Né le 13 avril 1948 à Saint-Rémy (Saône-et-Loire), Paul Raveaud poursuit des études de sociologie et commence sa carrière en 1971 comme chargé d’études à la Direction régionale de l’Agriculture à Lyon. En 1989, il rejoint la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), comme chargé de mission, avant d’être nommé en 1991 au cabinet du Secrétaire d’État à l’aménagement du territoire où il est en charge des dossiers relatifs au développement économique local, à la création d’emploi, et au suivi du fonds régionalisé d’aide aux initiatives locales pour l’emploi. Début 1993, il rejoint le Commissariat Général du Plan où il est chargé des questions relatives à la modernisation de l’Etat et principalement de celle de la gestion de l’emploi public. Fin 1996, il rejoint la Direction régionale de l’Equipement à Lyon, où il est nommé chargé de mission « développement économique local et emploi » auprès du directeur, avec pour objectif la mise en place et l’animation d’un réseau interrégional entre les services de cinq régions. Parallèlement à ses activités professionnelles, il été chargé de cours plusieurs années à l’université Lumière Lyon II, dans le cadre d’un DESS de sociologie appliquée au développement local. Retraité depuis 2012, il consacre désormais son temps à ses activités associatives et aux recherches sur la captivité de son père.
1 – Pouvez-vous nous présenter l’histoire et les objectifs de l’ADAPG ?
L’ADAPG, Association des Descendants des Anciens Prisonniers de Guerre des Stalags IX A, IX B et IX C, situés respectivement à Trutzhain (Hesse), Bad Orb (Hesse) et Bad Sulza (Thuringe), a été créée le 20 juin 2023. Cette jeune association est le fruit d’une longue histoire, d’une démarche personnelle à une aventure collective.
Origine et création de l’ADAPG
À partir de 2014, mes sœurs ainées m’ayant prêté les lettres que mon père avait écrites à ma mère pendant la Seconde Guerre mondiale, et principalement pendant sa longue captivité, je me suis mis à la recherche de son parcours à partir de sa mobilisation le 23 août 1939.
Grâce aux Archives Historiques de la Défense situées à Caen, j’ai pu identifier les Stalags où il a été conduit après la capture de son régiment, le 334èmeR.I., le 20 juin 1940, à Choloy (Meurthe-et-Moselle). Il fut d’abord envoyé dans le Stalag IX C le 8 août 1940, puis dans un Kommando de mines dans la région du Geiseltal, et enfin, à partir de la nuit de Noël 1943, dans le Stalag IX A.
Après la libération des prisonniers le 30 mars 1945 par l’armée américaine, ce Stalag a été utilisé par l’armée américaine comme camp d’internement (1945-1946), puis pour accueillir les personnes dites déplacées, à savoir des juifs en provenance de Pologne et d’autres pays d’Europe orientale (1946-1947), et enfin des expulsés et des réfugiés des anciens territoires allemands de l’Est et des Sudètes (1947-1951). Depuis, les anciens baraquements ont été conservés et transformés en lieux d’habitation qui forment aujourd’hui le quartier de Trutzhain.
Pour mon bonheur et celui de tous les descendants d’anciens prisonniers de guerre qui font des recherches sur la captivité de leur père ou grand-père ayant connu ce Stalag, un Mémorial et un Musée ont été créés en 2003 dans une ancienne baraque du corps de garde du Stalag. Dans le cadre de mes recherches, je suis allé à maintes reprises dans ce Musée. En 2022, sa directrice d’alors, Karin Brandes, me demande si elle pouvait communiquer mon e-mail aux descendants d’anciens prisonniers qui lui écrivent pour obtenir des renseignements Elle estimait que cela pourrait être profitable que nous puissions échanger. J’acceptai volontiers.
Quelques semaines plus tard, je reçois de nombreux courriels de descendants d’anciens prisonniers de guerre. Un réseau se crée. Nous commençons à échanger des informations, et à nous épauler dans nos recherches. Assez vite, le projet de créer une association se dessine, et ce d’autant plus que depuis 2019 (cf. 2ème partie de cet article), le projet de faire une exposition sur la captivité a commencé à émerger entre Karin et moi.
La conception et la réussite d’un tel projet nécessitaient d’associer plusieurs descendants d’anciens prisonniers. La création de l’ADAPG allait le permettre.
