Trois questions à Gérard FONCK

29 septembre 2016

Gérard FONCK, retraité de la fonction publique, passionné de généalogie et d’histoire, notamment de l’histoire du Soldat Inconnu.

g-fonck

1) Comment et quand Francis Simon a-t-il présenté le projet de création d’une tombe nationale du Soldat inconnu ?

Francis Simon, né en 1860, imprimeur à Rennes, était vice-président du Comité de l’association « Le Souvenir Français » de Rennes depuis 1904. En 1914, il en prenait la présidence. Le 2 août 1914, la guerre est déclarée. Soucieux, intimement marqué par l’angoisse et la tristesse des familles confrontées au départ et à la mort de leurs enfants, Francis Simon fonde une association patriotique ayant pour titre « l’Escorte d’Honneur », dont il est élu président. UNE VİSİTE, UNE FLEUR, UNE PRİÈRE. C’était la belle devise de l’Escorte d’Honneur. UNE VİSİTE, car il faut que la foule vienne et prie sur les tombes de ceux qui sont morts pour leur pays. UNE FLEUR qui met une note claire sur tant de désolation. UNE PRİÈRE parce qu’elle est à la fois de la consolation et de l’espoir.

Le Souvenir Français et l’Escorte d’Honneur font célébrer, au moins une fois par an, toujours le dernier dimanche de novembre, une cérémonie funèbre religieuse et patriotique en la ville de Rennes, puis au cimetière de l’Est. A cette occasion, Francis Simon prononce un discours au pied du monument de l’association « Le Souvenir Français ». Connus ou non, égaux dans le sacrifice, chaque combattant a droit à des funérailles. Simon assure aux fidèles de toutes les religions les obsèques de leur culte. Les musulmans eux-mêmes, qui venaient mourir pour une lointaine France furent enterrés selon la loi du prophète et leurs tombes entretenues avec le même soin pieux.

Le 16 juin 1915, le lieutenant Henri Simon était tué. Particulièrement touché par le décès de son fils aîné, Francis Simon a l’idée de proposer que la Nation rende hommage à un combattant inconnu qui symboliserait l’armée française tout entière. Le 26 novembre 1916, il formule cette idée :

Sur notre monument de granit leur nom sera profondément gravé pour qu’en l’Éternité leur gloire parle et dure. Qu’il brille au fronton de la porte ou sur le seuil de sa maison, le nom de l’habitant qui s’est fait tuer, pour qu’on puisse continuer de sortir et d’entrer ! Qu’un jour soit consacré à leur souvenir, à leur âme : la Toussaint des Morts pour la Patrie ! Qu’ils aient enfin, nos morts, leur Panthéon !

Pourquoi la France n’ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l’un de ces combattants ignorés morts bravement pour la Patrie, avec, pour inscription sur la pierre, deux mots : UN SOLDAT – deux dates : 1914-1917 ? Cette inhumation d’un simple soldat sous ce dôme où reposent tant de gloires et de génies, serait comme un symbole, et, de plus, un hommage rendu à l’armée française tout entière !

Et ils seront, ainsi, nos morts, entourés d’une atmosphère de gloire qu’entretiendra l’âme éternelle et reconnaissante de la France.

 

2) Comment cette idée a-t-elle cheminée jusqu’à l’inhumation d’un Soldat inconnu à l’Arc de Triomphe le 11 novembre 1920 ?

Le 12 juillet 1918, Maurice Maunoury, député de l’Eure et Loire et maire de Luisant, qui préside la distribution des prix du lycée Marceau, de Chartres, formule le projet d’élever un tombeau en l’honneur d’un soldat anonyme. Il reprend son projet le 19 novembre 1918, avec plusieurs de ses collègues, et dépose une proposition de résolution tendant à ériger au Panthéon un monument en l’honneur du soldat français, et propose de faire exhumer les restes d’un fantassin français, mort sur le champ de bataille, enterré sur la ligne de feu sans que son identité ait pu être établie, et de déposer ces restes au Panthéon dans un monument sur lequel seront inscrits ces mots : Au Poilu, la Patrie reconnaissante !

Aussitôt, la presse relaie l’idée. Le 12 septembre 1919, André Paisant, député de Senlis, et 89 de ses collègues déposent devant la Chambre des députés, avec demande de discussion immédiate, une proposition de résolution ayant pour objet le transfert solennel au Panthéon d’un soldat anonyme français, tombé au champ d’honneur, mort pour la Patrie, et invitent le Gouvernement à procéder à son transfert solennel au Panthéon, pour symboliser à la fois la victoire qui avait sauvé le monde et l’héroïsme des citoyens morts pour leur Patrie. Des journalistes, des hommes politiques, des chefs militaires, des présidents de Chambres, des avocats, le Grand Rabbin, des savants, des écrivains,  médecins célèbres, sculpteurs, peintres, auteurs dramatiques, des psychologues, hommes de la Comédie Française, des Grandes Associations Françaises, approuvent le projet d’André Paisant et celui de Henry Vidal. Des lettres arrivent par milliers, pour s’associer à cette idée de faire reposer au Panthéon un Poilu anonyme et, par un acte symbolique s’adressant à tous les obscurs tombés comme lui sur les champs de bataille, d’accorder à son humble et glorieuse dépouille de grandes funérailles ; de glorifier solennellement un Soldat inconnu tombé pour la Patrie, en déposant ses cendres au Panthéon.

