L’œil de l’historien

30 mai 2022

Michel Goya, Une guerre imprévue au Tchad

Michel Goya est un militaire et historien français. Colonel des troupes de marine, il devient ensuite enseignant et auteur spĂ©cialisĂ© dans l’histoire militaire et l’analyse de conflits. Il est Ă©galement membre du comitĂ© Ă©ditorial de la revue bimestrielle « Guerres et Histoires Â» lancĂ©e en 2011.

Au moment de la nĂ©gociation des accords de dĂ©fense après les indĂ©pendances africaines, le gĂ©nĂ©ral de Gaulle expliquait : « Les guerres coloniales, ça suffit. Nous avons toutes les peines du monde Ă  sortir de celle d’AlgĂ©rie. Je ne veux pas en commencer une autre en Afrique[1]. Â»Cela signifie qu’il n’est pas question de se lancer Ă  nouveau dans une longue campagne de lutte contre une organisation armĂ©e, qui plus est, dĂ©sormais au sein d’un pays Ă©tranger et souverain. Étonnamment, ce que l’on appelle aujourd’hui « contre-insurrection Â» ou « guerre asymĂ©trique Â» n’est donc pas prĂ©vu dans le nouveau modèle de forces et la doctrine d’emploi qui se mettent en place dans les annĂ©es 1960.

On ne veut donc pas mener de contre-insurrection. On s’y trouvera pourtant contraint au Tchad, oĂą le pouvoir du prĂ©sident Tombalbaye est très contestĂ© depuis 1965, en particulier Ă  l’Est oĂą plusieurs factions se regroupent l’annĂ©e suivante dans le Front de libĂ©ration nationale[2]. En juin 1966, les provinces du Nord, Borkou, Ennedi et Tibesti (ou BET), jusque-lĂ  sous administration française, passent sous le contrĂ´le du gouvernement tchadien[3]. Cette zone militaire française en territoire Ă©tranger souverain Ă©tait Ă©videmment une anomalie, mais elle maintenait le calme la rĂ©gion. Avec le transfert de responsabilitĂ© et la dĂ©gradation de l’administration, le BET ne tarde pas Ă  devenir une zone rebelle[4]. Une nouvelle branche du Frolinat s’y forme avec d’anciens tirailleurs soldĂ©s par la France et finit par s’emparer de plusieurs postes importants.

En 1968, le gouvernement tchadien fait une première fois appel à la France pour les reprendre. La France dispose alors d’un régiment interarmes à Fort-Lamy (N’Djamena) avec un escadron de blindés légers et la CPIMa, qui y était transférée depuis Brazzaville. L’engagement de la CPIMa, appuyé par une escadrille de chasseurs-bombardiers à hélices, suffit alors à reprendre les positions sans combat.

La situation s’aggrave cependant. La 2e armĂ©e du Frolinat tient pratiquement le BET Ă  l’exception de quelques postes assiĂ©gĂ©s. La 1re armĂ©e opère dans l’Est depuis des bases au Soudan. Les unitĂ©s tactiques de la rĂ©bellion sont constituĂ©es de bandes de 50 Ă  200 combattants relativement peu mobiles, car alors faiblement motorisĂ©es, et qui Ă©voluent dans le cadre de leur province d’origine. Leur progression est donc surtout un pourrissement gĂ©nĂ©ral, avec une disparition progressive de l’administration et des forces de sĂ©curitĂ© nationales, remplacĂ©es par des bandes ralliĂ©es au Frolinat. Mais ce pourrissement inexorable du centre du pays progresse dĂ©sormais vers la capitale.

En 1969, il apparaît que seule une intervention française importante peut sauver le président Tombalbaye et le pays du chaos. Cette perspective déplaît fortement au général de Gaulle, mais la France se trouve contrainte à la fois par les accords de défense, la crainte des conséquences sur la région de la déstabilisation du Tchad et le souci de maintenir la crédibilité de l’alliance française. Après beaucoup d’hésitations, le chef de l’État décide donc de l’entrée en guerre contre le Frolinat.

