Trois questions à Claire Ambroselli

28 avril 2017

Claire Ambroselli est la fille de Gérard Ambroselli dont Le Souvenir Français s’honore de conserver plusieurs tableaux symboliques sur les murs de sa salle de réunion. Claire Ambroselli est née le 30 août 1943, au lendemain de l’évasion de la prison du Général de Lattre, la veille du départ en clandestinité de son père, Gérard Ambroselli. Enfant de la guerre, elle reste profondément marquée, comme ses nombreux sœurs et frères, par la vie artistique familiale, mais aussi par les événements de la guerre, dont elle découvrira la gravité plus tard, en particulier dans sa fonction de médecin à l’INSERM, auprès du Comité consultatif national d’éthique. Elle a organisé avec sa sœur Thérèse de Bayser une exposition, à la demande de la mairie de Colmar, sur Gérard Ambroselli en 2000.

Ambroselli

1. Qui est Gérard Ambroselli, « l’artiste du Maréchal de Lattre » ?

En septembre 1939, Gérard Ambroselli quitte ses pinceaux d’artiste et son dernier chantier en cours : la fresque de la Transfiguration à Saint Jacques de Neuilly. Artiste formé auprès de George Desvallières après une enfance traversée pendant les combats de la Première Guerre mondiale, il  participe, en 1929, au chantier de la décoration de l’église Sainte-Barbe par George Desvallières  à Wittenheim. En 1932, quelques jours après son mariage avec France Desvallières, il expose au Salon d’automne, La mort du Héros, grande peinture qui rend hommage à Daniel Desvallières, fils de George Desvallières, disparu sur le front des Vosges en 1915, ainsi qu’à tous les morts de la Première Guerre mondiale.

Elève officier formé à Saint-Cyr, il est mobilisé en Alsace à Saverne, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, comme lieutenant au 10e bataillon de chasseurs. C’est en rendant compte d’une mission au général de Lattre, chef d’état-major du Général Bourret commandant la 5e armée, qu’il  fait sa connaissance. Le Général lui propose alors de servir sous ses ordres : «  Mon engagement fut total, écrira Ambroselli. Il en prit acte et m’affecta au 3e Bureau de son  état-major  ». Cette rencontre  avec le général, à Wangenbourg, va profondément toucher l’artiste  comme il en témoignera durant toute sa vie: «  Elle devait bouleverser mon existence et l’amitié qui nous lia aussitôt marqua mon engagement à le servir  ».

Il décrit « ce besoin de beauté » dont le Général témoigne à travers « la flamme du combattant », et « son imagination qui restituait pour nous les formes et la couleur du fait d’armes ». Un besoin qui n’est pas limité à « une délectation personnelle  », il s’élargissait à une « élévation collective qui était à ses yeux sa mission essentielle, la justification la plus noble de l’activité de l’artiste ». Le Général se rebellait contre « l’embourgeoisement des artistes ». « Votre divorce d’avec le peuple est total, il vient de votre divorce d’avec la vie… vous avez perdu votre place dans la cité.  Et moi je vous offre un champ de rayonnement merveilleux. Il est à la portée de votre main, il dépend de votre effort… Une seule chose compte pour moi : servir, car servir c’est aimer. Vous, vous servirez par votre métier ».

Dès les premiers jours de son engagement, le Général de Lattre l’interpelle pour mettre son métier au service de l’armée : « Tenez, vous qui êtes peintre, vous en ferez une image d’Epinal, et nous la distribuerons à tous nos soldats. » Gérard Ambroselli, conçoit alors « l’imagerie de l’armée d’Alsace » dessinée, gravée et publiée en album de 20 images, (14 seront gravées), dès la fin de l’année 1939. Les dessins des images de Gérard Ambroselli, sont gravés par Louis-Joseph Soulas, les textes sont écrits par le capitaine André Chamson, l’impression et la diffusion réalisées grâce à la coopération de Hans Haug. Les albums sont distribués dans les écoles pour y être coloriés par les écoliers. L’artiste devient imagier de l’armée d’Alsace pour mieux faire comprendre dans la cité les gloires militaires françaises et la bonne entente des soldats français avec les Alsaciens, au moment même de la triste évacuation de Strasbourg en décembre 1939 qui est un des sujets de l’imagerie. En juin 1940, avec la défaite de l’armée, tout s’effondre.

