Mohand Hamoumou, Président d’AJIR pour les Harkis (Association Justice Information Réparation), Docteur en sociologie (EHESS), Diplômé de l’Essec et en droit, psychologue clinicien, a été successivement instituteur, enseignant à l’Université et en Grandes Ecoles, DRH au sein de deux groupes internationaux, Maire et Président de communauté de communes. Membre du conseil scientifique de la Fondation de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie ; ancien membre du conseil scientifique du Mémorial du camp de Rivesaltes, du conseil d’orientation du Musée national de l’immigration, du Haut conseil à l’intégration, de l’Institut d’audit social. Auteur de la première thèse publiée sur l’histoire des Harkis (Et ils sont devenus Harkis, Fayard, 1993, préface de Dominique Schnapper) et contributeur dans de nombreux ouvrages collectifs et revues. Officier de la Légion d’Honneur et Commandeur dans l’Ordre national du Mérite.
1 – Vous présidez l’association AJIR pour les Harkis. Pouvez-vous nous présenter votre association ?
AJIR pour les Harkis est née en Auvergne, à Clermont Ferrand en 1998, de la fusion de trois associations existantes depuis vingt ans et qui se sont dissoutes pour n’en faire qu’une seule. À la suite de la publication de mon ouvrage « Et ils sont devenus Harkis » chez Fayard, j’ai fait quelques conférences et je suis passé dans des émissions de radio et de télévision. Les 3 associations auvergnates ont alors découvert que j’étais Clermontois et chacune m’a contacté. J’ai proposé que les 3 associations ne fassent plus qu’une pour créer une seule association plus forte. C’est ce qui s’est passé.
La création d’AJIR s’inscrivait dès le début dans la volonté de rassembler et c’est toujours un de nos objectifs car, depuis longtemps, le tissu associatif Harki souffre d’un manque d’union, illustré par l’existence au Journal Officiel de plusieurs centaines d’associations dont hélas la grande majorité n’a plus d’activité ni d’adhérents.
Cela est encore plus vrai depuis la disparition de figures emblématiques, (Bachagha Boualem, Jean Claude Khiari, Capitaine Rabah Kheliff, Colonel Mohamed Benkouda, …) qui présidaient des associations nationales. Aujourd’hui, les quelques dizaines d’associations encore actives se focalisent sur des actions locales de préservation de la mémoire ou se tournent vers des actions individuelles en justice, recherchant auprès des tribunaux, pour eux et leur famille, une réparation financière. AJIR est aujourd’hui l’association la plus importante et une des rares réellement nationale. Elle fédère 43 associations et compte plus de 2800 adhérents répartis dans 54 départements.
AJIR est structurée avec un bureau national et 12 délégations régionales : Président : Mohand Hamoumou, Docteur en sociologie, ancien maire de Volvic Vice-Président : Ali Amrane, éducateur, adjoint au maire de Grasse, président du collectif des associations de Harkis des Alpes-Maritimes Vice-Présidente : Marie Gougache, cadre bancaire, Déléguée d’AJIR Ile-de-France Trésorier : Mohamed Haddouche, auditeur comptable, Président du Fonds de dotation pour la mémoire des Harkis Secrétaire : Said Balah, fonctionnaire Délégations régionales : Hauts-de-France : Sonia Hamadi, fonctionnaire Normandie : Jacques Alim, consultant informatique Grand Est : Mohamed Baziz, inspecteur général honoraire et Fatima Laouar, fonctionnaire Bourgogne : Amar Taher, fonctionnaire Auvergne : Khétidja Lifife, fonctionnaire Rhône-Alpes : Mohamed Rabehi, entrepreneur Drôme-Isère : Colette Pétrod, fonctionnaire Occitanie : Ghalia Thami, fonctionnaire, élue municipale Sud PACA : Nora Forté, gérante de société, Aquitaine : Hamid Khemache, ancien Opex, fonctionnaire, Centre-Val de Loire : Said Balah et Abdelaziz Henine, directeur de collège Ile-de-France : Marie Gougache et André Dakiche, technicien Pays de la Loire : Tayeb Kacem, ancien Sous-Officier et Opex |
Coordonnées au sein de ces délégations régionales, 43 associations adhérentes, unies sous un même nom par la passion de rendre justice aux Harkis, agissent pour faire connaître l’histoire des Harkis et convaincre les décideurs politiques de passer de l’assistanat à la justice, ce qui implique la reconnaissance officielle de l’abandon puis la réparation de ses conséquences. AJIR a ainsi joué un rôle majeur dans l’obtention de la loi du 23 février 2022. Nous avions écrit à tous les parlementaires puis j’ai pu exposer au Président de la République pourquoi il était important de reconnaître dans une loi l’abandon des Harkis par l’Etat de 1962.
