Trois questions à Frédéric Gontier

1 décembre 2021

Frédéric Gontier, Lieutenant-colonel (H) est un professeur d’Espagnol à la retraite. Il obtient en 1988 un DEA d’histoire et il est un auditeur libre à l’IHEDN. Il est président du comité de Bergerac en Dordogne depuis 2015.

1 – La mémoire de la période napoléonienne se traduit par l’existence de nombreuses tombes. Qu’en est-il sur votre territoire ?

La Dordogne en général et le Bergeracois en particulier n’ont pas connu sur leur territoire les guerres napoléoniennes : aucun monument, aucun lieu de mémoire n’en porte la mémoire. Pour participer aux cérémonies liées au bicentenaire de la mort de Napoléon 1er, le comité de Bergerac s’est donc intéressé aux tombes des soldats de l’Empire. Pour cela un groupe de recherches a été rassemblé avec la section des médaillés de la Légion d’honneur (SMLH), le Souvenir Napoléonien et l’Association pour la Conservation des Monuments Napoléoniens (ACNM).

La première étape a été la recherche de sépultures de soldats décédés et enterrés chez eux, en Périgord. Les archives des uns, la connaissance du terrain par les autres ont permis d’identifier dix officiers de l’Empire. L’un d’entre eux, protestant, a été enterré dans une tombe privée près de son château. Il a été impossible de retrouver une épigraphie pouvant attester de la présence de la dépouille de l’officier.

C’est donc sur un corpus de neuf tombes qu’une première reconnaissance a été menée début juin pour repérer les lieux et envisager l’organisation de cérémonies. Nous avons été systématiquement accueillis par les maires ou leurs représentants. Nous leur avons posé chaque fois la question : y a-t-il des descendants ? Selon les réponses, deux types d’hommages ont été envisagés. Lorsque les héritiers étaient identifiés, nous avons pris contact avec eux afin qu’ils nous autorisent à intervenir sur la sépulture familiale pour fixer une plaque commémorative. Dans le cas contraire, nous nous sommes limités à un simple dépôt de gerbe.

2 – Le comité du Souvenir Français de Bergerac a rendu hommage à neuf combattants de l’Empire. Pouvez-vous nous présenter ces initiatives ?

Tous ces militaires sont officiers : deux chirurgiens aide-major, un lieutenant, un capitaine, un chef d’escadron, deux chefs de bataillon, un lieutenant-colonel et un général. À travers leurs campagnes s’inscrit toute la légende de l’épopée napoléonienne. Ils ont connu les glaces de la Bérézina en Russie. Ils ont souffert des chaleurs tropicales de Baylen, en Espagne. Leurs états de service montrent des gens courageux qui accumulent les blessures par coup de sabre, de baïonnette, par balles, par éclats d’obus… plusieurs ont eu un cheval tué sous eux. Tous ont été décorés de la Légion d’Honneur.

Et puis, les armes se sont tues. Le personnage d’Ulysse de Joachim du Bellay est retourné, plein d’usage et raison vivre entre ses parents le reste de son âge. Il en a été de même pour ces officiers périgourdins à l’exception du général comte Boudet, dont le nom figure sur l’Arc de Triomphe à Paris. Mort dans l’Empire austro-hongrois, sur le territoire de l’actuelle République tchèque, son cœur a été recueilli dans une urne déposée dans le tombeau familial, à Bergerac. Les autres militaires se sont orientés vers la médecine (ce fut le cas des deux chirurgiens), d’autres se sont consacrés à l’exploitation de leur domaine, d’autres enfin se sont lancés dans la vie politique et l’un d’eux a même été maire de Bergerac pendant les 100 jours.

Concrètement, notre intervention s’est faite en fonction des desiderata des ayants droits.

Les travaux les plus importants ont été menés sur la tombe du chirurgien Aide-major Pierre Prévôt-Leygonie. C’est sa propre famille qui a pris en charge les travaux de restauration qui ont dépassé 1400 €. Les descendants sont venus, nombreux, participer à l’hommage, au dévoilement d’une plaque et à un dépôt de gerbe.

Une cérémonie du même type a rassemblé la famille du capitaine Élie Reysset. Cet officier de la Grande Armée a participé à la campagne d’Espagne, à celle d’Allemagne, à celles de Russie et de Pologne avant de terminer sa carrière affecté à l’armée du Rhin en 1815.

Les six autres hommages, en l’absence d’héritiers se sont limités à une évocation de la vie de l’officier et un dépôt de gerbe.

