Georges Valance, journaliste et historien, ex-directeur des rédactions de l’Expansion et directeur de rédaction délégué de L’Express, a notamment publié les biographies de Adolphe Thiers, du baron Haussmann, de Valéry Giscard d’Estaing ainsi qu’une « Histoire du Franc », une « Petite histoire de la germanophobie », le « Phénix français », le « Retour de Bismarck » ( prix Aujourd’hui).
Pourquoi avoir écrit une biographie de Raymond Poincaré ? Pour deux raisons essentielles : corriger la véritable injustice qui entoure sa mémoire et rappeler que le chef d’Etat lorrain sauva la France à trois reprises. Qui dit mieux ?
Soit Raymond Poincaré est aujourd’hui méconnu, presque oublié. Soit on se rappelle de lui mais c’est très souvent pour reprendre deux accusations aussi fausses que scandaleuses. L’une d’avoir été un des responsables du déclanchement de la Première Guerre mondiale : « Poincaré la Guerre ». L’autre de n’avoir éprouvé aucune compassion pour les « poilus » souffrant et mourant dans les tranchées : « L’homme qui rit dans les cimetières », comme titre l’Humanité du 6 juin 1922 sous une photo de Poincaré visitant un cimetière militaire de Verdun en compagnie de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ayant le soleil dans les yeux, Poincaré fait un rictus devenu un sourire pour le journal communiste qui diffusera à plus de cent mille exemplaires la photo reproduite en carte postale. Pourquoi cette dépense, pourquoi cette campagne anti-Poincaré quatre années après la guerre ? Tout simplement parce que le Lorrain, redevenu président du Conseil, livre bataille pour que l’Allemagne acquitte les réparations prescrites par le traité de Versailles alors que la Russie bolchevique soutient Berlin : l’ennemi de mes amis est mon ennemi.
« L’enfant de Sedan »
Seconde grande raison de s’arrêter à l’action de Poincaré : il sauva la France à trois reprises :
Une première fois quand, devenant président du Conseil en 1912, il repêche l’Entente franco-anglaise ébranlée par la politique étrangère quelque peu aventureuse de son prédécesseur Joseph Caillaux. Ce dernier vient de mettre un terme à la crise franco-allemande née de l’envoi par Berlin de la canonnière Panther dans la baie d’Agadir au Maroc. Quatre mois de négociations ont permis d’aboutir à un compromis : la France obtient les mains libres au Maroc mais cède en contrepartie à l’Allemagne 250000 kilomètres carrés du Congo.
L’accord peut se justifier et Poincaré, devenu président du Conseil à la place de Caillaux, se prononce en faveur de sa ratification. Mais il en redoute les effets collatéraux sur les rapports franco-britanniques. Caillaux avaient mené des négociations secrètes hors des circuits traditionnels des Affaires étrangères et des ambassades. D’où une question : le traité rendu public est-il sincère ? Caillaux n’a-t-il pas fait des concessions supplémentaires qui n’apparaîtraient que plus tard, par exemple sur la question de l’Alsace-Lorraine ? C’est en tous cas la question que se pose le gouvernement britannique qui redoute un rapprochement franco-allemand. Pragmatique comme à son habitude, il réagit aussitôt en envoyant son ministre de la Guerre à Berlin. Sa mission : conclure un accord limitant la course aux armements navals, le Reich recevant alors des compensations coloniales prises d’ailleurs sur les colonies …portugaises. Les exigences allemandes font capoter les discussions mais Poincaré, discrètement informé par l’ambassadeur britannique à Paris, a compris : à Londres, un renversement d’alliance est toujours possible, la France peut se trouver seule face au Reich, l’allié russe étant très affaibli par sa défaite contre le Japon.
« Enfant de Sedan », comme il y avait eu les « enfants de Waterloo », Poincaré a une obsession : éviter que la France soit dans la situation d’isolement que connaissait la France lorsque Napoléon III avait déclaré la guerre à la Prusse. Jusqu’en août 1914, il aura deux priorités absolues : renforcer l’armée en faisant voter la loi des trois ans et renforcer « l’Entente » avec Londres et Saint-Pétersbourg. Il fait notamment tout pour séduire les Britanniques et les convaincre que la France n’a pas d’amitiés de rechange. Il interdit ainsi à l’état-major d’étudier des plans de guerre violant la neutralité belge afin de ne pas froisser Londres. Cela coûtera cher aux armées françaises en août 1914 mais auraient-elles finalement gagné la France sans les alliés anglo-saxons ?
L’appel au Tigre
La deuxième fois où Poincaré a sauvé la France se produira quelques années plus tard lorsque en novembre 1917, il appellera à la tête du gouvernement son « ennemi » intime, Georges Clemenceau, le Tigre.
1917 c’est « l’annus horribilis ». L’allié roumain est mis hors de combat, les Italiens sont battus à Caporetto, les Russes sont en passe de sortir de la guerre, les Américains n’ont pas encore débarqué, en France, le moral s’affaisse à l’arrière comme sur le front, des régiments se mutinent etc. Bref, il faut soit conclure une paix de compromis, la « ligne Caillaux », soit conduire la guerre jusqu’à la victoire finale ( ou la défaite), la « ligne Clemenceau ».
