3 questions à Nicolas Vignos

2 février 2021

Nicolas VIGNOS est le président et fondateur de l’association Belfort 1870-1871. Né à Belfort, il a 39 ans et est père de deux enfants. Il est membre actif de l’association « Les Arquebusiers de l’Est ». Diplômé d’un Master d’Histoire contemporaine, il a travaillé sur le sujet : « Civils et militaires en guerre, Belfort 1870-1871 ». Ces recherches se sont portées sur les archives du colonel Denfert-Rochereau. Il continue aujourd’hui d’œuvrer bénévolement à la recherche de tous les éléments autours du siège en vue d’en établir une synthèse collective. Actuellement, il est responsable de l’Abri mémoire d’Uffholtz, situé en Alsace. Cette infrastructure est un lieu de médiation autour de la Première Guerre mondiale, la citoyenneté et la paix situé au pied du Hartmannswillerkopf (Vieil Armand). Ancien guide bénévole de la citadelle de Belfort, médiateur de l’action culturelle de la Caponnière, fédération des associations de forts de la région de Belfort, il est aussi membre du collectif et du conseil scientifique menés par le Souvenir Français pour le 150e anniversaire de la guerre de 1870-1871.

1 – Belfort est une des principales villes qui portent la mémoire de la Guerre de 1870-1871. Comment peut-on l’expliquer ?

Pour répondre à cette question, il faut remonter à une date hautement symbolique, celle  du 11 novembre 1920.

En effet, pour célébrer le cinquantième anniversaire de la République, le gouvernement et le parlement français choisissent d’organiser, à ce jour précis, les transferts du cœur de Léon Gambetta au Panthéon et le corps du Soldat Inconnu à l’Arc de triomphe. Les deux incarnent l’image sacralisée d’une forme de résistance et de sacrifice dans le grand roman national. Ce qui est moins connu, c’est que le cortège qui les conduira à travers Paris est parti de la Place Denfert-Rochereau sur laquelle trône aujourd’hui la réplique de l’œuvre de Bartholdi, le Lion de Belfort. Cette statue, en grès rose des Vosges, adossée à la falaise de la citadelle, monumentale par ses dimensions (22 m de long sur 11 m de large) se trouve être la plus grande en pierres sculptées, de France.

Cet acte parachève l’épopée belfortaine, en gravant dans le marbre de la reconnaissance nationale, cette résistance héroïque de la cité du Lion, lors du siège de 1870-1871. En 50 ans, la petite ville alsacienne se transforme en véritable camp retranché militaire et en l’une des régions les plus industrielles de France, à quelques kilomètres seulement de la nouvelle frontière.

Belfort et son territoire sont devenus des symboles car ils incarnent le mieux, aujourd’hui encore, les conséquences directes du conflit franco-prussien, tant sur les plans politique, historique, géographique, économique, démographique ou artistique, avec le monument préféré des Français de 2020 : le Lion de Belfort. Tous ces éléments découlent du siège de Belfort et des conséquences directes de la Guerre de 1870-1871 dont on célèbre actuellement les 150 ans.

Avec cet événement, Belfort devient un nom et quel nom ! Il suscitera l’admiration même chez les soldats prussiens. Pour cela, il faut se pencher sur l’histoire de cet événement. Au-delà d’une guerre de bombardements et de tranchées, on peut dire qu’il existe, à l’époque, un phénomène « Siège de Belfort ».

Si la place forte est l’épicentre où se concentre la violence de l’artillerie prussienne, l’impact direct du siège s’étend sur une vaste région, comprise entre le Rhin, le Doubs, les Vosges et le Jura. En observant la composition des troupes belligérantes, on s’aperçoit très rapidement qu’elles proviennent de régions très différentes au sein de leur pays respectif. L’ouvrier lyonnais côtoie le méridional toulousain ou le paysan alsacien. Chez les troupes assiégeantes, le fantassin prussien occupe les tranchées creusées par le pionnier badois et les artilleurs wurtembergeois rivalisent de cadences avec leurs homologues bavarois. Le siège a donc été un lieu où  les populations, françaises, allemandes, dans leur diversité, ont pu s’identifier.

