Cérémonie commémorative à Gravelotte le 30 août 2020

11 septembre 2020

Discours de Pascal HECTOR, Ministre plénipotentiaire de l’Ambassade d’Allemagne à Paris

Je suis honoré d’être à vos côtés aujourd’hui pour commémorer, 150 ans après la bataille de Gravelotte, tous les soldats blessés et tombés au front lors de la guerre franco-prussienne de 1870/71, et en général toutes les victimes de cette guerre – mais aussi – et avant tout – pour célébrer la profonde amitié qui unit à présent nos deux peuples.

À cette occasion, nous souhaitons souligner, notamment pour les plus jeunes d’entre nous, la signification de cette réconciliation franco-allemande pour la paix en Europe.

En effet, la Deuxième Guerre mondiale ne peut être comprise qu’à la lumière de la Grande Guerre qui, elle-même, est indissociable de la guerre franco-prussienne.

Avec ces trois guerres, Français et Allemands ont longtemps fait figure « d’ennemis héréditaires ».

Cela n’a donc rien d’une évidence si nous sommes réunis aujourd’hui, Français et Allemands, dans ces lieux historiques, pour commémorer ensemble tous nos morts et ne plus jamais nous fourvoyer dans la guerre.

Les 150 ans qui se sont écoulés depuis la bataille de Gravelotte peuvent être divisés en une période des conflits qui a duré 75 ans, jusqu’en 1945, et une période de paix qui dure depuis 75 ans.

Les peuples de France et d´Allemagne ont tiré les leçons des expériences amères de l’Histoire et œuvrent ensemble depuis 1945 au service de la paix en Europe.

Permettez-moi de commencer par quelques mots plus personnels sur mon propre vécu par rapport à la guerre de 1870/71 : La maison de mes parents, à Sarrebruck, regardait sur le champ de la bataille de Spicheren, une autre des grandes batailles de cette guerre. La « montagne rouge » était juste en face, de l´autre côté d´un petit vallon. Et la promenade dominicale nous conduisait souvent à travers les nombreuses tombes et monuments qui parsèment encore aujourd´hui cet endroit historique. Il m´avait par exemple frappé sur un de ces monuments, que le général von François, général au nom si français, y était mort pour sa patrie prussienne.

Mais surtout je me souviens très vivement d´avoir contemplé de notre fenêtre le 6 août 1970, centenaire de cette bataille, ce champ de bataille, m´imaginant, jeune enfant que j´étais, les horreurs d´une guerre où des milliers d´hommes s´entretuaient au canon, au fusil ou à la baïonnette.

C´est peut-être en ce moment-là que j´ai eu une première impression, d´une manière certes très instinctive et encore plutôt inconsciente, d´une vérité très profonde : vérité formulée 25 ans plus tard pour la postérité par le Président de la République François Mitterrand dans son discours d´adieu au Parlement Européen : « Le nationalisme, c´est la guerre. »

Cette petite anecdote personnelle souligne aussi, je le signale en passant, l´importance du travail de mémoire: Ce n´est que parce que ces tombes et monuments ont été (plus ou moins bien) entretenus, et que je les avais fréquentés à maintes reprises, que le jeune enfant que j´étais, pouvait comprendre l´atrocité de la guerre en général – et notamment le non-sens absolu de ces combats fratricides entre français et allemands.

Ce travail de mémoire est d´autant plus nécessaire que chaque nouvelle génération doit apprendre à distinguer l’idée de la nation de l’idéologie nationaliste. Il est donc de première importance d´impliquer les jeunes dans ce travail de mémoire. Je tiens ici à remercier les jeunes gens qui, en ce dernier week-end de vacances d’été, ont pris de leur temps pour participer à cette cérémonie.

Et cette vérité – le nationalisme, c´est la guerre – devient de plus en plus importante de nos jours : Partout dans le monde des forces populistes fondent de plus en plus fréquemment leur stratégie politique sur la tentative d´exacerber les clivages, aussi bien à l´intérieur de leurs sociétés que sur la scène internationale. Exacerber les clivages au lieu de les calmer, attiser les tensions au lieu de résoudre les conflits par le compromis est une approche à haut risque. Elle rend notre monde du XXIème siècle moins stable qu´il ne l´était déjà. Nous avons besoin d´un outil efficace pour sauvegarder nos intérêts dans ce monde de l´instabilité.

Mesdames et Messieurs,

75 ans de paix ! Permettez-moi d’insister sur ce chiffre, la plus longue période de paix entre nos deux pays de mémoire d´homme !

Quelles sont les origines de ce miracle ? Quel est le changement de paradigme qui nous a permis de réussir la transition de la période des conflits à la paix ? S´il y a un facteur décisif, c´est bien l´intégration européenne. Après ces trois guerres fratricides, de grands hommes d´état français, Jean Monnet et Robert Schuman – qui a d´ailleurs passé les dernières années de sa vie tout près d´ici, à Scy-Chazelles -, ont tendu la main de la coopération au peuple allemand. Et de manière congéniale, le Chancelier Adenauer a su prendre cette main tendue. Plus tard le général De Gaulle s´est résolument engagé dans la voie de la réconciliation franco-allemande. Ces personnalités visionnaires ont tiré la conséquence des guerres : il fallait dépasser la politique de puissance entre les États européens, remplacer le rapport de force par la négociation et le compromis.