Depuis la création d’AJIR en 1998, il y a eu la loi de 2005, reconnaissant, comme celle de 1994, les « sacrifices consentis » par les Harkis et l’instauration en 2001 d’une journée d’hommage national aux Harkis chaque 25 septembre. À cette occasion le Président Chirac a reconnu que « la France n’a pas su sauver ses enfants de la barbarie ». Mais pas de reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat français qui en 1962 a désarmé ses supplétifs et les a abandonnés puis a relégué les rescapés dans des camps ou des cités ghettos avec des conditions de vie indignes.
De même, les Présidents Sarkozy et Hollande ont déclaré que la France avait abandonné les Harkis, reconnaissant ainsi « les responsabilités des gouvernements français dans les massacres de ceux restés en Algérie » et les conditions honteuses d’accueil inhumaines de ceux qui purent se réfugier en métropole dont la moitié n’échappa aux massacres que grâce à l’action individuelle d’officiers qui ont refusé d’abandonner les Harkis qu’ils commandaient. Ce fût le cas du Général François Meyer, Président d’Honneur d’AJIR et de nombreux chefs de SAS anonymes qui en sauvant des Harkis ont aussi sauvé un peu de l’honneur de la France et de son armée.
J’ai présidé AJIR de 1998 à 2002 puis d’autres ont pris la suite car pour éviter les présidences à vie, nous avions inscrit dans les statuts que personne ne pouvait rester président (e) plus de 4 ans de suite.
En 2020 j’ai pris la décision de ne pas briguer un 3ème mandat de maire et j’ai relancé AJIR en janvier 2021 avec Mohamed Haddouche et quelques piliers d’AJIR comme Farid Moussaoui, Mohamed Rabehi, Mohamed Baziz, Jacques Alim, Marie Gougache, Abdelkader Hamoumou… Nous avons rapidement été rejoint par des présidents et présidentes d’associations séduits par le sérieux d’AJIR parmi lesquels Hacène Arfi, Khaled Klech (paix à son âme), Yamina Chalabi, Abdelkader Haroune, Jean Pierre Behar, Rabah Boufhal et bien d’autres personnalités, devenues membres du bureau ou délégués régionaux.
2 – Pouvez-vous nous parler des objectifs d’AJIR, de ses réalisations et de ses projets pour l’avenir, en particulier, celui de la création d’une fondation ?
En 2018, dans un article intitulé « Harkis : ce qu’un Président devrait faire » publié par Le Figaro, j’invitais le Président de la République à demander pardon au nom de la France, à faire voter une loi reconnaissant l’abandon des Harkis après le 19 mars 1962, et à engager un processus d’évaluation des préjudices puis de réparation.
Je demandais aussi une juste reconnaissance de parcours remarquables d’enfants d’anciens Harkis, l’entrée au Panthéon du Bachagha Boualem et la création d’une fondation.
AJIR a repris ces demandes parmi ses objectifs et en a ajouté d’autres comme le doublement de l’allocation de reconnaissance, le nivellement par le haut des allocations viagères versées aux veuves d’anciens Harkis.
Certains ont été atteint, comme la demande officielle de pardon, faite publiquement à l’Elysée le 20 septembre 2021 par le Président Macron, et comme la reconnaissance de l’abandon, gravée désormais dans le marbre de la loi du 23 février 2022.