Pour commémorer le cinquantenaire de la IIIe République, une loi, promulguée le 1er septembre 1920, autorise la translation au Panthéon de l’urne contenant le cœur de Léon Gambetta. Ces cérémonies auront lieu le 11 novembre 1920, anniversaire du jour où la victoire des armées de la République avait restitué l’Alsace et la Lorraine à la France. Parallèlement, le 2 novembre 1920, le Gouvernement décide de saisir les Chambres dès leur rentrée d’un projet de loi autorisant le transfert et l’inhumation au Panthéon, le même 11 novembre, des restes d’un Soldat inconnu. André Honnorat, ministre de l’İnstruction Publique et des Beaux-Arts, s’emploie activement à en régler les détails.

Le député de l’Oise, André Paisant, a laissé la parole aux combattants, et déclare : En faisant sienne la proposition que quelques amis et moi avons déposée le 12 septembre 1919, le Gouvernement a pris la résolution que nous attendions. İl ne pouvait s’y dérober ». Dès lors, un débat relayé par la presse et mobilisant le monde combattant s’ouvre. Le Panthéon ne fait pas l’unanimité, l’Arc de Triomphe est proposé.

La Chambre des députés et le Sénat votent à l’unanimité, et adoptent le 9 novembre 1920 la translation à Paris et le dépôt à l’Arc de Triomphe des restes d’un Soldat inconnu Mort pour la France au cours de la Grande Guerre. Le 11 novembre 1920, la dépouille d’un des soldats non identifiés morts au champ d’honneur au cours de la Grande Guerre est honorée à l’Arc de Triomphe. Mais comment fut choisi le Soldat inconnu qui eut cet honneur ?

C’est à Verdun qu’il fut choisi. Huit corps identifiés comme français, mais non identifiés, pris dans les différentes zones de bataille, furent transportés à la citadelle de Verdun. Le 9 novembre 1920, un cercueil était désigné par le soldat Auguste Thin, du 132ème régiment d’infanterie. Le cercueil était transporté à Paris par train spécial, et arrivait à minuit précis en gare de Paris-Denfert. Une garde d’honneur veillait. Au matin du 11 novembre 1920, il gagnait l’Arc de Triomphe, après être passé devant le Panthéon.

 

3) Comment l’idée de création d’une tombe de Soldat inconnu s’est-elle répandue dans le monde ?

L’idée de Francis Simon, matérialisée en France le 11 novembre 1920, fut reprise dans le monde entier. D’abord par les nations qui avaient participé à la Grande Guerre. Voici quelques exemples :

Pays Date d’inhumation Lieu
Commonwealth 11 novembre 1920 Abbaye de Westminster, Londres
Portugal 13 avril 1921 Monastère de Batalha
Italie 4 novembre 1921 Rome, sur les flancs du Capitole
Etats-Unis 11 novembre 1921 Cimetière national d’Arlington, près de Washington
Serbie 1 juin 1922 Monument au Héros Inconnu du mont Avala, Bucarest
République Tchèque 1 juillet 1922 Mémorial national de Vitkov, Prague
Belgique 11 novembre 1922 Devant la Colonne du Congrès, Bruxelles
Roumanie 17 mai 1923 Parc central de Bucarest
Lituanie 22 novembre 1923 Vilnius
Pologne 2 novembre 1925 Sous un portique du Jardin Saxon, Varsovie
Grèce 25 mars 1932 Place Syntagma, Athènes
Etats-Unis 11 novembre 1921 Cimetière national d’Arlington, près de Washington
Bulgarie 14 septembre 1936 L’église Sainte-Sophie, Sofia

Ensuite, des nations qui ont affirmé leur autonomie nationale :

Pays Date d’inhumation Lieu
Australie 11 novembre 1993 Mémorial australien de la guerre, Canberra
Canada 28 mai 2000 Monument commémoratif de guerre, Ottawa
Nouvelle-Zélande 11 novembre 2004 Mémorial du Soldat inconnu, Wellington

Enfin, le symbole du Soldat Inconnu s’imposa pour toutes les autres guerres et pour toutes les nations du monde.

Quelques exemples :

Pays Conflits Date d’inhumation Lieu
France Bataille de France de 1940Guerre d’Algérie,Guerre d’Indochine, 16 juillet 195016 octobre 19778 juin 1980 Nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette, Ablain-Saint-Nazaire
Algérie Guerre d’Algérie 1982 Mémorial du Martyr, Alger
Allemagne (RDA) Seconde Guerre mondiale et résistants antifascistes 6 octobre 1969 Neue Wache, Berlin
Inde Première Guerre mondiale et guerres afghanes 1972 Sous la Porte de l’Inde, New Delhi
Etats-Unis Seconde Guerre mondiale et Guerre de Corée ; Vietnam 1958 et 1984 Cimetière national d’Arlington, près de Washington

 

Dernier ouvrage paru :

FONCK Gérard, Le Soldat inconnu, Tome I : Les démarches, 2004.

 

Contact :

fonckgerard@hotmail.fr

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