S’il y a, en effet, une leçon que des siècles de guerres fratricides nous enseignent, c’est bien celle-ci : seul l’Union européenne peut garantir de façon pérenne la paix en Europe.

Le bon fonctionnement de cette Union Européenne repose essentiellement sur le moteur franco-allemand. Bien qu´il y ait eu des hauts et des bas, ce moteur a toujours gardé sa puissance, ce qui a été démontré récemment encore par la proposition franco-allemande pour un plan de relance économique, destiné à pallier les conséquences de la crise actuelle. Plan de 750 milliards d’euros qui a finalement été adopté le mois dernier lors d’un sommet extraordinaire à Bruxelles et qui constitue un exemple probant de la réactivité de l’Europe. Avec ce plan de relance, la France et l´Allemagne ont joué la carte de la solidarité entre européens.

L´Union européenne garantit la paix en Europe, mais elle garantit aussi la souveraineté de nos états européens dans le monde. Le Président de la République Emmanuel Macron a souligné avec force cette idée de la « souveraineté européenne » :

C’est seulement ensemble, par l´Union européenne, que la France, l’Allemagne et les autres états membres sont capables de répondre aux défis du XXIe siècle et de défendre efficacement les intérêts de leurs citoyens dans ce monde dominé par des puissances continentales.

C’est cela, la somme de notre histoire européenne : Ensemble, nous, les 27 États-nations de l’Union Européenne, sommes souverains. Isolés, nous sommes impuissants.

Il s’agit maintenant de définir le rôle de l’Europe dans le monde, notamment face à la Chine et aux États-Unis. J’en suis convaincu : aux côtés de la France, notre plus proche partenaire, et avec les autres pays membres de l’Union Européenne, nous réussirons à trouver des réponses viables aux défis actuels !

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, pour terminer, de remercier les organisateurs de cette belle et digne cérémonie, dont l’organisation a constitué un véritable défi dans le contexte sanitaire actuel.

J´aimerais mettre à l´honneur le Souvenir français et son président Serge Barcellini. Fondé dans la suite de la guerre de 1870/71 et enfant de l´esprit de cette époque, cette association a – une fois entrée dans la période de paix – tellement contribué à la réconciliation franco-allemande et continue à œuvrer pour l´amitié entre nos peuples.

Merci également aux responsables locaux, que je félicite pour le superbe musée que je viens de visiter.

Enfin, je tiens à remercier les représentants du Département, de l’Office national des anciens combattants et du service pour l’entretien des sépultures militaires allemandes – le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge – pour leur remarquable engagement au service de l’entretien et de la préservation de ce cimetière.

Je les remercie aussi plus généralement pour leur excellente coopération en faveur du travail de mémoire dans la région, qui est un symbole fort de l’amitié franco-allemande.

Discours de Geneviève DARRIEUSSECQ, Ministre déléguée auprès de la ministre des Armées en charge de la mémoire et des anciens combattants

Madame/Monsieur la/le ministre (en fonction),

Monsieur le préfet,

Monsieur le maire,

Mesdames, messieurs les parlementaires, Monsieur le vice-président du conseil régional, Monsieur le vice-président du Landtag de la Sarre,

Monsieur le vice-président du conseil départemental, Monsieur le président de Metz-Métropole, Mesdames, messieurs les élus,

Monsieur le gouverneur militaire de Metz, mon général,

Monsieur le directeur adjoint de la direction du patrimoine de la mémoire et des archives,

Monsieur le vice-président du VDK,

Madame la directrice générale de I’office national des anciens combattants et victimes de guerre,

Officiers, sous-officiers, militaires du rang,

Chers porte-drapeaux, chers membres du monde combattant,

Chers amis allemands et français,

C’était il y a 150 ans.

Après plusieurs heures d’affrontement, la bataille n’a pas encore rendu son verdict. Au son du clairon, charges et contre-attaques se succèdent. Au corps é corps, on se bat partout, on se bat dans les maisons, on s’affronte dans les jardins, on se tue dans le cimetière. Le brasier de I’église dévorée par les flammes éclaire cette soirée d’août.

A la nuit tombée, c’est une tuerie sans vainqueur. Allemands et Français comptent leurs morts et leurs disparus. Par milliers ! Les mitrailleuses, I’artillerie, la densité des tirs ont changé la face de la bataille. Avec la guerre franco-prussienne de 1870-1871, la guerre moderne a fait ses premiers pas en Moselle. Gravelotte est entrée dans I’histoire. Le pays messin n’en a pas fini de la guerre et de la violence.