On se félicite aussi du doublement de la rente viagère, demandée par d’autres sans succès en 2018 (commission Ceaux) et obtenue en octobre 2021 à la demande d’AJIR.
Enfin, parmi les réalisations dont nous sommes fiers, AJIR, grâce à une forte mobilisation auprès des députés, a obtenu que toutes les veuves puissent bénéficier de la même allocation viagère. Signalons que ces réalisations ont eu lieu grâce à un dialogue constructif avec des parlementaires de tous les bords et avec les conseillers du Président de la République qui a montré de l’intérêt pour ces questions.
Pour autant, le travail de justice due aux Harkis n’est pas achevé et donc celui d’AJIR non plus. La loi de 2022 était une avancée importante notamment par la reconnaissance de la faute de l’Etat et l’expression d’une volonté de réparer. Mais cette loi s’avère injuste (elle exclut la moitié des familles de Harkis, celles qui ne sont pas passées par les camps car parvenues, après leur abandon, à venir en métropole hors du plan officiel minimaliste de rapatriement). D’autre part, la réparation est parcimonieuse. La CEDH a d’ailleurs récemment jugé insuffisants les montants prévus par la loi française (mille euros par année passée dans les structures d’hébergement indignes). AJIR continue donc son combat pour que tous ceux qui ont subi un préjudice puissent bénéficier du droit à réparation. Plus que l’aspect financier (car il y a des préjudices irréparables) l’important est la reconnaissance que traduit cette réparation. Nous avons travaillé pour faire ajouter des lieux et donc des bénéficiaires ; il faut continuer aussi à signaler les dysfonctionnements de l’ONaCVG et de la CNIH dans le traitement des dossiers afin d’améliorer le processus. Pour l’avenir, nous avons élaboré un rapport de 70 pages contenant 33 propositions. Deux nous semblent prioritaires :
A- la mise en place d’une commission indépendante d’évaluation des préjudices matériels, moraux et psychologiques, composée de hauts magistrats, parlementaires, universitaires, personnalités réellement qualifiées, dont des représentants des anciens Harkis et leurs familles, afin de définir une méthode et un cadre pour l’évaluation de tous les préjudices avérés et réparables. La loi de 2022 a mis la charrue avant les bœufs en décidant d’un montant de réparation avant d’avoir évalué les préjudices.
B- Veiller à l’intégration de l’histoire objective de l’Empire français et de la décolonisation dans le grand récit national grâce à la création d’une fondation pour la mémoire des Harkis et combattants indigènes de l’Union française.
Cette demande de fondation est une demande ancienne d’AJIR pour les Harkis et également de nombreuses autres associations. Aujourd’hui, une étude d’opportunité a été demandée par le Gouvernement au Contrôle général des Armées ce qui est un signe encourageant, s’inscrivant dans la volonté du Président de la République de regarder sans tabou les mémoires de la guerre d’Algérie, la vérité historique pouvant apaiser les relations politiques entre Etats.
Certes, depuis trente ans, l’histoire des Harkis est mieux connue grâce à des livres et des documentaires, mais il reste beaucoup à faire car les programmes scolaires lui consacrent très peu de temps. Cette fondation est donc une nécessité. C’est aussi une urgence. La majorité des anciens Harkis sont hélas décédés. Les vivants sont très âgés. Il est urgent de recueillir leurs récits de vie pour constituer des archives orales indispensables pour de futurs travaux de recherche. Les mémoires individuelles ne sont pas une vérité indiscutable, mais elles apportent des visions précieuses que les historiens confrontent à d’autres sources.