Au niveau opĂ©rationnel, le premier problème qui se pose du cĂ´tĂ© français est celui du nombre de soldats : il n’est toujours pas question d’engager des conscrits au combat hors de la dĂ©fense des frontières et les soldats professionnels sont rares. On n’engagera donc qu’un contingent limitĂ©. Pour le renforcer un peu, on remplace les volontaires service long sur place par des soldats engagĂ©s et on dĂ©cide de professionnaliser complètement le 3e rĂ©giment d’infanterie de Marine. C’est le dĂ©but d’un processus qui aboutira Ă  la professionnalisation complète des armĂ©es[5].

On ne peut donc engager initialement que deux groupements tactiques formĂ©s du rĂ©giment interarmes basĂ© Ă  Fort-Lamy et du 2e rĂ©giment Ă©tranger de parachutistes, renforcĂ©s ensuite par deux compagnies de LĂ©gion Ă©trangère et d’Infanterie de Marine. Ă€ son maximum en octobre 1969, le corps expĂ©ditionnaire français compte donc six compagnies et un escadron de blindĂ©s lĂ©gers, soit 1 600 soldats environ. C’est une densitĂ© très faible pour un pays grand comme deux fois la France et surtout pour deux ou trois fois plus de combattants rebelles que de soldats français. On se trouve donc très loin des calculs classiques qui rĂ©clament pour la contre-insurrection une grande densitĂ© de forces par rapport Ă  la population Ă  contrĂ´ler/sĂ©curiser (1 soldat français pour 25 habitants pendant la guerre d’AlgĂ©rie contre 1 pour 1 250 au Tchad en 1970) et un volume global de forces très supĂ©rieur Ă  l’ennemi.

Les forces nationales tchadiennes de leur côté sont très insuffisantes. Les unités les mieux équipées, les deux compagnies tchadiennes de sécurité, servent surtout à la protection du président et à la neutralisation de ses opposants politiques. L’armée nationale tchadienne (ANT) se limite à six compagnies mal équipées et surtout très mal encadrées, soit sensiblement le même volume que le corps expéditionnaire français. L’encadrement est corrompu, accaparant souvent la maigre solde et tolérant par compensation le racket de la population par les soldats. L’ANT est par ailleurs composée presque entièrement de sudistes mal acceptés et mal à l’aise dans les régions du Nord. L’armée de l’Air quant à elle se réduit à 12 aéronefs, dont trois vieux avions de transport Dakota. Tous sont pilotés par des Français. Localement, les préfectures disposent de quelques centaines de gendarmes dont ceux de la Garde nationale et nomade tchadienne[6].

La force terrestre franco-tchadienne est donc rĂ©duite, mais elle très mobile grâce Ă  son association avec une force aĂ©rienne de près de 50 aĂ©ronefs, avions de transport, d’attaque, hĂ©licoptères, venus de France, qui s’ajoutent Ă  ceux de l’armĂ©e tchadienne[7]. Après avoir installĂ© sur tout le territoire un rĂ©seau de pistes et de plots de ravitaillement, les Français peuvent dĂ©placer très vite un groupement aĂ©roterrestre, quelques centaines d’hommes et une dizaine d’aĂ©ronefs divers, sur n’importe quel point d’un théâtre immense.

Plusieurs modes opératoires sont possibles pour aider militairement un État en difficulté dans une guerre. On peut se contenter de fournir de l’assistance sous forme de conseils et de formation, accompagnée souvent de fournitures d’équipements. Des forces terrestres éventuelles sont placées en réserve ou en dissuasion. C’est la formule minimale. On peut aussi en plus appuyer les forces locales en leur fournissant des renseignements et en frappant par l’artillerie ou les forces aériennes les forces ennemies que leur font face. C’est la solution médiane. On peut enfin engager également des forces françaises terrestres au combat, aux côtés des forces locales, soit en mélange avec celles-ci.

