Trois questions à Christian Carion et Bernard Gils

5 décembre 2024

Retrouvez dans cette rubrique trois questions généralement adressées à une association en lien avec le thème du mois.

Christian Carion, réalisateur du film « Joyeux Noël »

Christian Carion est un réalisateur et scénariste français originaire du Pas-de-Calais où il passe une partie de son enfance. Après un premier succès au cinéma pour son film « Une hirondelle a fait le printemps » en 2001, il reprend un projet commencé en 1993 qui sort en 2005 au cinéma « Joyeux Noël », qui raconte la fraternisation des armées à Noël 1914. Le film obtiendra plusieurs récompenses. À la suite de ce succès, il crée alors l’association « Noël 14 », qui porte la création du monument des fraternisations.

1 – « Joyeux Noël » a fait connaître au grand public le moment de la Fraternisation de Noël 1914. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

J’ai choisi ce thème parce que justement il était méconnu en France ! En Grande-Bretagne, et même en Allemagne, les faits sont connus, très populaires côté anglo-saxon. La censure française de l’époque avait réussi à occulter ces faits. 

Le film les a rétablis.

2 – « Joyeux Noël » a connu un exceptionnel succès. Comment l’analysez-vous ? 

C’est toujours très compliqué d’expliquer cela, surtout après avoir entendu tant de critiques sur le projet au moment où il essayait de se faire. Moins on peut s’expliquer un succès, plus des gens essaieront d’en faire. Donc, je ne cherche pas à répondre à cette question.

3 – Quelle place tient aujourd’hui pour vous la Fraternisation dans l’histoire de la Première Guerre mondiale ?

J’estime que cet épisode de fraternisations (et ceux qui ont eu lieu ensuite) mérite sa place dans la mémoire collective, au même titre que Verdun ou le Chemin des Dames. Je suis particulièrement fier que le film ait pu permettre la construction d’un monument en mémoire des fraternisations à Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais). Nous y avons inscrit les mots du soldat Barthas, qui participa à une fraternisation :

« Qui sait ! Peut-être un jour sur ce coin de l’Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entretuer. »


Bernard Gils, président du Cercle Louis Barthas

Bernard Gils est le président du Cercle Louis Barthas, association qui a pour but de promouvoir les idées pacifiques et humanistes du caporal tonnelier, militant socialiste et syndicaliste, qui a raconté dans ses carnets les fraternisations entre les armées à la Noël 1914.

1 – L’épisode de la Fraternisation a été évoqué pour la première fois par Louis Barthas. Pouvez-vous nous rappeler cet événement ?

Le caporal Louis Barthas, natif de Homps (Aude) et ayant vécu toute sa vie à Peyriac-Minervois (Aude), relate dans ses Cahiers de Guerre plusieurs cas de fraternisation entre ennemis sur la ligne de front, aux portes d’Arras et plus précisément à Neuville-Saint-Vaast.

C’est entre le 10 et le 13 décembre 1915 que Louis Barthas, affecté avec son équipe au maintien de la « Tranchée du Moulin », se retrouve dans une tranchée noyée par des pluies incessantes. La tranchée allemande en face est exactement dans le même état. Pour échapper à la noyade les soldats français et allemands sont bien obligés de sortir des tranchées et constatent qu’ils sont « des hommes tous pareils ». Le quotidien des soldats, la fracture entre les hommes de troupe, leur hiérarchie et la société font que les soldats français et allemands se sont sentis plus proches les uns des autres. Il s’en suit des sourires, des poignées de mains, des échanges de tabac, de pinard.

Mais l’ordre est donné à l’artillerie française par la hiérarchie de tirer sur tout rassemblement de soldats et de tuer « indifféremment Allemands et Français ».

Louis Barthas écrit :

 « Qui sait ! Peut-être un jour dans ce coin d’Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entretuer malgré leur volonté. »

2 – Louis Barthas s’est imposé comme une figure du pacifisme. Présentez-nous cet homme exceptionnel.

Louis Barthas est né à Homps (Aude) le 14 juillet 1879, ses parents vont déménager rapidement à Peyriac-Minervois (Aude) où il va passer le restant de ses jours et où il décédera le 4 mai 1952. Dans cette région viticole du Minervois, il exercera le métier de tonnelier.

Il a été un militant syndicaliste et a créé dans son village un syndicat des ouvriers agricoles. Il était aussi membre de la SFIO et très proche des valeurs défendues par Jean Jaurès. Il se revendiquait pacifiste.

Il a mené une vie tranquille, certes engagée, dans un village tranquille auprès des siens.

C’est surtout la publication de ses Carnets de Guerre à l’initiative combinée de son petit-fils Georges Barthas, du Professeur Rémy Cazals et de la Fédération des Œuvres Laïques de l’Aude qui l’ont rendu « célèbre », terme qu’il n’aurait peut-être pas apprécié car il ne recherchait pas les honneurs. C’est son petit-fils Georges qui en parle le mieux :

 « C’était un conteur. Quand nous étions enfants avec mon frère, il nous racontait pas mal d’histoires : les Allemands qu’il entendait chuchoter, ou les trous d’obus dans les tranchées ».

« Il n’assistait jamais aux commémorations du 11 novembre. Il ne voulait pas entendre parler des monuments aux morts classiques car, selon lui, c’était un peu une tromperie par rapport aux soldats qui se sont fait massacrer ».

3 – Votre association porte la mémoire de Louis Barthas. Quelle est son action ?

Notre association, qui portait au début le nom « Les amis du Caporal pacifiste Louis Barthas », est née de la volonté de quelques membres du conseil municipal en 2006 avec pour objet social déclaré dans ses statuts : « perpétuer la mémoire du caporal Louis Barthas et créer une dynamique autour des valeurs de paix, humanisme et fraternité. »

Dès le départ, il a été bien évident qu’il n’était pas question de focaliser les actions de l’association sur la personne même de Louis Barthas mais plutôt sur les valeurs qu’il a voulu défendre tout au long de sa vie après avoir vécu l’enfer de la guerre de 1914-1918.

Ainsi en partenariat avec la municipalité de Peyriac-Minervois, l’association a œuvré à la réalisation d’un « Jardin de la Paix – Louis Barthas » dans la ville de Peyriac. Dans ce jardin, point de statue de Louis Barthas, mais un mémorial en marbre de Caunes rappelant sa vie de tonnelier, sa vie de caporal, sa vie de militant pour la paix et la fraternité avec la reprise de la dernière phrase de son livre : « Et moi, survivant, je lutterai sans trêve et sans merci jusqu’à mon dernier souffle pour l’idée de paix et de fraternité humaine ».

Notre association a ensuite poursuivi son action surtout autour des idées de Louis Barthas. C’est ainsi que, à son initiative, la Commune de Peyriac-Minervois a adhéré à l’Association « Maires pour la Paix », section française de l’association internationale des villes engagées pour la paix et le désarmement nucléaire.

L’association organise toutes sortes de manifestations autour de publications, d’ouvrages et livres divers traitant des sujets de paix et de fraternité.

Elle a participé et en partie organisé l’an dernier tout un weekend consacré à Louis Barthas à l’occasion de 90° anniversaire de la Fédération Audoise des Œuvres Laïques, organisme qui est à l’origine de la première publication des Carnets de Guerre de Louis Barthas.

Chaque année également, l’association participe au rassemblement annuel, pour la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple, organisée conjointement par la Libre Pensée et la Ligue des Droits de l’Homme.

Notre association porte maintenant le nom de « Cercle Louis Barthas ».

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