Cette fondation œuvrera à une meilleure connaissance de l’histoire des Harkis et autres supplétifs indigènes, de la période coloniale dans laquelle elle s’enracine, des traumatismes et résiliences à la suite des déplacements forcés de populations. Elle évitera aux descendants d’être prisonniers d’une mémoire biaisée par l’incompréhension et la douleur dans lesquelles ont vécu leurs parents ou grands-parents. Cette fondation ne se résumera pas à un lieu mais se doit d’être une instance d’impulsion, de coordination et de facilitation de tous les projets allant dans le sens de sa mission. Elle proposera des partenariats avec la fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, le mémorial du camp de Rivesaltes, et le Souvenir Français car ces structures seront complémentaires.
Les principaux champs d’intervention seraient de :
– Rassembler, conserver, mettre à disposition l’ensemble des archives concernant ces citoyens français à l’histoire singulière. Aujourd’hui les archives sont dispersées dans plusieurs ministères : Défense, Intérieur, Affaires Sociales, Agriculture (l’ONF gérant les hameaux de forestage).
– Recueillir, enregistrer et conserver les témoignages de Harkis et de leurs familles.
– Diffuser la vérité historique sur l’action des troupes supplétives par la production d’expositions et documentaires en collaboration avec différents partenaires comme la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, le Mémorial du camp de Rivesaltes, le CDHA d’Aix, l’ONaCVG, etc.
– Encourager la réalisation de mémoires et thèses universitaires, soutenir la publication de livres, organiser des colloques, lancer des projets culturels et artistiques.
– Intervenir en formation continue des enseignants, en accord avec l’éducation nationale, et participer à la formation d’intervenants bénévoles dans les collèges et lycées.
La fondation pourra aussi être un centre de ressources, un lieu de débats, d’information et de conseil. La reconnaissance d’utilité publique et une dotation en capital suffisante lui permettront d’agir. L’appel aux mécènes institutionnels et aux donateurs privés doit être lancé rapidement. Il n’y a aucun doute que la générosité sera au rendez-vous par gratitude à l’égard de celles et ceux qui ont servi la France au risque de leur vie et furent abandonnés.
3 – Le Souvenir Français est une association partenaire d’AJIR. Comment voyez-vous le développement de ce partenariat ?
AJIR est fière et honorée de l’excellente relation entre AJIR et le Souvenir Français. Depuis sa création, les représentants départementaux d’AJIR pour les Harkis ont toujours entretenu des relations de respect mutuel et si possible de collaboration avec les délégués du Souvenir Français. Au niveau national, AJIR se réjouit de l’estime réciproque entre son Président et le Président Serge Barcellini. AJIR est régulièrement représentée aux inaugurations du Souvenir Français et AJIR est toujours heureuse d’accueillir le Souvenir Français à ses AG ou ses colloques.
Le partenariat se traduit aussi par des actions concrètes : par exemple, Le Souvenir Français aide les délégations régionales dans l’acquisition de drapeaux.
Nous souhaitons également travailler ensemble sur la question de l’entretien de tombes d’anciens Harkis n’ayant plus de famille. Un autre dossier aussi délicat qu’important est celui d’identification des lieux où ont été enterrés des bébés et jeunes enfants morts dans les camps, notamment à Rivesaltes et Saint-Maurice-l’Ardoise. Il s’agit de donner une sépulture décente à ces enfants et d’avoir un lieu digne où leurs familles pourront se recueillir. Ce travail a été fait par AJIR au camp de Bourg-Lastic avec l’aide de l’Armée.
Enfin, nous espérons un vrai soutien du Souvenir Français pour la création de la Fondation. Nous avons commencé à réfléchir ensemble, convaincus qu’il faudrait l’élargir à d’autres troupes supplétives de l’Union française, comme celles d’Indochine dont les membres ont d’ailleurs connu les mêmes chefs, le même abandon et le même « accueil » indigne pour ceux qui purent gagner la métropole.
Nous aurons besoin de l’aide de tous les adhérents du Souvenir Français et de leurs amis. Pour convaincre les députés de leur département, apporter des documents et des témoignages et s’ils le peuvent un soutien financier sous forme d’adhésion (20€) ou de don, même modique car cela nous encourage. AJIR n’est pas une association DE Harkis mais POUR les Harkis.