La force de la campagne franco-tchadienne, en rĂ©alitĂ© plusieurs opĂ©rations distinctes que l’on regroupe sous le nom Limousin pour la partie française, rĂ©side dans le fait que ces modes opĂ©ratoires sont tous utilisĂ©s d’emblĂ©e et simultanĂ©ment selon trois axes : rĂ©forme de l’administration, destruction des forces rebelles Ă  l’intĂ©rieur du pays et constitution d’une armĂ©e nationale suffisamment solide pour participer Ă  la lutte contre les forces ennemies et in fine reprendre Ă  son compte la sĂ©curitĂ© du pays.

Éviter l’enlisement

Pour l’heure, les rebelles tiennent une grande partie du terrain rural et s’efforcent d’accroĂ®tre sa surface. Le corps expĂ©ditionnaire français, trop rĂ©duit, s’installe progressivement dans cinq bases en combinant compagnies françaises et tchadiennes : Fort-Lamy, Mongo au centre-sud, AbĂ©chĂ© Ă  l’est près de la frontière avec le Soudan, Sahr au sud près de la frontière avec la Centrafrique et enfin Ă  Faya-Largeau dans le dĂ©sert au nord. Puis, Ă  partir de ces bases, il s’efforce d’abord de dĂ©truire le maximum de forces adverses. Au centre et au sud, la mĂ©thode privilĂ©giĂ©e est la « nomadisation Â» : une section d’une quarantaine de marsouins ou de lĂ©gionnaires pouvant rĂ©sister Ă  n’importe quel ennemi, on les envoie vivre sur le terrain et y traquer les bandes rebelles.

La bataille qui se déroule dans la région de Mangalmé à la fin du mois de février 1972 en constitue un bon exemple. Un bataillon du Frolinat fort de 320 combattants bien équipés grâce à l’aide libyenne franchit la frontière soudanaise et pénètre avec plusieurs bandes dans la province tchadienne du Ouaddaï en direction de la ville de Mangalmé, où la compagnie parachutiste de l’armée tchadienne est placée en réserve d’intervention. Les sections de deux compagnies françaises d’infanterie de Marine sont envoyées en direction de la frontière en nomadisation avec des pelotons à cheval de la Garde nationale. Le premier contact est établi au bout de deux jours, le 14 février. Une section française tend une embuscade à une première bande qui perd huit hommes et se replie au Soudan. Le 18, un groupe de marsouins-parachutistes entre en contact avec la force principale ennemie. Le groupe est rejoint par le reste de sa compagnie puis par un détachement d’hélicoptères qui dépose une autre unité pour tenter de boucler la zone. Hélicoptères armés Pirate et avions Skyraider frappent l’ennemi qui se replie. La bande rebelle subit de forte de pertes, 49 tués et 7 prisonniers, avant de se replier au Soudan. Le 24 février, une nouvelle bande est repérée dans la région d’Ouzine, une centaine de kilomètres plus au sud. Elle se replie dès l’arrivée des forces françaises, perdant néanmoins une dizaine de combattants. Les Français, de leur côté, ont perdu trois hommes dans l’accident d’un avion léger Tri-Pacer servant pour la coordination des forces.

Dans le centre et le sud du pays, l’affaiblissement des forces ennemies autorise la mise en place d’une administration minimale, y compris les chefferies traditionnelles des sultans, protĂ©gĂ©e par quelques forces de sĂ©curitĂ© locales qui peuvent se dĂ©fendre contre un ennemi rĂ©duit, gendarmeries, gardes prĂ©fectorales, et plus d’une centaine de milices de protection de villages. La campagne de pression se double ainsi d’une campagne de conquĂŞte. Le Frolinat perd progressivement le contact avec la population et l’espace oĂą il peut Ă©voluer se rĂ©duit au moment mĂŞme oĂą il se fractionne avec l’apparition du Frolinat Volcan et que plusieurs ethnies comme les Maubis ou les MissiriĂ© se dĂ©solidarisent pour faire allĂ©geance au gouvernement. Au printemps 1972, la sĂ©curitĂ© de centre et du sud du pays, oĂą vit 80 % de la population, est assurĂ©e et l’autoritĂ© de l’État, Ă  peu près rĂ©tablie.