La présence systématique d’une quinzaine de drapeaux ainsi que la participation d’une équipe de « grognards » en tenue d’époque ont été très remarquées par la presse, en particulier le quotidien régional Sud Ouest qui a suivi tout le déroulement de la commémoration du bicentenaire et a systématiquement consacré un article à chacune de ces cérémonies.

Il est à remarquer que les mairies ont régulièrement participé à ces manifestations ainsi que les élus comme le démontre la dernière cérémonie, le 30 octobre 2021, où étaient présents le député, le sénateur, le conseiller régional et les conseillers départementaux montrant ainsi l’intérêt de la classe politique du département pour la célébration du bicentenaire.

Ces neuf cérémonies ont permis d’atteindre plusieurs objectifs. Tout d’abord, et c’était le premier de nos impératifs, le pari de commémorer le bicentenaire a été tenu en ce sens que nous avons vulgarisé l’image de Napoléon et de ses soldats sur un territoire a priori peu perméable. Le second point a été l’impact de la presse, véritable phénomène de boule de neige. En effet, chaque article rendait compte de la cérémonie écoulée et annonçait la suivante. Nos adhérents étaient ainsi rejoints par d’autres participants que nous ne connaissions pas. Enfin, le comité de Bergerac a assuré le protocole, l’encadrement de la cérémonie, la sonorisation et la couverture photo faisant ainsi la démonstration de ses capacités à organiser des cérémonies, ce qui n’a pas échappé à de nombreux maires…

3 – Comment intégrez-vous la période napoléonienne dans la politique mémorielle du Souvenir Français ?

La période napoléonienne peut être évoquée de nombreuses façons : en rendant hommage à l’Empereur lui-même, en commémorant les batailles, en rendant hommage à ses soldats… Il est évident que c’est ce troisième aspect qui a été mis en avant par notre association qui revendique le droit d’honorer les soldats Morts pour la France même si cette mention n’existait pas sous l’Empire. Il ne faut pas être autiste et nier que ce qui touche à Napoléon 1er peut faire polémique. Pourtant, chacune de nos cérémonies a donné lieu à un écho sur Facebook, sur Twitter et autres… Or nous n’avons essuyé aucune remarque négative malgré le lâche confort de l’anonymat.

Il faut rattacher à cette initiative les cérémonies liées aux 150ème anniversaire de la guerre de 1870-1871. Certes, peu de monde se bousculait pour évoquer cette guerre perdue. La personnalité et l’engagement de Xavier Niessen nous donnaient toute légitimité pour le faire et sept manifestations ont été organisées sur ce thème en 2020 et 2021 par notre comité. En corollaire, lorsque nous sommes sollicités pour financer la restauration d’un monument aux Morts nous suggérons que les noms des soldats tombés pendant la guerre franco-prussienne soient ajoutés, ce qui est systématiquement accepté par les mairies.

Napoléon et la guerre franco-prussienne ont été des choix judicieux qui ont fait que le Souvenir Français s’est démarqué des autres par son originalité. Sachons continuer à choisir des thèmes qu’aucune association, aucun lobby nous dispute !

Au risque d’être polémique, ouvrons les yeux :

Les trois grandes dates que sont le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre réunissent, covid ou pas, le monde combattant. En revanche, la multiplication des commémorations ponctuelles, des journées à thème et autres concessions faites aux modes fatiguent les protagonistes. Le nombre de drapeaux présents – thermomètre s’il en est de l’attractivité d’une cérémonie – est la preuve d’une incontestable désaffection du public.

Depuis trois ans, avec nos camarades de la Légion d’Honneur et des Médaillés militaires nous somment présents sur le terrain. Ils sont là lors de l’inauguration d’un monument aux Morts restauré, de la réhabilitation d’une tombe de Poilu, de l’apposition d’une plaque … toutes ces activités qui se détachent de la léthargie conventionnelle et qui font notre originalité.

Cette conquête du terrain fait que de nombreuses associations se rapprochent de nous comme en témoigne la présence de leurs drapeaux à nos cérémonies.

En conclusion, l’intégration de la période napoléonienne comme celle d’autres périodes de notre histoire s’est faite par le biais d’un hommage sur la tombe de quelques-uns de ses soldats. Peut-on envisager un second souffle ? À Cadouin, une historienne a profité de l’hommage rendu au lieutenant de Dragons Pierre Monzie pour apposer une plaque rappelant les noms d’une quarantaine de soldats de la commune morts lors des campagnes de l’Empire. D’autres pistes peuvent être explorées.

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