Sur un plan chronologique Belfort entre en guerre dès la déclaration du 19 juillet 1870. La cité vit, en permanence, au rythme du conflit jusqu’ à la sortie de la garnison, le 18 février 1871. Les populations civile et militaire sont les témoins de la mobilisation de fin juillet 1870 jusqu’à la signature de la reddition de Belfort, sur ordre du gouvernement, le 16 février 1871. C’est une histoire forte. Parmi les défenseurs, le colonel Denfert-Rochereau deviendra, après le siège, la personnalité qui incarnera cette défense héroïque. Né en 1823 à Saint-Maixent, ce polytechnicien intègre comme officier le génie militaire. C’est un ingénieur reconnu qui participe à deux sièges (Rome en 1849 et Sébastopol en 1855), après un passage en Algérie, il est nommé comme chef du génie de la place de Belfort en 1864. C’est aussi un républicain convaincu que Léon Gambetta place à la tête de la garnison. Homme expérimenté et déterminé, il pratique une défense échelonnée, disputant énergiquement les abords de Belfort dès le 2 novembre 1870, obligeant ainsi les soldats de la Ière division de réserve prussienne du général Von Tresckow à un cercle d’investissement de 30 km. 18 000 soldats français font face aux 15 000 (au début du siège) puis 40 000 soldats allemands. Approximativement 10 000 civils (villageois et citadins), sont directement confrontés aux combats et surtout aux bombardements intensifs, tant des canons allemands que français. A partir du 3 décembre, et après l’installation des sept premières batteries de siège du côté prussien, c’est un véritable duel d’artillerie qui s’opèrent entre les belligérants et qui dure 73 jours. Ceci fait du bombardement de la cité un des plus importants de ce conflit avec celui de Strasbourg. On évalue aujourd’hui à près de 100 000 obus tirés par les canons badois, bavarois, wurtembergeois et prussiens. Les défenseurs ont tiré 86 000 obus. L’échec de l’armée de Bourbaki, en janvier 1871 et l’ordre reçu du gouvernement français, obligent le colonel Denfert-Rochereau à signer la reddition de la place le 16 février. En refusant les honneurs de la guerre, le colonel Denfert-Rochereau dessine l’image héroïque de Belfort, en ne s’avouant pas vaincu. Le mythe, autour de la résistance belfortaine devient, au fil des années, un symbole marquant, voire un modèle. Grâce à elle, et aux négociations d’Adolphe Thiers, ce morceau du territoire alsacien ne sera pas annexé à l’Empire allemand. C’est plus qu’un symbole, c’est une porte que la France renforcera en vue d’une guerre future, celle de la reconquête des provinces perdues. Avec le siège de Belfort, c’est tout un territoire et une population qui intègrent le panthéon des résistances glorieuses.

Peinture de Belfort

2 – Vous avez créé l’association Belfort 1870-1871 et le 150ème anniversaire de 1870-1871 constitue un événement important pour elle. Pouvez-vous nous présenter votre association ?

Fondée en 2015, l’association Belfort 1870-1871 porte un projet ambitieux, celui de permettre une étude approfondie et soignée de cet événement marquant, tant sur le plan local que national, voire européen. Cet élément motive la démarche des membres de l’association.

Ce conflit est un des épisodes les plus violents qu’ont connu Belfort et sa région dans leur histoire contemporaine. Du 1er janvier 1870 au 31 décembre 1871, rien que l’état civil de Belfort enregistre le décès de 1892 personnes (1506 militaires et 386 civils). On enregistre 72% des soldats et 77 % des habitants trouvant la mort entre le 3 novembre 1870 et le 18 février 1871. A titre de comparaison, il y a eu 1440 belfortains tués durant la Grande Guerre (sans compter, toutes les victimes dans les communes du secteur et celles de l’armée assiégeante). C’est donc un événement fondateur à la fois pour l’identité de Belfort et de son territoire mais aussi pour sa place sur le plan national et européen.

L’association compte une trentaine de membre actifs parmi lesquels on trouve des historiens, des passionnés d’Histoire, des collectionneurs, des reconstituteurs, mais aussi des membres des familles de certains belligérants, comme les descendants d’Edouard Meny, le maire de l’époque, ou du colonel Denfert-Rochereau.

L’association a défini dans ses statuts 5 axes prioritaires : la connaissance scientifique, la médiation historique, la transmission d’une mémoire du Siège, l’animation avec convivialité et une approche franco-allemande. Pour les 150 ans du Siège, nous avons fixé 3 objectifs principaux : rendre son histoire au Siège de Belfort, accompagner les projets commémoratifs, historiques ou culturels, et porter des actions spécifiques auprès de tous les publics. C’est un véritable défi mais nous restons déterminés malgré la situation sanitaire actuelle.

Notre ambition est d’aborder cet épisode sous l’angle historique alors qu’il a trop longtemps puisé son inspiration dans la légende. Cette démarche s’appuie sur un retour aux sources, en particulier les archives du siège, qui n’ont jamais été vraiment étudiées, tant celles de la place forte que celles des combattants qui y ont participé. Nous sommes toujours à la recherche de documents et preneur de tout ce qui peut renforcer la connaissance sur le siège de Belfort (lettres, photographies, rapports militaires, carnets, dessins, etc.). De même, il est temps d’avoir un regard franco-allemand, loin des clichés colportés durant des décennies, afin de faire profiter le plus grand nombre de ses enseignements.