Objectifs de l’ADAPG :
L’article 2 des statuts précise ainsi les objectifs de l’ADPAG : « L’A.D.A.P.G. a pour objectifs de contribuer à faire connaître la captivité des anciens prisonniers des Stalags IX A, IX B et IX C et de faire vivre leur mémoire. L’A.D.A.P.G. organise des échanges d’informations entre ses membres, contribue aux recherches conduites par des descendants d’anciens prisonniers, organise des rencontres et conférences ouvertes au public. Elle fait connaître les œuvres et les récits produits par les anciens prisonniers et leurs descendants, ainsi que les études, articles, publications diverses qui ont pour sujet la captivité pendant la Seconde Guerre mondiale, et ce quel qu’en soit le support (écrit, audio, vidéo). »
Lors de nos recherches, nous constatons que la captivité des anciens prisonniers de guerre de la Seconde Guerre mondiale est pour le moins méconnue, voire ignorée par certains, alors même que 1 850 000 soldats, soit 40 % de l’armée française ont été capturés en six semaines au printemps 1940 !
Dès lors, notre premier objectif est de faire connaitre cette captivité. Pour cela nous avons d’abord mobilisé la connaissance de nos adhérents sur la captivité de leur ascendant en leur demandant de remplir une fiche type qui nous permet d’identifier les parcours, les lieux et dates de capture, les Stalags et Kommandos de travail, mais aussi les évasions, les actes de résistance, pour certains les « marches forcées » effectuées lors de l’évacuation des Stalags, et les retours de ces prisonniers. Ces fiches nous permettent aussi de connaitre le métier et les situations familiales de ces hommes au moment de leur mobilisation.
Notre échantillon n’a pas la prétention d’être exhaustif, mais il nous procure cependant un ensemble d’informations fort utiles, en particulier sur les Kommandos de travail : fermes, usines dont usines d’armement, mines, etc.
Nous avons également recensé et fait connaitre les publications effectuées par six d’entre nous : ce sont soit des publications des récits écrits par les anciens prisonniers, soit des reconstitutions de leurs parcours, soit la publication des lettres échangées tout au long de la captivité entre un prisonnier et son épouse.
Par ailleurs, des membres de l’association sont régulièrement sollicités pour faire des conférences et intervenir dans des débats.
Enfin, nous avons lancé un gros chantier : celui de réaliser une exposition sur « La vie quotidienne des prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale ». Ce chantier et son aboutissement sont présentés ci-dessous.
2 – 2025 marque le 80ème anniversaire du retour des prisonniers de guerre, quelles seront vos actions ?
En cette année 2025, nous commémorons la libération des camps de déportés et des camps de prisonniers de guerre par les Alliés et l’Armée Rouge. Si la libération des camps de déportés donne lieu, et c’est justice, à maintes célébrations, la libération des camps de prisonniers est quasiment passée sous silence. Peu d’articles de presse ou d’évocation de la captivité dans les émissions radio ou télévisées.
Dans ce contexte, et compte tenu de la mission que nous nous sommes donnée, à savoir faire vivre la mémoire des anciens prisonniers de guerre, notre association développe tout au long de l’année et en différents lieux une action importante, à savoir la présentation d’une exposition sur « La vie quotidienne des prisonniers de guerre français en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale ».
Cette exposition a une double originalité :
Que nous raconte cette exposition ?
Dans un premier temps, nous avons envisagé d’expliquer le système de la captivité, sa mise en place, son organisation, la différenciation entre les Oflags (réservés aux officiers, que la Convention de Genève interdit de soumettre au travail) et les Stalags, réservés aux hommes de troupe et aux sous-officiers, lesquels représentaient 95 % des prisonniers de guerre. Mais il nous est apparu que cela risquait d’être abstrait, et peu attractif pour une exposition.
Lors de nos échanges, un thème s’est vite imposé : celui de la vie quotidienne des prisonniers de guerre, depuis le jour de la capture de leur régiment jusqu’au jour de leur retour dans leurs foyers.
Ces longs jours de leur captivité dont les anciens prisonniers de guerre ne parlaient jamais, ou quasiment jamais.
Ces jours qui ont suivi leur capture, passés dehors, dans des prés, souvent sous la pluie avec une maigre nourriture, avant de rejoindre un Frontstalag ou d’être directement envoyés en Allemagne.
Le jour de leur arrivée au Stalag, où ils subissent un parcours de déshumanisation et deviennent de simples numéros, des « Stuck ».