Nous comptons sur vous, car naturellement le Souvenir Français se souvient de ces Français d’origines diverses « Morts pour la France ». Ensemble faisons naître cette fondation pour que demain personne ne les oublie.
Site : www.ajir-harkis.fr Nous écrire : ajirfrancecontact@gmail.com
Charles Tamazount, Président du Comité Harkis et Vérité, est né le 24 mai 1974 à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). Il passe son enfance dans le camp de Bias, où il est scolarisé jusqu’en 1981 avant de rejoindre l’école de la République du village de Bias. En 1994, il obtient son baccalauréat et choisit de s’orienter en droit. Il obtient ainsi sa licence de droit public en 1998, puis une maîtrise en sciences politiques l’année suivante et en 2000, un DEA de droit public. Il entre en 2001 à l’école doctorale de droit à l’Université Toulouse 1 et à l’Institut régional d’administration de Lyon en 2002. Après une intense carrière dans l’administration comme cadre supérieur du ministère du Logement et de la politique de la ville, Charles Tamazount est aujourd’hui Adjoint au sous-directeur des politiques de l’habitat. Parallèlement à ses activités, il a été Chargé de formation à l’Institut régional d’administration de 2010 à 2015 et est aujourd’hui Chargé d’enseignement à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale et à l’Université Paris Est Créteil, où il enseigne le droit constitutionnel, le droit des libertés, le droit administratif et le contentieux administratif. Depuis 2001, il est Président du Comité Harkis et Vérité, association de défense des droits des harkis et de leurs familles.
Charles Tamazount et son frère Abdelkader ont récemment été interviewés par France Culture pour la série de podcast « Comme Personne » : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/comme-personne/charles-et-abdelkader-tamazount-le-droit-des-harkis-6188894
Drame des harkis : la CEDH condamne la France
Le 4 avril 2024, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour « traitements inhumains et dégradants » pour avoir accueilli et interné en dehors de tout cadre légal de 1962 à 1975 des familles de harkis au camp de Bias dans le Lot-et-Garonne. Pour Charles Tamazount, président du Comité Harkis et Vérité et à l’initiative de cette action, « c’est l’aboutissement de quatorze années de procédure devant les justices française et européenne. Enfin, le drame des harkis est reconnu, de surcroît à l’échelle européenne. Les victimes du camp de Bias vont pouvoir être enfin réparées. C’est une grande victoire du droit sur l’oubli ».
Témoins gênants de la fin de la Guerre d’Algérie, les harkis, terme générique regroupant les Algériens ayant servi dans les unités supplétives de l’armée française, ont longtemps été présentés comme étant « les oubliés de l’Histoire ».
Abandonnés sur le sol algérien par la France après la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, les harkis rescapés des massacres de l’été 62 ayant pu clandestinement gagner la France grâce à certains officiers français opposés à la politique d’abandon de leurs frères d’armes sur le sol algérien, ont été accueillis en France dans des camps, faute d’avoir été rapatriés dans le cadre du plan général de rapatriement. De 1962 à la fin de l’année 1964, le camp Joffre à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) a servi de camp de triage préalablement à la dispersion des familles de harkis dans différents camps plus « pérennes » du sud de la France. Parmi ces camps plus « pérennes » ayant accueilli dans des conditions inhumaines et sur un temps anormalement long des familles de harkis : le camp de Bias dans le Lot-et-Garonne. Le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard sera similaire à celui de Bias, avec pour finalité l’accueil de toutes les familles de harkis jugées inaptes à la vie en société française.
