Trois questions à Martine Aubry

3 octobre 2022

Martine Aubry est ingénieure de Recherche à l’IRHiS à l’université de Lille, et administratrice de la base Monuments aux Morts lancée par l’université de Lille. Elle a participé à la rédactions de nombreux ouvrages, dont Aux morts pour la Patrie, Les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale dans les communes du Rhône et de la Métropole de Lyon, sous la direction de Céline Cadieu-Dumont, Lyon, Archives départementales, 2018, 255 p. : chap. « À nos morts… Les dédicaces, Le temps de l’inauguration », p. 131-140, ou encore 36 000 communes 36 000 cicatrices, Paris, Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, Paris, CMN,2016, 96 p.

1- Quelle place tient la Grande Guerre dans les églises de notre pays ?

La place est importante, pratiquement toutes les églises contiennent un monument aux morts de la Grande Guerre. Dans le recensement effectué dans la base Monuments aux Morts, nous en comptons 4 647 à ce jour. Sur ce nombre, 456 font office de monument « communal ».

Les représentations sont diverses et vont de la plaque simple, du monument de série (édifiés par Charles Desvergnes et Marcel Marron – 39 fiches) à des réalisations plus artistiques et plus rares comme la fresque réalisée dans l’église Saint-Nizier de Troyes représentant un Christ en croix portant un poilu mort dans son bras droit.

Christine Leduc-Gueye a recensé une soixantaine de mémoriaux peints en Pays de la Loire « Ces œuvres témoignent de la manière dont une communauté a voulu donner un sens à l’engagement, au don de soi de ses soldats et célébrer leur mémoire. Les choix iconographiques spécifiques faits par les artistes et les commanditaires pour montrer la guerre ou ses souffrances dans les monuments des églises s’articulent autour des thèmes du sacrifice, de la consolation et de l’espérance dans lesquels le Christ et la Vierge occupent une place prépondérante, à côté de nouvelles images allégoriques créées pour l’occasion ». (ex : La Roche-sur-Yon, Le Fresne-sur-Loire, Les Sables-d’Olonne)

On dénombre de nombreux vitraux du Souvenir (317 dans la base, mais un corpus de 1 200 vitraux sont recensés pour 1914-1918), véritables tableaux de scènes de la guerre, dans lesquels le Christ ou la Sainte Vierge occupe une grande place bénissant ou soutenant un poilu dans sa tranchée ou un poilu mourant. On retrouve des scènes assez rares comme sur celui de Bazuel (59) où le poilu mourant représenté meurt dans les bras d’un rabbin. D’autres, comme à Brezolles (28) ou Jugon-les-Lacs (22), Saint-Imoges (51) ou Saint-Jean-de-Folleville (76), affichent les portraits ou tout simplement les noms des soldats « Morts pour la France » [ex : Berles-Mochel (62) ; Chacé (49)]. Certains vitraux ont été érigés par des familles à leurs enfants morts [Saint-Victor-de-Chrétienville, Auchy-les-Mines (62)].

Certaines églises consacrent une chapelle complète au souvenir des morts de la Grande Guerre (Abbeville St-Vulfran, Arques-la-Bataille, Carcassonne, Equemauville, Pexonne etc.). Très souvent, une Piéta est associée au monument funéraire, nous en avons dénombré 242 ou une Jeanne d’Arc (135) ou un Saint-Georges terrassant le dragon (17). À Albi, on peut découvrir une surprenante chapelle dans la cathédrale Sainte-Cécile avec un autel en pierre avec des bas-reliefs représentant une sainte penchée au-dessus d’une tombe de soldats symbolisée par un casque, des fresques à motifs géométriques et aux cartouches baroques sur l’ensemble des murs de la chapelle dans lesquels les lieux des combats sont inscrits. C’est le chanoine Birot, qui a fait transformer cette chapelle en monument aux morts en 1925.

Des chapelles sont construites spécifiquement consacrées à la Grande Guerre : À Marbotte (55), la chapelle est un mémorial à part entière, tous les vitraux, plaques, ex-voto, et même l’autel commémorent les 30 000 soldats morts au Bois d’Ailly et dans la forêt d’Apremont. À Aubergenville (78), la chapelle votive d’Elisabethville a été construite grâce à des fonds franco-belges et inauguré en 1928, les peintures murales du chœur, du baptistère et de la chapelle des morts ont été réalisés plus tardivement entre 1930 et 1933. Elle est dédiée à Sainte Thérèse de Lisieux et aux victimes de la Grande Guerre de France et de Belgique. On pourrait citer également le Mémorial des batailles de la Marne à Dormans et bien sûr Notre-Dame de Lorette (Ablain-Saint-Nazaire) qui fut bénie en 1927 par Monseigneur Julien.

En étudiant les plaques dans les églises, on constate souvent une différence entre les noms inscrits sur ces plaques et celles inscrites sur le monument aux morts communal. Deux hypothèses peuvent être émises : les plaques dans les églises ont été édifiées plus tôt après la guerre et n’ont pas forcément attendu les dernières listes de morts ; seuls les membres de la paroisse et donc de la communauté chrétienne ont été inscrits.

2- Quelle place tient la Grande Guerre dans les établissements religieux non catholiques ?

On trouve des plaques dans les synagogues (Besançon, Colmar, Lille), dans les temples protestants (Blauzac, Lyon, Marseille, Paris, Oratoire du Louvre, Montredon-Labessonnié). À Schiltigheim la verrière de l’église protestante a été réalisée en 1924 : la Vierge, Saint-Jean et Marie-Madeleine ont été remplacés par un couple et une fillette. Le vêtement de la mère cependant, bleu et blanc, rappelle la Vierge. Le père, tout de noir vêtu, n’est pas sans évoquer la figure de Martin Luther.

Dans l’Ouest, les plaques ont quelquefois été déposées (démolition, désaffectation des bâtiments…). Les documents sont plus difficiles à trouver. Si des lecteurs ont des informations et des documents sur ces plaques, nous serions heureux de les publier sur la base.

3- La chapelle du Souvenir Français est-elle exceptionnelle ?

Cette chapelle est un haut-lieu du souvenir de la participation française à la Bataille de la Somme, elle est entourée de la plus vaste nécropole française de la Somme.

Cette chapelle, en pierre de taille, fut non pas le fait d’une décision officielle mais d’une initiative privée : la famille du Bos, originaire de la région, voulut ériger un monument à la mémoire de son fils et de ses camarades de combat tués le 25 septembre 1916 ainsi que de tous les combattants français tombés pendant la bataille de la Somme. En cela, elle est exceptionnelle.

Vous pouvez retrouver tous ces monuments sur la base https://monumentsmorts.univ-lille.fr/

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