Trois questions à Anne Cordier

5 mars 2024

Née à Paris en 1952, étudie les langues (anglais, allemand), mariée, 3 filles, 5 petits-enfants, j’ai toujours travaillé dans l’industrie graphique européenne, au début en tant que directrice commerciale puis j’ai pris la direction de la filiale française d’un groupe d’industriels imprimeurs néerlandais. Aujourd’hui heureuse retraitée, je suis la fille de Marie Sylvie Girard Cordier, résistante déportée à Ravensbrück en août 1944. En 2010, 11 ans après le décès de ma mère, contactée par Claude du Granrut, présidente de la SFAADIR (Société des Familles et Amis des Anciennes Déportées et Internées de la Résistance), j’ai pensé que Claude pourrait « m’expliquer » maman puisqu’elle était la fille de Germaine de Renty, compagne de déportation de maman. C’est ainsi que j’ai intégré le bureau de la SFAADIR, que j’ai l’honneur de présider depuis 2022.

1 – Quelle a été l’évolution des structures associatives du monde de la déportation ?

La SFAADIR fut créée en 2006 à l’initiative de Claude du Granrut, à la suite de la dissolution de l’ADIR (Association des Déportées et Internées de la Résistance) fondée par la résistante Irène Delmas en 1944 pour accueillir et accompagner les résistantes à leur retour des camps et forteresses nazis. Parmi ses activités, l’ADIR avait créé un foyer au 4 rue Guynemer à Paris afin d’offrir un lieu de rencontre et d’entraide à ces survivantes. L’ADIR fut présidée notamment par Geneviève Anthonioz de Gaulle, de 1958 à 2002, puis par Jacqueline Fleury, de 2002 à 2006. Jacqueline Fleury et Claude du Granrut sont présidentes d’honneur de la SFAADIR aujourd’hui.

Actuellement, une majorité des membres de la SFAADIR sont comme moi des filles et des fils d’anciennes déportées. Au fil du temps, nous avons été rejoints par un public plus large, motivé par la volonté de maintenir vivante la mémoire des résistantes, alors que les derniers témoins de cette époque se font plus rares.

À cet effet, nous avons contribué, au cours des dernières années, à des événements à la Mairie de Paris, au Sénat et au ministère chargé des droits des femmes, pour faire connaître la thématique de la déportation des résistantes et, plus généralement, de la contribution des femmes dans la Résistance.

Nous publions deux fois par an la Lettre de la SFAADIR, dont la « chronique des oubliées », tenue par Jacqueline Fleury, rappelle régulièrement le rôle des femmes dans la Résistance.

À l’heure où l’Europe et le Moyen Orient vivent des tragédies effroyables, dont les femmes, quel que soit leur âge, sont les premières victimes, le dernier numéro de la Lettre constate avec une immense tristesse que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale n’ont pas servi de leçon aux générations futures. La SFAADIR est donc plus que jamais déterminée à s’engager pour mieux sensibiliser les jeunes à l’actualité du message de la Résistance et à poursuivre sa participation active au Concours National de la Résistance et de la Déportation, fidèle à l’exemple de Jacqueline Fleury qui en a été une pionnière.

À travers le Comité International de Ravensbrück (CIR), auquel nous sommes deux à participer, le rayonnement de la SFAADIR est européen. Cette association a été créée il y a plus de 60 ans pour réunir les anciennes prisonnières du camp de concentration nazi de Ravensbrück ainsi que de ses camps annexes. Aux survivantes, de moins en moins nombreuses, se sont ajoutés leurs enfants. La composition du CIR réunit 17 comités nationaux[1] ! C’est un lieu d’échanges unique.

Nous avons créé un site (irk-cir.org) afin de retracer l’histoire du camp de Ravensbrück et d’informer sur les actualités résultant de nos réunions annuelles, qui ont lieu à Ravensbrück ou bien dans des pays de nos délégations (récemment en Autriche, en République tchèque et en Pologne, par exemple).

2 – Quelle est aujourd’hui l’intérêt d’une structure dédiée à la mémoire des femmes de la Résistance et de la Déportation ?

Mieux faire connaître le rôle des femmes dans la Résistance nous semble primordial et c’est au cœur du message de la SFAADIR. Les résistantes ont couru tous les risques pour libérer leur pays alors même que, ni électrices ni éligibles, elles n’étaient pas des citoyennes à part entière ! Elles avaient une haute conception de leurs devoirs en ayant si peu de droits… Leur exemple est très inspirant. Ce n’est que justice de veiller à ce qu’elles ne soient pas les « oubliées de l’histoire ».

De plus, par-delà les figures des résistantes « panthéonisées », l’histoire de la Résistance des femmes offre de très nombreux exemples d’héroïnes du quotidien dans lesquelles chaque jeune, fille ou garçon, peut se reconnaître et se projeter. C’est très important.

En outre, à l’heure où notre monde est confronté à une escalade de guerres et de conflits, la SFAADIR regrette profondément que l’enseignement des déportés n’ait pas servi à vaincre la violence et n’ait pas permis de préserver la paix.

Plus que jamais, nous devons nous inspirer de ce que les survivantes des camps nous ont transmis : face aux violences, aux souffrances et aux peurs, leur force, leur courage, leur solidarité, leur générosité, leur esprit de sacrifice doivent nous inspirer. Quel meilleur message à transmettre aux générations suivantes ?

3 – Que proposez-vous afin de sauvegarder et transmettre la mémoire de la déportation résistante à l’approche du 80e anniversaire de la libération des camps en 2025 ?

Nous aimerions porter trois projets qui sont autant de défis pour une petite structure comme la nôtre.

Il s’agit tout d’abord de publier un recueil de textes emblématiques écrits par des résistantes déportées : Geneviève Anthonioz de Gaulle, Charlotte Delbo, Germaine Tillion, Anise Postel-Vinay et bien d’autres, dont l’histoire n’a pas retenu les noms mais qui furent les compagnes de camp de nos mères et grands-mères et qui ont apporté des témoignages bouleversants de leur vie au camp et de leur retour de déportation. Ces textes, poèmes, articles, dessins méritent d’être largement diffusés auprès de publics de tous âges. Ce sont autant de supports pédagogiques pour nos enseignants.

Ensuite, nous aimerions, à l’occasion de l’anniversaire de la libération de Ravensbrück, au printemps de 2025, organiser un événement autour de la lecture de ces textes, en y associant naturellement des jeunes. Nous avons un an pour y travailler.

Enfin, il nous semble primordial d’organiser en 2025 un voyage à Ravensbrück : ce passage de relais est indispensable à l’heure où les dernières survivantes du camp nous quittent et où cette mémoire dépend désormais du témoignage de leurs enfants, qui ne sont pas éternels non plus. Le CIR est une structure paneuropéenne dynamique et les Français doivent y rester très actifs. Tel est aussi l’enjeu de ces voyages, auxquels la SFAADIR tient à associer des jeunes.


[1] Autriche, Belgique, République Tchèque, Allemagne, Hongrie, France, Italie, Grèce, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Roumanie, Russie, Slovénie, Danemark, Espagne et Ukraine.

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