Et c’est au camp de Bias qu’a été accueillie la famille du harki Djelloul Tamazount fin 1963, après avoir séjourné quelques mois au camp de Rivesaltes à leur arrivée en France. Et c’est à Bias que Charles Tamazount a vu le jour un certain 24 mai 1974. Benjamin d’une famille de neuf enfants, il a connu durant les années 70 les derniers moments de ce qu’a été la vie des familles de harkis au camp de Bias. Camp clôturé par des barbelés, liberté d’aller et venir inexistante, prestations sociales détournées par l’État pour financer le fonctionnement du camp, courriers ouverts et restreints par l’administration du camp, scolarisation des enfants au sein même du camp, habitat insalubre et indigne, accès limité aux douches payantes… telles étaient les conditions de vie au camp de Bias. La gestion administrative du camp était telle, presque totalitaire, que les quelques 1 500 familles de harkis qui y ont vécu ne pouvaient avoir aucune intimité, ni même de vie privée ou de vie familiale normale.
Il faudra attendre la grande révolte des enfants de harkis durant le printemps 1975 pour que l’enfer des camps de harkis prenne fin. Face à la détresse des familles de harkis après treize années de vie dans des camps, le Gouvernement prit alors deux grandes décisions au début du mois d’août 1975 : le démantèlement des camps et l’élaboration d’un plan d’action pour l’insertion sociale des familles de harkis dans la vie nationale.
De 1975 jusqu’au début des années 2000, l’insertion sociale était la principale préoccupation des enfants de harkis et l’un des principaux fondements de l’action des pouvoirs publics en leur faveur. Toujours est-il que les enfants de harkis revendiquaient aussi « Justice » ! En 1997, le mouvement de grève de la faim des enfants de harkis aux Invalides à Paris avait même conduit à la création du Collectif « Justice pour les harkis », avec la publication d’un Appel national en ce sens dans Libération (23 décembre 1997).
Étudiant en droit à la Toulouse à la fin des années 90 et témoin de cette époque du mouvement des Invalides, Charles Tamazount s’interroge : « Justice pour les harkis ! D’accord, mais c’est qui, c’est quoi « Justice pour les harkis » ? C’est quoi la justice que les harkis et leurs enfants attendent ? A l’époque, personne n’était en mesure de me répondre dans le mouvement associatif. Et c’est parce que je n’avais pas de réponse à ce questionnement que j’ai fondé en juillet 2001 le Comité Harkis et Vérité. Pour moi, « Justice pour les harkis », cela doit passer par le droit, les actions en justice, les tribunaux… Bref, la Justice telle qu’on la connaît en France ».
Le 30 août 2001, dans une tribune publiée dans Libération, Charles Tamazount analyse et souligne les mérites et les fragilités de la plainte pour crimes contre l’humanité initiée par Boussad Azni, président du Comité national de liaison des harkis. Après cette initiative médiatique infructueuse en justice, Charles Tamazount est resté convaincu que seul le chemin des prétoires permettra d’obtenir les premières avancées du droit en faveur du drame des harkis. À la tête du Comité Harkis et Vérité et avec méthode, il est à l’origine de plus d’une cinquantaine d’actions en justice devant les juridictions françaises, notamment devant le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Charles Tamazount, brillant juriste, enchaine alors les victoires en justice. En juillet 2010, première grande victoire, le Conseil constitutionnel accorde le statut d’ancien combattant français avec droit à pension aux harkis restés en Algérie. En février 2011, les sages du Conseil constitutionnel censurent la loi du 23 février 2005 pour accorder le droit à l’allocation de reconnaissance, jusque-là réservée seulement à certains, à tous les harkis résidant sur le territoire français.
Après ces grandes victoires devant la Justice, en 2011, à la demande de sa sœur et de ses frères aînés, Charles Tamazount s’engage dans le procès du camp du Bias. Après le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en 2014 et la Cour administrative d’appel de Versailles en 2017, le 3 octobre 2018, c’est la consécration devant le Conseil d’État. La plus haute juridiction administrative du pays finit par reconnaître solennellement par son arrêt Tamazount les graves atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux commises par l’État dans les conditions de vie inhumaines infligées aux familles de harkis au camp de Bias de 1963 à 1975. Les juges du Palais Royal reconnaissent aussi la responsabilité pour faute de la puissance publique dans cette page sombre de la fin de la Guerre d’Algérie et condamne l’Etat à réparer les enfants Tamazount comme victimes de la politique gouvernementale d’internement au camp de harkis de Bias dans le Lot-et-Garonne.
