L’œil de l’historien

6 janvier 2025

Tous les mois, cette rubrique est dédiée à un article d’un historien spécialisé sur la thématique du mois.

Alfred Gilder, Secrétaire Général de l’Association des écrivains Combattants

Alfred Gilder est un essayiste et ancien haut fonctionnaire français. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et ancien élève de l’École nationale d’administration, il a eu une longue carrière administrative, occupant notamment les fonctions de directeur général de la Société d’économie mixte immobilière interdépartementale de la région parisienne. Parallèlement, il s’est engagé en faveur de la défense du français. Depuis 2011, il est secrétaire général de l’Association des Écrivains combattants.

Les écrivains dans la Grande Guerre : Mémoire et hommage à travers l’Association des écrivains combattants

La Première Guerre mondiale a laissé une empreinte indélébile sur la société et la culture mondiale. Parmi les millions de soldats mobilisés, des centaines d’écrivains ont combattu et, pour beaucoup, sacrifié leur vie. Ces hommes de lettres, figures de l’esprit, sont devenus des symboles de courage et de patriotisme.

L’ouvrage Les écrivains dans la Grande Guerre met en lumière leur contribution, tout en racontant l’Association des écrivains combattants (AEC), créée pour perpétuer leur mémoire et défendre leurs intérêts.

I – La Grande Guerre : un tournant pour les écrivains

La mobilisation de 1914 a touché toutes les classes sociales, y compris pour celle des écrivains. Les premières semaines du conflit ont coûté la vie à plusieurs figures emblématiques comme Charles Péguy, Alain-Fournier et Ernest Psichari. Au total, 560 écrivains sont « Morts pour la France », leurs noms étant gravés depuis 1927 sur des plaques au Panthéon.

Dans les tranchées, les écrivains ont continué à écrire. Leurs journaux, poèmes et lettres offrent un témoignage poignant de l’horreur de la guerre, tout en mettant en évidence leur engagement intellectuel. Ces textes ont permis de maintenir un lien entre le front et l’arrière, contribuant à la construction d’une mémoire collective autour du conflit.

II – La création de l’Association des écrivains combattants (AEC)

L’AEC a été fondée le 29 juin 1919, peu après la fin de la guerre, avec un triple objectif : honorer la mémoire des écrivains tombés au combat, maintenir la solidarité entre écrivains combattants survivants et défendre leurs intérêts professionnels.

L’association a été animée par des figures telles qu’Henry Malherbe et Roland Dorgelès, des auteurs eux-mêmes marqués par le conflit. Elle a joué un rôle crucial dans la publication de l’Anthologie des écrivains morts à la guerre (1924-1926), un monumental recueil en cinq volumes regroupant 560 notices biographiques et extraits d’œuvres.

Les initiatives mémorielles de l’association

L’AEC a organisé de nombreuses initiatives pour maintenir vivante la mémoire des écrivains combattants :

– des plaques au Panthéon (1927) : quatre grandes plaques en marbre, gravées des noms des écrivains « Morts pour la France », ont été inaugurées en présence du Président de la République Gaston Doumergue,

– la Forêt des écrivains combattants (1931) : située à Combes (Hérault), cette forêt symbolise le renouveau et rend hommage aux 560 écrivains morts durant le conflit.

– des cérémonies annuelles : chaque 11 novembre, une délégation se rend au Panthéon pour déposer des gerbes et raviver la flamme du souvenir.

Activités littéraires et culturelles

L’AEC a joué un rôle pionnier dans l’organisation d’événements littéraires :

– l’Après-midi du livre combattant (dès 1925) : premier salon du livre permettant au public de rencontrer des auteurs combattants,

– des publications et éditions : outre l’Anthologie des écrivains morts à la guerre, l’AEC a soutenu la publication de témoignages et d’œuvres d’écrivains ayant participé au conflit.

La Seconde Guerre mondiale et l’élargissement des missions

Après la Seconde Guerre mondiale, l’AEC a poursuivi son travail mémoriel en ajoutant au Panthéon les noms de 197 écrivains « Morts pour la France ». Parmi eux figurent des figures illustres comme Antoine de Saint-Exupéry, Marc Bloch, et Robert Desnos.

L’association s’est également engagée à soutenir les écrivains engagés dans les conflits postérieurs, notamment en Indochine et en Algérie, tout en continuant à défendre la langue et la littérature française par les prix littéraires qu’elle décerne pour récompenser des œuvres historiques, des essais, et des romans mettant en valeur les valeurs d’engagement et de mémoire. Parmi les distinctions notables, notons :

– le prix Claude-Farrère (1959), qui récompense un roman d’imagination.

– le prix Jacques-Chabannes (2001), qui récompense un ouvrage sur un sujet d’actualité.