Autour de cette église ravagée, dans ce cimetière dévasté, le curé de Saint-Privat, I’abbé jean-Nicolas BAUZIN secourt les blessés, soigne ceux qui peuvent I’être, adresse les derniers sacrements. II le fait pour les soldats de deux camps, pour des Français mourants, pour des Allemands agonisants. Parce qu’ils sont hommes avant tout, parce qu’ils sont ses semblables. Dans les pires heures, il y a souvent un flambeau d’espérance qui s’allume. L’abbé jean-Nicolas BAUZIN en fut un.

De ce lieu symbole de nos divisions et de nos affrontements, nous avons fait un lieu d’union, un lieu de mémoire partagée. Ici dans ce cimetière militaire franco-allemand de Gravelotte reposent plusieurs milliers de nos soldats et quatre ossuaires lient pour I’éternité ceux qui, il y a 150 ans, se sont entre-tués.

Ici, nous mesurons avec gravité le poids de nos affrontements passés et nous estimons encore davantage I’amitié que se portent aujourd’hui nos deux nations. Nous nous réjouissons avec raison de la relation privilégiée que nos peuples entretiennent.

Et cette cérémonie, voulue par nos deux pays, avec des jeunes venus de chaque coté du Rhin dit plus que beaucoup de mots.

Ici même, la mémoire mosellane se souvient des cicatrices de nos guerres et de leurs conséquences. C’est aussi ce que nous dit le « Musée de la guerre et de l’annexion », il nous rappelle que cette part d’histoire européenne a fait basculer le continent dans un cycle guerrier qui ne s’acheva qu’en 1945.

La guerre franco-allemande de 1870 est une césure de I’histoire européenne, il y a un avant et un après. Les bouleversements qui en sont issus ont marqué les territoires et tout le XXe siècle. Les deux guerre mondiales en sont, en partie, le fruit. Rappelons-le car cette guerre est trop souvent oubliée, trop souvent passée sous silence.

La guerre de 1870-1871, cette « année tragique » selon Victor HUGO, eut de nombreuses répercussions et influença la géopolitique de I’ensemble de l’Europe et du monde. Elle précipite I’unité allemande et achève I’unité  italienne,  elle apporte la République mais affaiblit la France avec la perte de l’Alsace et de la Moselle, elle instilla les germes de la Revanche, elle est une des premières guerres modernes au bilan particulièrement lourd. La guerre de 1870  est  une  matrice  du XXe siècle. Et, nous en sommes les héritiers.

La Moselle le sait dans son histoire et dans sa géographie.

Tant de fois, votre département a été le théâtre d’affrontements. La Moselle et sa voisine alsacienne ont, si souvent, été les incarnations de nos déchirements européens : la guerre de 1870, un demi-siècle d’annexion, les souffrances de 1914-1918, celles de 1940 et la douleur d’une nouvelle annexion, les après batailles de 1944. 75 années de conflits fratricides, c’est ce que raconte en écho de notre mémoire partagé ce lieu d’histoire singulier.

Mais, désormais, il nous raconte également I’amitié durable de nos deux nations, devenues les inspiratrices de la paix européenne. Depuis 75 ans, depuis 1945, l’Europe occidentale est en paix. Elle le doit à nos liens d’amitié indéfectibles, à la volonté commune de nos deux pays et à la construction européenne.

Le Président Emmanuel MACRON et la chancelière Angela MERKEL y sont résolument attachés. Nous vivons une période inédite dans notre histoire, celle d’une Europe qui se rassemble, qui sait résoudre ses querelles sans se détruire.

C’est ainsi que la Moselle est aujourd’hui une terre d’histoire et un territoire de patrimoine. Le champ de bataille de Saint-Privat / Gravelotte, à l’instar de Verdun ou encore de la clairière de Rethondes, est devenu un lieu de mémoire partagée et un symbole de la réconciliation entre nos nations.

Français et Allemands, n’oublions jamais ce que fut le désastre humain fruit de nos divergences. Pour cela, continuons inlassablement à transmettre et à enseigner.

Français et Allemands, soyons fiers de notre amitié. Ne cédons ni é la tentation du repli ni aux sirènes de l’égoïsme, même dans la crise sanitaire et économique que nous traversons. Les nations d’Europe partagent des valeurs communes : l’attachement à la dignité humaine, la protection des plus faibles, la tolérance et la liberté. Ces valeurs sont à l’essence même du combat pour l’Europe et pour la paix. Ce sont ces valeurs que nous portons aujourd’hui.

150 ans après Gravelotte, la France et l’Allemagne ont effacé leurs querelles territoriales et nationalistes pour se rapprocher toujours plus dans une même conscience européenne. Hier, sur ce champ de bataille, tonnait la fureur de nos querelles ; aujourd’hui, le fracas des armes a expiré.

Et, j’entends, avec plaisir, le murmure d’une jeunesse européenne qui se souvient, qui construit son présent en connaissant son passé. Une jeunesse qui est une leçon d’espérance et un message d’optimisme pour notre continent.

Vive l’amitié franco-allemande !

Vive l’amitié européenne !

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