L’association n’a pas vocation à se substituer aux collectivités territoriales. Elle est en dialogue avec les autorités locales sur la manière d’accompagner des projets en commun et d’obtenir un soutien financier.

Le montant de la cotisation est de 10 € pour les particuliers, il est possible d’effectuer des dons, exonérés d’impôts à 66 %.

3 – Quelles sont les principales actions liées au 150ème anniversaire que vous proposez de réaliser en 2021 et 2022 ?

L’assemblée générale de l’association a défini sept actions afin de promouvoir le Siège de Belfort. Chacune de ces actions a été profondément impactée par la crise sanitaire que connait le monde aujourd’hui. La COVID et ses conséquences ont placé une chape de plomb, perturbant le 150ème anniversaire de la guerre de 1870-1871 dans son ensemble.

Etant un des derniers faits militaires majeurs du conflit, avec la citadelle de Bitche, Belfort n’échappera pas aux restrictions sanitaires dans les mois à venir. Dès lors, nous avons dû nous adapter.

Nous avons eu en particulier l’opportunité de participer à l’élaboration d’une série de quatre reportages sur le siège de Belfort, réalisés par France 3 Bourgogne Franche-Comté. https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/territoire-de-belfort/belfort/feuilleton-guerre-1870-on-vous-raconte-resistance-heroique-belfort-1893550.html

Tournage pour France 3
Tournage pour France 3

Cette action, menée conjointement avec la citadelle de Belfort et les associations « Les Arquebusiers de l’Est » et « La Courbière », donnent un premier aperçu du sens que nous donnons à notre démarche.

Nous proposons de mener à bien deux autres actions prioritaires : la réalisation d’une exposition itinérante, que viendra compléter un support didactique, à travers la présentation des principaux faits et événements du Siège, un éclaircissement sur les acteurs et un regard sur le quotidien des soldats comme des habitants, durant cette terrible épreuve. Pour avoir une approche plus attractive notamment auprès des jeunes, nous avons sollicité le concours de Marko, auteur et dessinateur de la BD « Les Godillots » pour illustrer certains panneaux. Nous espérons pouvoir présenter ce travail à la fin du printemps prochain si la situation sanitaire le permet. Comme cela est indiqué, elle sera itinérante et nous comptons faire voyager cette exposition, à la fois sur le plan local, mais également sur le plan national, en particulier auprès des principales villes d’origine des défenseurs de Belfort, comme Lyon, Toulouse, Chalon-sur-Saône, Mulhouse, Vesoul, Colmar. Nous envisageons également sa présentation à Paris, car il s’avère qu’un nombre important de défenseurs de Belfort se sont établis dans la capitale, après la guerre créant une amicale, particulièrement active, entre 1870 et 1920.

La seconde action prioritaire est liée à la découverte d’un véritable trésor d’archives, à la bibliothèque de conservation des dominicains de Colmar. Ce sont les documents de Léon Wendling (1846-1920), jeune avocat alsacien, qui deviendra maréchal des logis dans l’artillerie de la garde nationale mobile du Haut-Rhin, et qui a participé au siège. Dans l’esprit de ce témoin, la bibliothèque a conservé son journal personnel tenu durant le siège, ainsi qu’une trentaine d’aquarelles. A cela s’ajoute un nombre très important de documents totalement inédits : cela va de la plaidoirie d’un procès au conseil de guerre, en passant par les seules caricatures connues produites durant le siège, à des croquis et dessins griffonnés par ce défenseur. Remarquablement conservés par l’équipe de la bibliothèque des dominicains, nous proposons de publier l’ensemble dans un ouvrage d’environs 200 pages, qui sera édité au courant du mois de mai 2021.

Parallèlement, l’association s’engage également à donner diverses conférences sur des thématiques liées à la guerre de 1870-1871 et au siège de Belfort. Nous souhaitons de plus proposer une animation aux forts des Basses-Perches, à savoir un week-end de reconstitution historique, en partenariat avec des associations de reconstituteurs.

Enfin, notre association souhaite créer du lien entre les générations, dans un esprit de convivialité, en organisant des repas dédiés à la nourriture des défenseurs de Belfort en 1870-1871, accompagnés de medleys de musiques d’époque et plus actuelle, proposés par les musiciens chevronnés de l’association et adaptés à un public curieux de l’aspect festif. L’inspiration est issue de menus historiques pris dans la ville assiégée ; ces événements ponctuaient la vie tumultueuse des belfortains de cette époque.

Toutes ces activités dépendront bien entendu directement du contexte sanitaire de notre pays. Pour de plus amples informations, pour nous soutenir ou pour adhérer, n’hésitez pas à nous contacter : Belfort 1870-1871, 12 rue de Châteaudun 90000 Belfort, tel :  06.74.45.29.87 ou belfort.1870.1871@gmail.com

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