2. Quelles sont les traces de Gérard Ambroselli aujourd’hui ?

C’est une des premières images de l’imagerie d’Alsace, « le soldat de la Révolution » conçue dans Strasbourg évacuée, au moment de la garde du Rhin, avant la défaite de 1940, qui couvrira les murs de la prison du Général de Lattre avec un tirage spécial de l’Imagerie française de janvier 1943, pour le Général. Elle est aujourd’hui exposée avec les autres tirages spéciaux des autres images de l’armée d’Alsace au Musée des Deux Victoires-Clémenceau-de Lattre, à Mouilleron-en-Pareds.

Elle couvrira plus tard les murs des cités de l’Alsace libérée pendant les mois de la Libération en 1944/1945. Edmond Michelet en témoigne dans ses « notes de Dachau », –  Rue de la Liberté – après la guerre.  Il évoque cette émotion qui lui « coupa le sifflet » sans pouvoir entamer la Marseillaise comme il l’avait promis en traversant le Rhin, pour entrer dans Strasbourg libérée, quand il se trouva face à la reproduction du Soldat de la Révolution du Génie de la Première Armée de de Lattre  : « Ici commence le pays de la Liberté », le général de Lattre nous avait coupé le sifflet, écrit-il, … rien qu’à voir son nom écrit en bleu et en rouge sur le panonceau blanc qui nous accueillait à l’entrée de Strasbourg ».

Entre Strasbourg évacuée en 1939 et Strasbourg libérée en 1945, les événements de la Seconde Guerre mondiale vont renforcer les premiers engagements et approfondir les relations d’amitié entre le Général et l’artiste soldat. Après l’armistice de 1940, Gérard Ambroselli reste en zone libre « en liaison constante avec le Général ». Après l’évasion du général en septembre 1943, il entre en clandestinité et le rejoint en Afrique du Nord en février 1944, d’abord affecté à la 5e DB à Oujda. Il débarque en Provence en septembre avec cette division, participe à la Campagne d’Alsace. Pendant les combats de la poche de Colmar, il sera parmi les premiers éléments qui entrent dans la ville le 2 février 1945. Dans ses correspondances familiales, il évoque avec émotion, dans les bombardements qu’il traverse, le souvenir des moments fondateurs passés en 1929, avec son maître George Desvallières et sa famille, à Wittenheim et à Ruelisheim, en hommage aux morts de la Première Guerre mondiale.

En mars 1945, il est affecté par de Lattre à son état-major, puis à son Cabinet. Il franchit le Rhin jusqu’au Danube, et participe, à Karlsruhe, à la conception et à la fabrication de l’insigne Rhin et Danube, aux couleurs de Colmar, soutenues par les flots du Rhin et du Danube.

Démobilisé en 1946, il reprenait alors sa vie d’artiste avec la commande d’Etat des décorations à fresque de la Salle des Catherinettes à Colmar, « La victoire de Colmar rend l’Alsace à la France », et qu’il exécute de 1947 à 1950, avec la participation formatrice aux arts de ses deux jeunes fils, Jean-Baptiste et François. Cette réalisation sera malheureusement perturbée par la démolition d’un mur « entrainant la ruine de la partie centrale de la composition. Je ne m’en suis jamais consolé ». On peut y admirer aujourd’hui, sur le mur Nord, L’Histoire d’Alsace centrée sur le Soldat de la Révolution.

3. Comment transmettre la mémoire de Gérard Ambroselli avec Le Souvenir Français ?

Nul doute que la commande du portrait du Général de Lattre élaboré de 1948 à 1950, une peinture «qui fixe l’effigie du chef de guerre pendant la campagne d’Alsace » a constitué  un contrepoids efficace à cette détresse colmarienne. Elle est aujourd’hui au Musée de Mouilleron-en-Pareds en réponse à la demande, en 1950, du transfert de la peinture par la Maréchale de Lattre.  Elle a été remplacée, en 1992, au siège de Rhin et Danube, par une réplique de l’artiste à la demande du président de l’association. De même, les deux grandes peintures de la Libération de Colmar et de La traversée du Rhin à Spire, témoignages directs de l’esprit «  Rhin et Danube  » transmis par le Général de Lattre aux différents soldats engagés dans ces combats pour défendre la liberté des peuples en Europe et dans le monde, ont été commandées en 1950 par la nouvelle association Rhin et Danube alors hébergée à Paris. Présentées dans les salles de Rhin et Danube devenues depuis les Salles du Souvenir Français, elles éclairent aujourd’hui la mémoire et l’histoire des guerres que cette association a pris en charge depuis 1887.