Leur envoi dans des « Kommandos de travail » (Arbeitskommandos) où ils deviennent malgré-eux une main d’œuvre mise à la disposition de l’économie du 3ème Reich.
À partir des archives du Musée, et surtout des archives familiales (lettres, photos, récits écrits par les prisonniers pendant leur captivité ou à leur retour), l’exposition permet de comprendre leurs conditions de travail et de vie (logement, nourriture, accès ou non aux soins) mais aussi ce qu’ils pouvaient ressentir du fait de la séparation des leurs, notamment de leurs conjoints, de leurs enfants – nombre de prisonniers étaient pères de famille au moment de la mobilisation – séparation que ne pouvait combler la correspondance, par ailleurs lente et très irrégulière. Sentiments de solitude, d’angoisse, de désespoir parfois au fur et à mesure que durait cette captivité.
Mais aussi une volonté farouche de tenir, de ne rien céder, de ne pas capituler, et aussi de résister, notamment à travers des actes de sabotage, de grève du zèle, de refus de travailler, des tentatives d’évasions, réussies ou non, autant d’actes qu’ils pouvaient payer très cher.
Cette vie quotidienne des prisonniers de guerre est décrite sur 22 panneaux présentés sur des roll-ups, illustrés par des photos et riches de témoignages d’anciens prisonniers qui permettent aux visiteurs de découvrir ce que fut la vie quotidienne de ces captifs.
À la demande du Souvenir Français, cette exposition est complétée par deux panneaux relatifs à la captivité et aux évasions de François Mitterrand. En effet, François Mitterrand a été prisonnier au Stalag IX A à deux reprises : deux semaines à partir du 16 août 1940, puis, après son évasion ratée du Stalag IX C, de fin avril 1941 au 28 novembre 1941, date de sa seconde évasion.
Importance et enjeux de cette exposition
À notre connaissance, cette exposition franco-allemande qui a reçu de l’Etat le label « Mission Libération », est un des rares événements d’importance relatifs à la captivité qui a lieu en cette année du 80ème anniversaire de la Libération. Certes il existe çà et là des expositions consacrées aux anciens prisonniers d’une localité, mais nous ne pouvons que constater que la captivité, ce fait majeur de la Seconde Guerre mondiale, continue non pas d’être ignorée, mais pour le moins sous-estimée.
L’enjeu est majeur. Nous autres, descendants d’anciens prisonniers de guerre, avons la responsabilité de faire connaitre ce que nos pères et grands-pères ont vécu, de transmettre aux nouvelles générations leurs paroles, leurs écrits et leurs témoignages.
Ceci est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui encore, la captivité n’est pas abordée dans les programmes d’histoire qui, au collège (classe de 3ème) et au lycée (classe de terminale), traitent de la Seconde Guerre mondiale.
Aussi notre exposition, ouverte à tous publics, s’adresse en priorité aux jeunes : collégiens, lycéens, étudiants. Lors des expositions, nous prévoyons des animations, des interventions, et là où cela est possible, nous organisons la projection d’un documentaire.
Enfin, nous utilisons l’opportunité de l’installation de l’exposition pour contacter la presse locale susceptible de relayer, par des articles et des interviews, nos messages sur la captivité.
3 – Dans son Journal d’un fantôme, à la date du 9 novembre 1945, le poète et ancien résistant Philippe Soupault évoque la « tragédie des retours ». À quelles difficultés les prisonniers de guerre ont-ils été confrontés lors de leur retour ?
Une longue attente : à partir de l’été 1944, les prisonniers de guerre, qui ont peu ou prou connaissance de la libération progressive de la France, espèrent une fin rapide du conflit qui permettra, enfin, leur retour. Dans une lettre à son épouse, un prisonnier écrit : « Peut-être que l’été de la Saint-Martin nous amènera un soleil de joie ». Mais les mois passent, la captivité s’éternise, et les prisonniers se désespèrent « Cela ne finira donc jamais », écrit l’un d’eux.
Le Noël 1944 est d’une grande tristesse : pour la grande majorité des prisonniers de guerre encore présents en Allemagne, soit environ 1 000 000 d’hommes, ce sera le 6ème Noël de suite loin de leur famille, de leurs enfants !