Le Lorrain est entièrement sur cette seconde ligne mais le problème est que les deux hommes se détestent cordialement. Clemenceau n’a jamais cessé de l’abreuver de sarcasmes. Style : « Au fond, il n’y a que deux organes inutiles : la prostate et la présidence de la République ». Ou bien : « Cet homme, comme chacun sait, a beaucoup de génie dans un de ses cousins [ Henri le mathématicien] ». Il l’avait même traité un jour de « meusosaure », animal préhistorique de la Meuse, « une petite bête sèche, désagréable et pas courageuse. Un animal assez déplaisant et dont heureusement on ne connaît qu’un exemplaire ». Même lors de son premier Conseil des ministres, le Vendéen primesautier à 76 ans ne pourra s’empêcher de « charrier » le rigoureux président de la République qui reste sans voix: « Alors, mon vieux Raymond, on va connaître l’amour ? »
Poincaré a d’autant plus hésité à appeler le Tigre à la tête du gouvernement qu’il savait qu’avec lui le président de la République deviendrait un « roi fainéant ». Mais il a eu l’abnégation de le faire. Malgré qu’il en aie, il a confié le gouvernement de la France en guerre à celui qui sera bientôt surnommé le « Père la Victoire » par les Français oubliant quelque peu qui l’avait installé là.
« Poincaré le Confiance »
La troisième fois où Poincaré a « sauvé » la France ce sera en 1926-1928 lorsqu’il « sauvera » le franc et deviendra « Poincaré la Confiance ». Rappel des faits.
Depuis début 1925, une vague spéculative à la baisse s’attaque au franc. En juillet 1926, un remake de la crise du mark en 1922 menace le franc. Le gouverneur de la Banque de France s’alarme : « La panique monétaire s’est répandue partout en France. Personne ne veut plus de billets. C’est un sauve-qui-peut général. » Par ordre de l’administration des PTT, la transmission des cours financiers ou commerciaux est interdite jusqu’à nouvel ordre. On observe à Paris des comportements semblables à ceux qui s’étaient manifestés à Berlin : avenue de l’Opéra, des magasins changent les étiquettes d’heure en heure pour profiter du mouvement d’achat compulsif provoqué par l’effondrement de la monnaie. Des manifestants parisiens incendient un car de touristes étrangers traités de spéculateurs et conspuent les députés sortant du Palais Bourbon.
La crise est devenue politique. Le gouverneur de la Banque de France menace de couper les vivres au Trésor, ce qui obligerait le gouvernement à suspendre notamment le paiement des salaires des fonctionnaires. Un nouveau gouvernement Herriot est renversé dès sa présentation à la Chambre des députés. Reste un recours : Poincaré qui est venu à bout d’une première crise du franc en mars 1924. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le président de la République Doumergue fait appeler le Lorrain qui va mettre en place ce qu’on appelle à l’époque une « dictature financière ».
Poincaré qui a été quatre fois ministre, une fois Président de la République et deux fois président du Conseil connaît sur le bout des doigts le fonctionnement de la Troisième République et ses tares. Il pose deux conditions à son acceptation : constituer un gouvernement d’union nationale au dessus des partis, sur le modèle de « l’Union Sacrée » qu’il avait prônée en août 1914 et disposer des pleins pouvoirs pour sauver le franc.
Socialistes et communistes mis à part, tous les courants politiques sont représentés dans ce « gouvernement de têtes » qui compte seulement treize ministres dont six anciens présidents du Conseil dont Poincaré. Tout le monde, ou presque, sera ainsi impliqué dans le programme d’austérité indispensable pour redresser la monnaie et les spéculateurs sauront qu’ils auront en face d’eux la France unie. Et dès le 31 juillet, les premières mesures sont mises en route. Quasiment tous les impôts, directs et indirects, sont augmentés. Poincaré, plus maître d’école que jamais, a fait la leçon aux députés : « Si les ressources que nous vous demandons n’étaient pas votées, nous perdrions 11000 francs par minute, 660000 par heure, 16 millions par jour ».
Parallèlement, le train de vie de l’Etat est réduit. La simplification administrative dont on parle tant aujourd’hui, c’était alors ! Les ministères sont mis à la diète. Plusieurs milliers de dactylographes, souvent des protégées ou des parentes des parlementaires, sont remerciées. Ayant obtenu le pouvoir d’imposer des économies par décret, Poincaré ferme 106 sous-préfectures et 153 recettes des impôts. Autant de signaux de gestion rigoureuse donnés au marché financier. Le redressement de la monnaie peut commencer.
Redressement que Poincaré opère en deux temps : d’abord, il laisse le marché opérer et le franc se revaloriser, si l’on peut dire naturellement. Puis, le 25 juin 1928 seulement, il annonce dans un grand discours la stabilisation de la monnaie et la création du « franc Poincaré ». Un franc qui ne vaut plus que le cinquième du franc Germinal en 1914. « C’est le franc à quatre sous » plaisantent les chansonniers. Mais un franc stable.
En évitant au franc un effondrement semblable à celui que venait de connaître le mark, Poincaré la Confiance a préservé la société française du total bouleversement des valeurs qui a conduit le pays de Kant et de Goethe à la sauvagerie nazie. En sauvant le franc, Poincaré a peut-être sauvé la France du fascisme.
Dernier livre paru : Poincaré, Paris, Perrin, 2017.
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