La réparation accordée par le Conseil d’État étant symbolique, Charles Tamazount décide alors de s’en remettre à la Cour européenne des droits de l’Homme pour que « justice » soit pleinement accordée à ses frères et à sa sœur. Les requêtes Tamazount déposées à Strasbourg ayant été déclarées sérieuses et recevables, les juges européens mettent alors en demeure la France le 7 septembre 2021, sommée de s’expliquer sur le drame des harkis.
En guise d’arguments de défense, la France présente en avril 2022 un mémoire rappelant le Pardon adressé aux familles de harkis par le Président de la République le 20 septembre 2021, ainsi que le dispositif de réparation institué par la loi du 23 février 2022. « Sur le dossier du drame des harkis, le président Macron n’a fait que courir après le Comité Harkis et Vérité depuis son élection en 2017. Les initiatives gouvernementales prises en 2021 et 2022 n’avaient qu’une seule finalité, mettre en échec les requêtes Tamazount devant la CEDH. Ces initiatives n’ont pas été suffisantes. J’avais en stock plusieurs arguments de droit solides à présenter aux juges européens pour parvenir à une condamnation forte de la France » précise Charles Tamazount.
À l’issue de cinq années de procédure et de batailles juridiques avec le Comité Harkis et Vérité devant la CEDH, le Gouvernement français escomptait l’irrecevabilité des requêtes, ou a minima, éviter une condamnation de la France par la CEDH sur le fondement de l’article 3 de la Convention qui prohibe « les traitements inhumains et dégradants », la violation la plus grave pour un état démocratique en Europe.
Le 4 avril 2024, la Cour de Strasbourg rend son arrêt Tamazount contre France. La condamnation de la France est lourde. La patrie des droits de l’Homme est condamnée pour avoir violé plusieurs articles de la Convention, et notamment l’article 3 en raison des « traitements inhumains et dégradants » infligés aux enfants Tamazount internés durant toute leur enfance au camp de harkis de Bias. En outre, la Cour de Strasbourg a jugé les réparations accordées aux victimes du camp de Bias par le Conseil d’État et par la récente loi du 23 février 2022 comme étant « modiques » et très insuffisantes au regard des violations des libertés, des droits de l’homme et des préjudices endurés. « C’est le combat d’une vie pour un fils de harki qui, à la tête du Comité Harkis et Vérité, a su se servir des armes du droit pour que Justice soit enfin rendue aux familles de harkis du camp de Bias, et plus généralement au drame des harkis » finit par lâcher Charles Tamazount en savourant sa victoire historique.
Dans un communiqué du ministère des Armées du 10 avril 2024, le Gouvernement français a pris acte de sa condamnation par la CEDH. Par une déclaration dans la presse régionale le 3 mai 2024 (Sud-Ouest et Midi Libre), la secrétaire d’État chargée des anciens combattants et de la mémoire, Patricia Mirallès, a annoncé la mise en conformité du droit français avec l’arrêt Tamazount de la CEDH pour les victimes du camp de Bias, mais aussi pour celles ayant vécu au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard. Dans ces deux camps, « les gens étaient privés de leurs droits. Ce n’était pas le cas ailleurs. Nous allons ajouter 3 000 euros d’indemnité par année de camp. Mais nous ouvrons cette indemnisation à l’ensemble de la période, de 1962 à 1975. Tous les dossiers qui ont été déjà traités seront repris, avec les premiers versements espérés en février 2025. Notre volonté est d’apaiser les mémoires. La France a reconnu ses erreurs et elle s’emploie à les réparer », a conclu la ministre.
Exposition « Entre ombre et lumière », Maison régionale de la Mémoire du Grand Est La première exposition de la Maison régionale de la Mémoire du Grand Est est consacrée aux portraits des Compagnons de la Libération du Grand Est réalisés par Christian Guémy, alias C215, sur les murs de la Maison. L’exposition est ouverte […]
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