– le prix Michel-Tauriac (2018), décerné pour l’ensemble de l’œuvre d’un écrivain.

Ainsi, à travers l’AEC, la France honore la mémoire de ses écrivains tombés au champ d’honneur tout en soutenant les auteurs contemporains. Ce travail de mémoire, initié il y a plus d’un siècle, montre combien les écrivains ont été non seulement des témoins, mais aussi des acteurs de l’Histoire. Ils nous rappellent que, même dans les moments les plus sombres, l’esprit humain peut continuer à créer, à résister et à inspirer les générations futures.

III – Les Écrivains dans la Seconde Guerre mondiale : hommage et mémoire littéraire

La Seconde Guerre mondiale a été un tournant décisif dans l’histoire contemporaine, laissant des cicatrices profondes sur le plan humain, culturel, et littéraire. De nombreux écrivains français ont participé à cet immense conflit, soit en prenant les armes, soit en rejoignant la Résistance. Parmi eux, 197 ont perdu la vie, marquant à jamais la littérature par leur engagement et leur sacrifice. Ce document leur rend hommage, en retraçant leur parcours et leurs contributions.

L’Association des Écrivains combattants (AEC)

Fondée après la Première Guerre mondiale, l’AEC s’est également mobilisée pour commémorer les écrivains morts durant la Seconde Guerre mondiale. En 1949, les noms de ces 197 écrivains ont été gravés sur des plaques inaugurées au Panthéon par le président Vincent Auriol. Ces plaques représentent un acte de mémoire collectif, semblable à celui des 560 écrivains morts durant la Grande Guerre.

L’AEC a aussi publié une Anthologie des écrivains morts à la guerre en 1960, regroupant des notices biographiques de ces auteurs. Cette initiative a permis de préserver leur mémoire et de sensibiliser les générations futures à leurs sacrifices.

Les catégories d’engagement

Les écrivains tombés durant la guerre peuvent être classés selon leur type d’engagement : les morts au champ d’honneur : 37 auteurs, comme Antoine de Saint-Exupéry, sont tombés dans des combats militaires directs; les « Morts pour la France » : 158 écrivains, dont une grande majorité était engagée dans la Résistance, ont été déportés ou exécutés; les morts sous les drapeaux : 2 écrivains ont perdu la vie pour des causes connexes à leur service militaire.

Portraits d’écrivains

Certains parmi ces 197 écrivains sont restés dans les mémoires collectives :

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) : auteur du célèbre Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry a disparu lors d’une mission de reconnaissance aérienne en 1944.

Marc Bloch (1886-1944) : historien et cofondateur de l’École des Annales, il a été fusillé après des actes de résistance active.

Jean Moulin (1899-1943) : bien qu’écrivain posthume avec son ouvrage Premier combat, il est surtout reconnu comme une figure centrale de la Résistance.

Robert Desnos (1900-1945) : poète surréaliste, il est mort en déportation au camp de Terezín.

Le rôle des Écrivains dans la Résistance

De nombreux écrivains ont choisi de résister par leurs mots ou par leurs actes. Les poèmes, articles clandestins, et livres rédigés durant cette période constituent une littérature de combat, souvent marquée par un profond courage, pour exemple : Pierre Brossolette (1903-1944), journaliste et intellectuel, il a payé de sa vie son engagement contre l’occupant nazi; Jean Prévost (1901-1944), tué dans un combat contre les forces allemandes tout en étant une plume active de la Résistance.

La Littérature en Temps de Guerre

Malgré les dangers, plusieurs écrivains ont poursuivi leur création durant la guerre. Les œuvres produites, parfois clandestinement, reflètent la réalité de cette époque tourmentée. Par exemple, les Armes miraculeuses (poèmes publiés entre 1941 et 1945 dans la revue Tropiques) d’Aimé Césaire montre la puissance du verbe dans un contexte d’oppression.

Hommage Posthume

La commémoration des écrivains combattants a permis de perpétuer leur souvenir. Outre les plaques du Panthéon, plusieurs établissements scolaires, rues et monuments portent leurs noms, témoignant de leur importance pour le patrimoine culturel français.

Les écrivains de la Seconde Guerre mondiale incarnent une forme de courage où la plume et l’action s’entrelacent. Leur engagement nous rappelle que la littérature peut être un acte de résistance et un outil de mémoire. Cet hommage aux 197 disparus illustre à quel point leurs sacrifices continuent d’inspirer les générations futures, préservant ainsi les valeurs de liberté, de justice et d’humanité.

