Rhin et Danube ou la mémoire des anciens de la 1re Armée française

24 février 2017

NOIQUE

Jean-Arthur Noïque, est professeur d’histoire-géographie au  lycée Frédéric-Mistral à Avignon et docteur en histoire. Son doctorat « Images et mémoires de la 1re Armée française (1943-2015) » sera prochainement édité par les éditions Les Indes Savantes. Communications à  paraître : « La place de la 1re Armée française dans l’espace mémoriel colmarien », Actes du colloque, « Les marqueurs mémoriels de la guerre et de l’armée : la construction d’un  espace du souvenir dans l’Est de la France », et «  De l’histoire de la 1re Armée ou de la construction d’une histoire par les militaires », Actes du colloque, « L’histoire des opérations militaires, sources, objets, méthodes ».

La dernière armée française victorieuse

La 1re Armée française, commandée par le général de Lattre de Tassigny, est la dernière armée française victorieuse depuis 1918. Créée fin 1943, elle est engagée pour la première fois sur l’île d’Elbe en juin 1944, avant de débarquer en Provence le 15 août. Elle est confrontée à de très durs combats dans les Vosges et surtout en Alsace où elle s’illustre au début de l’année 1945. Elle défend Strasbourg, s’empare de Colmar le 2 février et liquide la poche du même nom une semaine plus tard. En mars 1945, elle rentre en Allemagne et poursuit sa progression jusqu’en Autriche. Le 8 mai 1945, son commandant en chef, le général de Lattre de Tassigny, est invité à Berlin pour signer l’acte de capitulation de l’Allemagne. C’est une reconnaissance du rôle joué par son armée depuis le débarquement en Provence.

 

Alors que la 1re Armée s’était couverte de gloire durant la Seconde Guerre mondiale, le G.P.R.F. (Gouvernement provisoire de la République française) décida de la dissoudre ce qui fut effectif à la fin du mois de juillet 1945. Au même moment, le général de Lattre de Tassigny décida de fonder une association qui regrouperait les anciens de la 1re Armée, dénommée Rhin et Danube.

 

Une association aux multiples missions

 

L’association Rhin et Danube fut fondée officiellement le 4 octobre 1945 après publication de ses statuts au Journal Officiel. Elle est reconnue « d’utilité publique » le 7 octobre 1947, ce qui correspond à un autre instant important dans son histoire.

 

Elle a plusieurs missions : maintenir les liens de camaraderie, l’entraide entre ses membres, représenter les vétérans de la 1re Armée auprès des autorités publiques, organiser des périodes de préparation militaire et entretenir la mémoire de l’Armée de Lattre ainsi que celle du maréchal après sa disparition.

 

Elle peut remplir toutes ces missions car elle dispose de revenus confortables. Outre les subventions versées par le ministère des Anciens Combattants, elle dispose des cotisations de ses membres, elle vend des objets dérivés comme des médailles, des disques, elle émet des billets de la Loterie nationale… Ses finances sont telles qu’elle achète un immeuble à Paris, rue Eugène Flachat dans le 17e arrondissement, pour en faire son siège social : immeuble dont Le Souvenir Français héritera en 2005.

 

Une association influente qui s’investit dans les guerres du temps de la décolonisation

 

Rhin et Danube fonctionne sur un modèle militaire : elle fait appel à la discipline, à la volonté de servir, à la force morale et à l’unité de ses membres. L’association est groupée derrière son président national qui rend compte systématiquement des décisions prises auprès du général de Lattre de Tassigny, qui occupe le poste de président d’honneur.

 

Dans un premier temps, la mémoire de la 1re Armée ne préoccupe pas réellement les membres de Rhin et Danube. L’association lutte pour éviter la décolonisation de l’Indochine et surtout de l’Algérie. En effet, les vétérans de la 1re Armée encore en activité y sont engagés. De plus, Rhin et Danube pense qu’elle a une mission : assurer la grandeur de la France. Les mots du général de Lattre prononcés à Lindau le 27 juillet 1945 dans « L’Ordre du Jour n°10 » sont constamment cités par ses hommes pour justifier leur action : « Gardez intact en vos mémoires le souvenir de nos luttes, de nos victoires et de nos rangs fraternels. L’esprit « Rhin et Danube » survivra en chacun de vous et demain, pour vos devoirs nouveaux, vous serez encore, avec ferveur, les artisans intransigeants de la Grandeur Française ».

 

Ce n’est donc qu’après l’indépendance de l’Algérie que l’association Rhin et Danube s’investit totalement dans la promotion et la diffusion de la mémoire de l’Armée de Lattre. Elle se veut alors le porteur de la mémoire de la 1re Armée française.

 

« Les lieux de mémoire de la 1re Armée »

 

La mémoire de la 1re Armée française, ou des unités qui l’ont composée, est entretenue aujourd’hui grâce à l’existence de monuments commémoratifs, plaques, stèles, statues, nécropoles… qui ont été érigés la plupart du temps grâce à l’action de Rhin et Danube qui s’est organisée en groupe de pression pour que les autorités publiques accèdent à sa demande. Ces monuments sont tout particulièrement présents dans les régions libérées par la 1re Armée, mais aussi dans celles où cela n’a pas été le cas, comme à Paris.