La mise en place d’une mission de rĂ©forme de l’administration afin de « donner au pays une administration solide et prĂ©sente, rĂ©animer les structures existantes, prĂŞter son assistance aux prĂ©fets et sous-prĂ©fets et prĂ©parer la rĂ©forme de la Constitution[8] » a Ă©tĂ© la condition posĂ©e par la France Ă  l’intervention militaire. Le prĂ©sident Tombalbaye s’est donc inclinĂ©, mais la mission suscite une inertie sinon une opposition affichĂ©e des ministères et des hauts fonctionnaires tchadiens, gĂŞnĂ©s dans leurs avantages ou simplement rĂ©ticents Ă  cette nouvelle prĂ©sence française quelques annĂ©es seulement après l’indĂ©pendance. Les conseillers civils manquent de rĂ©els moyens de pression sur les prĂ©fets.

Cette action ne peut rĂ©ellement s’effectuer que dans les rĂ©gions dĂ©jĂ  partiellement sĂ©curisĂ©es. Ce faisant, elle contribue ensuite Ă  son tour au dĂ©veloppement de la sĂ©curitĂ©. Mais en 1970, les ambitions de la mission de rĂ©forme se rĂ©sument de plus en plus Ă  une simple aide Ă  la population (la « politique des puits Â») et Ă  la constitution de petites milices, ou goums, de protection des villages mais aussi au profit des sultans et des chefs de canton. La population reste administrĂ©e par les mĂŞmes fonctionnaires et rapidement, lorsque les Français quittent le territoire, avec les mĂŞmes abus.

Les autres lignes d’opĂ©rations connaissent plus de succès. Après quelques mois de guerre, le gouvernement tchadien confie aux Français le commandement des unitĂ©s de l’ANT. Plus de 650 cadres français participent alors Ă  l’encadrement, Ă  la formation et Ă  l’équipement d’une armĂ©e qu’il faut entièrement reconstituer. Les 12 compagnies de l’armĂ©e tchadienne sont commandĂ©es majoritairement par des officiers et sous-officiers français et intĂ©grĂ©es dans 5 GTIA franco-tchadien. Les cadres tchadiens remplacent ensuite et dès 1970 les cadres français au fur et Ă  mesure de leur sortie des Ă©coles de formation[9].

Les choses sont plus difficiles dans le Nord. MalgrĂ© les attaques françaises, les Zaghawas de l’Ennedi et surtout les Toubous du Tibesti ont dĂ©veloppĂ© une force de rĂ©bellion, rĂ©duite et divisĂ©e, mais particulièrement dure, rustique et adaptĂ©e au terrain difficile. Surtout, cette rĂ©bellion bĂ©nĂ©ficie du soutien de la population. Si les quelques centaines de combattants plus ou moins bien armĂ©s de cette 2e armĂ©e du Frolinat manquent de puissance pour s’emparer de vive force des postes tenus par l’ANT, ces garnisons composĂ©es de soldats sudistes sont bloquĂ©es. Elles ne parviennent pas Ă  transformer les succès tactiques en contrĂ´le effectif du terrain. En janvier 1970, l’opĂ©rationBison a dĂ©ployĂ© 1 000 soldats français et 350 tchadiens rĂ©unis, 4 avions d’attaque Skyraider, 6 avions de transport et 18 hĂ©licoptères dans un engagement que l’on espère dĂ©cisif[10]. Pourtant, lorsque les hĂ©licoptères rejoignent le porte-avions Foch en mars, le bilan est quasi nul, l’ennemi s’étant presque partout dĂ©robĂ© avant les combats[11]. En trois mois de traque, 2 soldats français ont Ă©tĂ© tuĂ©s pour seulement 17 rebelles tuĂ©s ou prisonniers.