L’ouvrage Les Compagnons de la Libération écrivains (Éditions Glyphe, 2023) est un hommage à la plume et au courage qui réunit deux dimensions fondamentales : le combat pour la liberté et l’expression littéraire. Ce recueil, dirigé par Alfred Gilder et François Broche, rend hommage aux Compagnons qui, en plus d’être des héros de la France libre, furent aussi des hommes et des femmes de plume. Ces cent dix-sept écrivains incarnaient l’alliance entre action et réflexion, témoignant de leur expérience par des écrits variés : carnets, romans, essais ou poésies.

Il faut souligner également l’engagement exceptionnel des Compagnons de la Libération. Fondé en 1940 par le Général de Gaulle, l’Ordre de la Libération a distingué 1038 membres pour leur rôle décisif dans la Libération de la France. Parmi eux, certains étaient écrivains accomplis avant-guerre, comme André Malraux ou Romain Gary, tandis que d’autres ont commencé à écrire pendant ou après la guerre, livrant des témoignages uniques sur leur épopée. Ces écrivains, loin d’être homogènes, représentaient une diversité exceptionnelle de parcours et de sensibilités. Civils ou militaires, jeunes ou âgés, ils partageaient une foi inébranlable dans les valeurs de liberté et d’humanisme. Leur devise, Patriam Servando, Gloriam Tulit (En servant la patrie, il a remporté la gloire), illustre leur engagement déterminé.

Parmi les Compagnons de la Libération, on compte de nombreux écrivains emblématiques dont : Jean Cassou, critique d’art et poète qui a rédigé trente-trois sonnets composés dans la solitude en prison, devenus une œuvre symbolique de la Résistance littéraire ; Romain Gary, auteur célèbre de La Promesse de l’aube (1960), il a transformé son expérience de pilote de la France libre en romans inspirés ; Berty Albrecht, militante et cofondatrice du mouvement Combat, elle a laissé des écrits passionnés sur ses convictions féministes et sociales ; Pierre Clostermann, aviateur et auteur de Le Grand Cirque (1948), un témoignage poignant sur les combats aériens.

La diversité des contributions littéraires de ces auteurs est à souligner. Outre les œuvres centrées sur la guerre, certains Compagnons se sont illustrés dans des disciplines variées comme Emmanuel d’Astier de la Vigerie, qui a écrit des romans et des essais politiques tels que Sept fois sept jours (1947) ; René Cassin, artisan de la Déclaration universelle des droits de l’homme, a publié des textes historiques et juridiques majeurs ; Dominique Ponchardier, auteur de romans policiers sous le pseudonyme Antoine Dominique.

Cet ouvrage participe à transmettre les valeurs portées par les Compagnons. Les jeunes générations peuvent s’inspirer de leur courage et de leur foi en l’avenir. Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération, décédé en 2021, rappelait que l’idéal ne se démode jamais.

Les écrits de ces hommes et femmes servent de témoignages historiques, mais aussi de leçons de vie. Ils mettent en avant une résistance active non seulement contre l’oppresseur, mais également contre la fatalité, prouvant que la plume peut être aussi puissante que l’épée.

Les Compagnons de la Libération écrivains nous laissent un héritage inestimable, à la fois littéraire et moral. Ils incarnent l’idée que l’engagement pour la liberté ne se limite pas au champ de bataille, mais s’étend à la sphère intellectuelle et spirituelle. Leur mémoire continue de nous inspirer et de guider les générations futures dans la défense des valeurs universelles.

Articles récents

6 janvier 2025

Un monument et son histoire

Retrouvez dans cette rubrique l’histoire d’un objet patrimonial de l’association. Le monument du Souvenir Français d’Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais) Au cœur du Pays de Saint-Omer, dans la commune d’Aire-sur-la-Lys, a été érigé par le Souvenir Français un monument en hommage aux morts des guerres de Crimée (1854-1856), d’Italie (1859), d’Algérie (1859), de 1870/1871 et de Madagascar (1895).  […]

Voir l'article >

Nos partenaires

Dans cette rubrique sont présentées les initiatives mémorielles des associations qui œuvrent en partenariat avec le Souvenir Français. Fédération nationale André Maginot La Charte n°4 de la Fédération Maginot vient de paraître. Complétant le n°3 paru au semestre précédent, les deux bulletins sont consacrés au 70ème anniversaire de la fin de la guerre d’Indochine. Contact : […]

Voir l'article >

Agenda du mois de janvier

Retrouvez dans cette rubrique toutes les initiatives du mois à venir au niveau national et local. 1 – Les publications de nos adhérents  « Ma vie avec Edmond Fleg », Haïm Korsia, Gallimard, 2024 Le Grand Rabbin Haïm Korsia, Secrétaire général du Souvenir Français, vient de publier un livre aux éditions Gallimard : « Ma vie avec Edmond Fleg ». […]

Voir l'article >
  • Ce champ n’est utilisé qu’à des fins de validation et devrait rester inchangé.