 

On ne compte plus les rues, les avenues, les ronds-points et les places dont les noms renvoient à l’épopée de la 1re Armée française. D’autant plus que les inaugurations se poursuivent encore aujourd’hui, comme ce fut le cas en 2015 à Niort où un rond-point porte le nom de Rhin et Danube en l’honneur de l’Armée de Lattre.

 

Le blindé est assez apprécié pour créer des lieux de recueillement et d’hommages, à tel point que l’on peut évoquer des « mémoires d’acier ». Ce sont généralement des Sherman : le Provence au Mont-Faron à Toulon, le Jeanne d’Arc à Marseille, le Duguay-Trouin à Dijon, le Renard à Kientzheim…

 

Les plages du débarquement de Provence, les villes de Marseille, de Toulon, de Mulhouse, de Colmar… où les troupes de la 1re Armée se sont illustrées sont autant de lieux où les autorités publiques et l’association Rhin et Danube organisent des cérémonies commémoratives. Le 15 août, l’anniversaire de l’opération Dragoon, devient l’occasion d’honorer solennellement l’Armée de Lattre, en particulier en 1964.

 

Une mémoire inscrite dans la pierre

 

Certains « lieux de mémoire » sont plus emblématiques comme c’est le cas de la nécropole nationale de Sigolsheim près de Colmar, qui rassemble les dépouilles des soldats de la 1re Armée qui perdirent la vie en Alsace. Si le projet de constituer cette nécropole datait de 1956, ce n’est qu’en 1962 que Rhin et Danube et l’Etat se mirent d’accord pour sa création. Elle fut inaugurée en 1965 et trente ans plus tard l’association fit édifier un monument en l’honneur des soldats américains qui combattirent sous les ordres du général de Lattre.

 

A Colmar, la municipalité, l’Etat, et Rhin et Danube ont inauguré en 1973 un lieu de mémoire rappelant le rôle du général de Lattre et les victoires de la 1re Armée, de l’île d’Elbe jusqu’à Berlin, en raison du rôle qu’elle joua dans la libération de la ville et du département. Un bassin constitue la partie centrale de ce site où, sur des murs en grès, des bas-reliefs en plomb évoquent l’amalgame, le maréchal de Lattre, les blasons des divisions ayant composé l’armée. Sur des stèles en grès ont été sculptées toutes les opérations menées par l’Armée de Lattre.

 

A Paris, le projet d’édifier un monument au maréchal de Lattre, porte Dauphine, a reçu l’approbation de l’Etat le 8 février 1979. Cette entreprise a été d’autant plus aisée qu’elle a obtenu le soutien d’un ancien de la 1re Armée, le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing. Cet espace mémoriel est composé d’un monument en grès de 15 mètres de long sur lequel se trouve un buste du maréchal de Lattre. De l’autre côté est inscrite sa devise « Ne pas subir ». Un chemin fait le tour du monument et est bordé par six stèles, ressemblant à celles de Colmar, sur lesquelles sont gravés les événements de la vie de De Lattre.

 

Autres mémoires

 

La mémoire de Rhin et Danube est aussi diffusée par l’intermédiaire de timbres postes qui sont édités après une amicale pression de l’association et qui mettent en avant la figure du général de Lattre de Tassigny.

 

Enfin, dans cette liste qui n’est pas exhaustive, il nous faut évoquer la présence d’ « écrivains combattants » qui diffusent la mémoire de l’Armée de Lattre. Pour la plupart ce sont des membres de l’association Rhin et Danube, ou des proches de celle-ci. Parmi les plus connus nous retrouvons le romancier, journaliste et académicien Michel Droit, ou le romancier, essayiste, historien et académicien André Chamson. Il y a aussi des militaires qui rédigent leurs mémoires, qui deviennent des ouvrages de référence. C’est le cas de Pierre Lyautey (neveu du maréchal), Augustin Guillaume (général commandant la 3e D.I.A. et futur président de Rhin et Danube)… sans oublier le général de Lattre de Tassigny qui publie en 1949 L’Histoire de la Première Armée Française Rhin et Danube. Mais depuis le début du XXIe siècle, Internet est devenu le lieu d’accueil et de diffusion d’une multiplication de témoignages sur la 1re Armée, faisant émerger à son sujet une mémoire plus « émiettée » qu’auparavant.

 

La relève institutionnelle, depuis la disparition de Rhin et Danube en 2005, est assurée entre autres par l’Institut vendéen de Lattre-Clemenceau, la Fondation Maréchal de Lattre et par Le Souvenir Français. Le Souvenir Français est l’héritier de Rhin et Danube,  il est par conséquent le principal porteur de la mémoire de la 1re Armée.

 

Jean-Arthur Noïque

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