L’hécatombe de la Première Guerre mondiale oblige les autorités, dès la fin du conflit en 1918, à se pencher sur la question des sépultures des combattants ayant reçu la Mention « Mort pour la France ». Depuis la loi de 1915, ces derniers ont le droit à la sépulture perpétuelle prise en charge par l’Etat.
Les premiers monuments funéraires vont alors prendre la forme de simples croix de bois fragiles et vulnérables aux effets du temps. Dans un besoin de rendre hommage à ces hommes et femmes, mais aussi de rationaliser les coûts, le ministère de la Guerre cherche à uniformiser les sépultures des « Morts pour la France ». Le Souvenir Français soumet alors, dès 1920, un modèle unique prenant la forme d’une croix-épée. Cet exemplaire, adopté lors du conseil d’administration de l’association du 18 avril 1919, allie à la fois une symbolique guerrière et religieuse.
L’auteur de cet emblème funéraire, Ferdinand Biès, est un industriel mosellan, spécialiste de la sidérurgie et de la fonderie. Il conçoit ce modèle de croix-épées d’un mètre de haut et quarante-huit centimètres de large, pour un poids d’environ neuf kilogrammes. Le choix du matériau, la fonte, utilisée dans le secteur funéraire depuis le début du XIXème siècle, permet une standardisation de la production, une importante variété ornementale tout en conservant des coûts inférieurs au bronze et au fer forgé, et en améliorant la durabilité de la sépulture1. Dès octobre 1924, le ministère des Pensions prend la décision d’adopter ce modèle de croix-épée pour l’ensemble des combattants décédés entre le 2 août 1914 et le 24 octobre 1919. L’exemplaire proposé par Le Souvenir Français fait alors l’objet d’une subvention de l’État.
1 (Marie-José et Dominique Perchet, « La fonte dans les cimetières : l’art funéraire pour tous », Isabelle Duhau, Guénola Groud (Dir.), Cimetières et patrimoine funéraire. Étude, protection, valorisation, 2020, p°95).
Le modèle de croix-épée du Souvenir Français se distingue par l’association de plusieurs éléments symboliques. La croix incarne la mort et le chemin du défunt vers l’au-delà, mais l’union de la croix chrétienne et de l’épée confère à ce monument funéraire une double signification. À l’allégorie du sacrifice ultime, consenti par les soldats comme a pu le faire Jésus, s’ajoute une dimension guerrière, personnifiée par cette arme dont la pointe est plantée dans le sol et n’est donc plus létale, comme pour marquer la fin du conflit et le début d’une période de paix.
On y retrouve en son centre une représentation de la Croix de Guerre, décoration militaire crée en 1915 pour récompenser les actes de bravoure exceptionnelle. Dans la partie inférieure du fer, on remarque une palme.
Empruntée aux variantes de la Croix de Guerre en cas de citation à l‘ordre de l’Armée et très présente dans l’ornementation militaire, elle symbolise la Victoire. De plus, la palme est utilisée depuis des siècles dans le domaine funéraire car elle incarne, dans l’iconographie chrétienne, le sacrifice des premiers martyrs.
Le nom de l’association est gravé sur le manche de l’épée. Le monument est quant à lui fiché dans un socle en pierre ou en granit, dont la rusticité se veut être l’écho de la simplicité avec laquelle les soldats ont fait don de leur vie2. Les sépultures sont initialement peintes en bleu horizon, couleur évocatrice de la tenue portée par les Poilus à partir de 1915. Mais avec le temps et les réfections successives, différentes teintes ont été adoptées telles que le noir, le blanc ou encore le gris argenté.
2 M. Firmin, président de la section du Souvenir français de l’Aveyron : « Nous avons scellé ces croix sur des pierres solides et durables, et dont la simplicité convient à la simplicité avec laquelle nos soldats ont fait le sacrifice de leur vie ». Journal de l’Aveyron, 16 novembre 1930, p°3
Chacune de ces croix-épées dispose d’une plaque amovible, fixée au centre de la lame. Elle comporte le nom et prénom du soldat, son grade et régiment, la date de sa mort ainsi que la mention « Mort pour la France ». Ces informations sont gravées en relief, pour des raisons esthétiques mais également afin de préserver la lisibilité des inscriptions notamment après l’administration de nouvelles couches de peinture. En dessous de ces renseignements, le cartouche arbore la devise du Souvenir Français : « À nous le souvenir, à eux l’immortalité ».
Jusqu’en 1957, la maison Biès continue de produire ces croix-épées pour le compte du Souvenir Français. Cependant, au début des années 1960, ce modèle est peu à peu abandonné pour des raisons plastiques et esthétiques. Lors de la réunion des délégués généraux de l’association, tenue le 19 mai 1962, il est préconisé de se tourner vers les croix en ciment, considérées comme une alternative élégante, moins coûteuse et plus facile à entretenir3. Dès 1966, des accords sont conclus avec le ministère des Anciens-Combattants initiant un processus de modernisation et de remplacement progressif des croix-épées. Leur production cesse officiellement en 1975, mettant fin à plus de cinquante années de fabrication.
Néanmoins, un grand nombre de ces monuments subsiste encore dans les cimetières français. De nos jours, Le Souvenir Français, dans une volonté de préserver ce patrimoine funéraire exceptionnel, travaille avec une entreprise d’impression 3D. Cette technologie permet à l’association de réimplanter progressivement des croix-épées dans les cimetières communaux.
Un exemple récent de ce travail de restauration est l’inauguration, le 12 avril 2024, du carré militaire de Gonneville-sur-Scie (76). Ce projet, né d’une collaboration entre le Souvenir Français et le groupe EDF, a permis de donner un nouvel espace mémoriel à huit soldats. Comme ce fût le cas un siècle auparavant, le modèle des croix-épées a ainsi été choisi pour honorer le sacrifice de ces hommes.
3 Revue du Souvenir Français, n°288, 1962, p°23-24
Les croix-épées ne constituent pas l’unique modèle de sépulture en fonte standardisé produit par Le Souvenir Français. Des variantes prenant en compte les diversités religieuses et ethniques ont été créés pour les soldats musulmans et les travailleurs annamites. Ces stèles reprennent certains des éléments des croix-épées. On y retrouve au centre la médaille de la Croix de Guerre et la plaque d’identité amovible. La palme est de nouveau présente sur la partie inférieure de l’emblème. Ces modèles se distinguent par l’arc de cercle qui surplombe le corps du monument sur lequel est ajouré, sculptés en négatif, un croissant et une étoile pour les soldats de confession musulmane ou le symbole du Yin et du Yang pour les travailleurs indochinois.
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