La libération des Stalags : à partir de l’hiver 1944/1945, les Stalags situés à l’Est sont progressivement libérés par les Soviétiques, et ceux situés à l’Ouest le sont par les troupes anglo-américaines à partir du printemps 1945. Les Stalags et leurs Kommandos de travail que les ascendants des membres de l’ADAPG ont connus sont libérés le 30 mars (Stalag IX A), le 11 avril (Stalag IX C) et le 29 avril 1945 (Stalag IX B).
En route vers la France : les prisonniers qui respirent enfin l’air de la liberté connaissent une première désillusion. Ils doivent, dans leur grande majorité, patienter quelques semaines voire quelques mois en Allemagne d’abord, puis dans des centres d’accueil situés à proximité de la frontière. Malgré des réunions préparatoires tenues dès juillet 1944, leur pays n’était pas prêt pour les accueillir. À titre d’exemple, à Paris la gare d’Orsay va être aménagée en urgence pour accueillir par dizaines de milliers les prisonniers qui arrivent en train ainsi que ceux – les plus chanceux – qui sont rapatriés à l’aéroport du Bourget par les Dakota (DC3) de l’armée américaine.
Les retrouvailles, au goût parfois amer : il est aisé d’imaginer l’émotion des anciens prisonniers et de leurs proches lorsque, au terme d’une séparation de près de 6 années, ils se sont retrouvés. Les témoignages affluent, comme celui écrit par l’épouse d’un prisonnier qui venait depuis plusieurs semaines, à l’arrivée de chaque train en provenance de Paris, en espérant voir le visage de son mari : « Et le 23 avril 1945, Louis descendait du train à 8 heures. J’avais quelques minutes de retard. Louis était déjà entouré, cela ne peut se décrire ! Nous n’avions rien à nous dire, l’émotion était trop forte, du 23 août 1939 au 23 avril 1945, cela faisait 5 ans, 8 mois de séparation ! »
Mais il y eut aussi des retours douloureux.
Ceux de prisonniers que les enfants ne reconnaissaient pas comme étant leur père. Un membre de notre association décrit ainsi la scène où deux enfants retrouvent leur père : « Madeleine et Bernard vivent un moment de confusion. Ils réclamaient leur papa qu’ils ne connaissaient pas et maintenant qu’ils sont près de lui, ils hésitent à lui parler. Au bout de quelques minutes, la peur au ventre, ils articulent seulement « Bonjour Monsieur ». Ils étaient si petits lorsque leur père est parti qu’ils ne comprennent toujours pas pourquoi il revient aujourd’hui ».
Ceux de prisonniers à qui on avait caché un drame familial, une maladie grave, un décès.
Ceux enfin de prisonniers que leur épouse n’avait pas attendu. On estime à 10% le nombre de divorces qui ont concerné des prisonniers mariés.
Des santés fragilisées : si certains prisonniers doivent être hospitalisés, parfois même avant leur départ d’Allemagne, l’état sanitaire de la plupart est meilleur que celui redouté par les autorités. Toutefois, à la suite des mauvaises conditions de leur captivité, de nombreux anciens prisonniers souffriront par la suite de diverses maladies (digestives, pulmonaires, cardiaques, etc.) qui ne seront pas reconnues par la suite comme des conséquences de leur captivité.
Le retour au travail, pas toujours simple : les anciens prisonniers qui étaient salariés avant la guerre retrouvent assez facilement leur place, parfois au détriment de femmes qui avaient été embauchées pour faire tourner les usines et les ateliers, et qui sont remerciées. En revanche, de nombreux artisans et commerçants découvrent leur outil de travail détruit, et vont vivre des mois difficiles. Les agriculteurs découvrent un paysage bouleversé.
Le difficile retour dans la société française : s’ils reçoivent à leur retour, tant rêvé et idéalisé, un accueil chaleureux de leurs proches, les anciens prisonniers ont le sentiment « d’arriver en pays inconnu », comme l’a écrit l’un des leurs, Marcel Marivin. L’euphorie de la libération est passée. Ils découvrent la dure réalité d’une France partiellement détruite où les citoyens sont soumis à de nombreuses restrictions, alimentaires notamment, et connaissent une forte inflation (60% entre décembre 1944 et décembre 1945), mais aussi une France en pleine transformation sociale. Le choc est rude.
Surtout, la place des héros étant prise par les résistants, celle de la souffrance indicible par les déportés, ils se sentent incompris dans une France qui veut oublier la défaite de 1940.
Ils n’obtiendront qu’en décembre 1949 le statut de combattant.
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