Quelques mois plus tard, le 11 octobre 1970, la compagnie de parachutistes est Ă©galement prise en embuscade Ă  Bedo, près de Faya-Largeau. Le combat est Ă©quilibrĂ© et les Français l’emportent difficilement, mais les rebelles sont parvenus Ă  tuer 12 soldats français. C’est la première des quatre « journĂ©es noires Â» des opĂ©rations extĂ©rieures françaises depuis 1962, au cours desquelles au moins 10 soldats français ont perdu la vie.

Cette guerre qui se voulait discrète devient d’un seul coup médiatisée et provoque un violent débat politique[12]. Preuve est ainsi faite qu’un combat très réduit peut constituer un succès stratégique pour l’ennemi dès lors qu’il parvient à tuer quelques soldats Français.

En 1972, les Français ont perdu 39 hommes, toutes causes confondues, dont 26 Ă  la seule CPIMa, et dĂ©nombrent 102 blessĂ©s. Les forces de sĂ©curitĂ© tchadienne ont de leur cĂ´tĂ© dĂ©plorĂ© 333 morts ou disparus et 296 blessĂ©s. Les pertes ennemies sont estimĂ©es Ă  3 800 tuĂ©s et au moins 1 300 blessĂ©s. Pour les seuls Français, on peut estimer le rapport de pertes entre 1 Ă  20 et 1 Ă  40[13].

L’intelligence du gĂ©nĂ©ral Cortadellas, commandant les forces françaises, est alors de ne pas s’obstiner et de proposer de ne pas s’engager dans un enlisement prĂ©visible dans le BET. Le prĂ©sident Pompidou, conseillĂ© par Jacques Foccart, peut estimer que le rĂ©sultat de la guerre au Tchad est suffisant et, en accord avec les autoritĂ©s tchadiennes qui se lassent aussi de la prĂ©sence française, il fait replier le corps expĂ©ditionnaire français sur une victoire relative. L’ennemi existe toujours mais il chassĂ© en pĂ©riphĂ©rie du « Tchad utile Â», au Soudan ou dans la bande dĂ©sertique du BET. On considère alors qu’avec une armĂ©e nationale reconstituĂ©e appuyĂ©e par une force aĂ©rienne tchadienne pilotĂ©e et maintenue en Ă©tat par des Français et un GTIA français en rĂ©serve dans la capitale, l’État peut Ă  nouveau faire face Ă  la situation.

Mise à l’épreuve d’un modèle

Le départ du contingent français du Tchad en 1972 met fin à la phase des opérations extérieures lancées par le général de Gaulle. Les combats se sont déroulés exclusivement sur le continent africain, pour la défense d’un territoire encore français en Tunisie pour celle des États africains nouvellement indépendants en vertu des accords de défense et au nom de la priorité accordée à la stabilité des régimes en place. De ce point de vue, même si la France n’a pas répondu systématiquement à tous les appels au secours, trop nombreux, les objectifs fixés ont été atteints.

Cette période a constitué une mise à l’épreuve du nouveau modèle de forces français, et plus particulièrement sa petite composante d’intervention et là encore le succès a été au rendez-vous. À rebours de toutes les anciennes puissances coloniales qui se sont repliées sur le territoire national une fois les indépendances acquises, ou qui le feront bientôt comme l’Espagne et le Portugal, la France reste présente militairement dans une grande partie des anciennes Afriques, occidentale et équatoriale, française. Elle y constitue même l’armée la plus puissante – un atout politique, mais qui pourra se révéler un fardeau.