Ces belles peintures sont aussi une introduction parfaite à l’oeuvre que Gérard Ambroselli entreprit après la mort du Maréchal de Lattre, dans une étroite coopération d’art et d’amitié familiale avec la Maréchale de Lattre. Après la publication d’hommages, et les illustrations des biographies, et après des années de dialogue avec la Maréchale de Lattre et la municipalité de Colmar, une nouvelle étape prit forme, avec la commande par la ville de Colmar du Mémorial à la gloire de la Première armée française et de son chef le Maréchal de Lattre qui vient d’être restauré. Dans cette commande, Gérard Ambroselli devient sculpteur : la figure équestre du Général sculptée par Philippe Kaeppelin, est entourée par les 12 stèles qu’il sculpte en pierre de Rouffach, marquant les étapes de la libération de l’Alsace depuis le débarquement de Provence jusqu’à la capitulation à Berlin le 8 mai 1945.

Après Colmar, la coopération avec la Maréchale de Lattre s’intensifia dans les monuments à la mémoire du Général de Lattre, de la 5e D.B., et pour la reconstruction des villes meurtries : en Alsace, à Kientzheim (1974-1994), à Sigolsheim et Ensisheim (1975), à Bennwhir (1987), au Mémorial du Linge (1988), et à Colmar (1989-1992)  ; à Paris, avec le Monument national du Maréchal de Lattre en 1981, où les stèles de Gérard Ambroselli représentant les grandes étapes de la vie du Maréchal entourent son buste en bronze sculpté par Philippe Kaeppelin avec l’inscription de sa devise  « Ne pas subir »  ; mais aussi en Normandie, à Fécamp (1980), et, avec son fils Pierre-Paul, à Motteville (1986) et à Ermenouville (1990). Ces œuvres sont exécutées avec le soutien de jeunes artistes,  Martine Lutz, sculpteure, à Colmar, et Mary Baird-Smith, artiste peintre.

Dernière étape en Bavière qui donne tout son sens à ces actions d’art, d’histoire civique et politique, en dépassant les frontières françaises  : l’inauguration, en 1991, avec la Maréchale de Lattre, de la Fontaine de l’Europe et de la paix, commandée par le Père Abbé Nokter Wolf de l’abbaye des bénédictins missionnaires de Sankt Ottilien. L’inauguration du monument sculpté avec l’aide de R. et G. Scrofani en grès de Rothbach, eut lieu le 14 juillet 1991, date de la fête nationale française et  fête de Saint-Benoît en Bavière, nouvelle étape vers la paix et la réconciliation franco-allemande.

Ainsi, les nouvelles relations qui s’établissent entre l’association Rhin et Danube aujourd’hui dissoute, et le Souvenir français avec sa charge historique plus ancienne, pourront-elles éclairer davantage encore les témoignages des œuvres d’artistes qui fixent dans le temps la dignité des êtres humains exemplaires avec leurs portraits et avec les  événements passés des combats qui  construisent notre histoire et nos libertés. Et cela  pour mieux faire comprendre le sens à donner à ces portraits, à ces œuvres, et à ces événements qui fondent nos libertés. Dès 1870, Bartholdi initiait la conception de sa sculpture, la statue de la Liberté, « la Liberté éclairant le monde » qui allait irradier New-York puis le monde, dès 1886, la veille de la création du Souvenir Français. Gérard Ambroselli avait pris en charge le rétablissement de sa statue du Général Rapp à Colmar déboulonnée par les Allemands en 1940. Les œuvres d’Auguste Bartholdi, de George Desvallières, de Gérard Ambroselli, et des autres artistes particulièrement inspirées par l’histoire de l’Alsace en Europe qu’ils ont vécue et soutenue, transmettront leurs lumières par un travail encore à faire avec celles et ceux qui en les découvrant, continueront à participer à cette histoire, aujourd’hui et demain.

Les tableaux de Gérard Ambroselli au Souvenir Français

Pour en savoir plus :

L’éthique médicale, Paris, PUF, 1998 ; Gérard Ambroselli, un artiste témoin de la libération de l’Alsace, catalogue de l’exposition, Colmar 2000, Paris, éd. Galerie de Bayser, 2000.
Ambroselli, de Bayser Catherine, avec la collaboration de Thomas Lequeu et Priscilla Hornus, George Desvallières, Catalogue raisonné de l’oeuvre complet, Paris : Somogy éditions d’art, décembre 2015.  3 tomes. Site George Desvallières (1861-1950) http://www.georgedesvallieres.com/

Le musée national Clemenceau-de Lattre et l’Institut vendéen Clemenceau-de Lattre, dir. Jacques Perot

http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/musee-des-deux-victoires-clemenceau-de-lattre

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