au nom de valeurs éternelles qui doivent continuer à nous animer. Cependant le mot-clé gravé sur le piédestal, qui pourrait faire office d’autel sacrificiel, est un nom en latin, cette langue mère commune au français et à l’italien, « JUSTITIA » ; et non pas l’un des trois termes de la devise française qui supposerait un combat revendicatif et conquérant. Le petit Italien meurt pour la justice, peut-être pour que l’Europe retrouve le sens d’une certaine mesure, d’un équilibre toujours menacé par des faims de conquête et des abus de pouvoir, le sens du droit – et de la droiture -, tout simplement, du droit sacré à la lumière – représentée d’ailleurs ici par un flambeau aux flammes actives -, le droit à la vie. Une leçon pour aujourd’hui.

C’est le 27 mai 1934 que fut inauguré le monument. Au cœur même des années « fastes » sur le plan international pour le régime de Mussolini, comme nous l’avons dit. Comme le rappela dans son discours Camillo Marabini, mai était le mois où le royaume d’Italie était entré dans le conflit aux côtés de l’Entente. Et le fascisme, alors bien établi de l’autre côté des Alpes, s’était très tôt emparé de la mémoire de la guerre, creuset où, selon le régime, s’était forgé « l’homme nouveau » qui ferait basculer le siècle encore enfant vers la modernité. Une grande majorité des anciens combattants italiens avaient d’ailleurs, dès 1919/1920, rejoint le mouvement de l’ancien fondateur du Popolo d’Italia devenu, en 1934, le Duce tout puissant. Le jour de l’inauguration, le tout Paris était présent et beaucoup d’Italiens fiers que leur pays compte enfin parmi les grandes nations européennes. Pour les antifascistes, nombreux eux aussi à Paris, la journée du 24 mai fut une épreuve de plus. Certains manifestèrent publiquement et courageusement leur désapprobation jusqu’aux abords du cimetière parisien. Il y eut même, peu avant la cérémonie, un maçon italien qui lança un engin explosif au pied de la statue, toutefois sans l’endommager. Et on sait qu’à côté de l’amicale garibaldienne de Marabini existait une association antifasciste d’anciens de l’Argonne. Ce jour-là, Ezio Garibaldi, l’un des fils de Ricciotti, paradait sur la tribune devant le monument qu’on inaugurait, puis devant la stèle en hommage à son grand-père, place Cambronne, dans le 15e arrondissement. Dans le sud-ouest de la France, son frère, Sante, poursuivait son combat contre le régime que servait avec tant de ferveur Ezio. Deux mondes. Un équilibre, en quelque sorte. « Justitia », le mot gravé sur le piédestal de la statue de Cappabianca. Et seule l’Histoire nous dirait de quel côté pencherait finalement la balance.

Cérémonie franco-italienne devant le monument.

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