Tactiquement, rarement des forces françaises ne se sont autant imposĂ©es. Des dizaines de combats engagĂ©s, les soldats français sont pratiquement toujours sortis vainqueurs, au prix de la mort de 67 d’entre eux, pour celle de plusieurs milliers de leurs adversaires, un bilan qui ne sera pas Ă©galĂ© avant longtemps. Il est le rĂ©sultat de l’excellence des troupes engagĂ©es, souvent très expĂ©rimentĂ©es, de leur combinaison avec l’appui aĂ©rien, mais aussi de l’acceptation politique de la prise de risques. Ces victoires ont permis d’obtenir des rĂ©sultats opĂ©rationnels : l’armĂ©e tunisienne a Ă©tĂ© repoussĂ©e, le prĂ©sident de la RĂ©publique gabonaise, libĂ©rĂ©, la 1re armĂ©e du Frolinat, neutralisĂ©e. Seule la 2e armĂ©e du Frolinat dans le BET n’a pas Ă©tĂ© vaincue mais simplement contenue.

Avec le dĂ©part du gĂ©nĂ©ral de Gaulle en 1969 et l’arrivĂ©e de Georges Pompidou, on s’aperçoit aussi combien, avec des institutions aussi centralisĂ©es et hors de tout vĂ©ritable contrĂ´le parlementaire, la dĂ©cision de l’engagement des forces françaises et de la forme qu’elle prend dĂ©pend beaucoup de la personnalitĂ© du prĂ©sident de la RĂ©publique : Georges Pompidou a hĂ©ritĂ© de la guerre au Tchad et l’a soldĂ©e rapidement pour ne plus lancer lui-mĂŞme d’opĂ©ration jusqu’à son dĂ©cès en 1974.

Extrait de Michel Goya, Le temps des guépards-La guerre mondiale de la France de 1961 à nos jours, Tallandier, 2022.


[1] Vincent Joly, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales : l’expĂ©rience française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 300.

[2] Robert Buijtenhuijs, Le Frolinat et les révoltes populaires du Tchad, 1965-1976, Paris, Lannoo, 1978.

[3] GĂ©rard-François Dumont, « GĂ©opolitique et populations au Tchad Â», Outre-Terre, 2008, p. 263-288.

[4] Christian Grégoire, Tchad-Borkou-Ennedi, 1970-1972, Paris, Mémoires d’hommes, 2004.

[5] L’Intervention militaire française au Tchad (1969-1972), Lettre du Retex-OpĂ©rations, 6, Centre de doctrine d’emploi des forces, armĂ©e de Terre, 26 novembre 2013.

[6] Jackie Neau, L’Intervention de la France dans le conflit tchadien, Paris, MĂ©moires d’hommes, 2006, p. 44.

[7] Sur l’emploi de la force aĂ©rienne, voir Arnaud Delalande, Appui feu au Tchad 1968-1975, Blog Puissance aĂ©rienne, publiĂ© le 8 novembre 2013. http://airpower.over-blog.com/2013/10/appui-feu-au-tchad-1968-1975.html

[8] RenĂ© Backmann, « Au Tchad avec la LĂ©gion Â», Le Nouvel Observateur, 8 dĂ©cembre 1969.

[9] Voir commandant C. GrĂ©goire, Tchad-Borkou-Tibesti-Ennedi, 1970-1973, Paris, MĂ©moires d’hommes, 2004.

[10] Valentin Germain, capitaine Nicolas Rey, sous la direction de Julie d’Andurain et du colonel Ghislain Huygues-Despointes, 50 ans d’opex en Afrique (1964-2014), Paris, Centre de doctrine d’emploi des forces, septembre 2015, p. 39.

[11] Marielle Debos, Nathaniel Powell, « L’autre pays des “guerres sans fin”. Une histoire de la France militaire au Tchad (1960-2016) Â», Les Temps modernes, 693-694, 2017/2, p. 221-266.

[12] TĂ©moignage du sergent Jacky Parisot, dans Jean-Pierre GuĂ©no, Paroles de soldats, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2018, p. 210-214.

[13] RĂ©pertoire typologique des opĂ©rations, t. 2, Afrique, Paris, Centre de doctrine d’emploi des forces, armĂ©e de Terre, [s.d.], p. 9-21.

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