Rennes : un monument à l’origine de la création du Comité de l’association « Le Souvenir Français » dans la capitale bretonne
En 1887, à Rennes, le cimetière de l’Est est créé pour pallier le manque de place du cimetière de Nord. Rennes est alors une ville de garnison importante. Les militaires sont inhumés dans différents endroits des deux principaux cimetières de la ville. Une société de secours aux blessés et malades de l’armée, une des trois sociétés de la Croix-Rouge française, l’Union des Femmes de France (UFF), se manifeste pour éviter que les militaires, dont les tombes arrivent à expiration, ne soient mis dans une fosse commune. En mai 1892, comme à Bordeaux, Nantes ou Vannes, le groupe rennais de l’Union des Femmes de France demande à la ville de Rennes que soit aménagé, dans un des deux cimetières de la ville, un espace spécialement réservé aux inhumations d’officiers, sous-officiers et soldats de la garnison. Ces derniers, en effet, décédant loin de leur famille, ne pouvaient, en raison de l’éloignement et à défaut de ressources suffisantes, recevoir une sépulture individualisée.
Dans le courrier adressé à la ville, il est précisé : « … Dans ce quartier militaire, les parents retrouveraient aisément leur enfant aux services de la Patrie ; et unis dans la vie, nos soldats décédés se retrouveraient encore réunis après la mort ; ils dormiraient auprès de leurs frères d’armes et formeraient ensemble une armée d’outre-tombe dont chaque membre ne saurait à l’avenir redouter ni l’isolement ni l’oubli… ». Une souscription est réalisée afin de pouvoir construire un monument délimitant la zone civile de la zone militaire. Ce monument doit être construit à proximité ou au-dessus d’un vaste caveau où, après le temps réglementaire de sépulture, doivent y être réunis les ossements des militaires.
La ville de Rennes est favorable à la création d’un « Carré Militaire ». L’Etat-Major de Rennes indique qu’en 1892, la garnison compte 320 officiers et 5 000 sous-officiers et soldats. Le nombre de décès est de 20 à 21 en moyenne par an. La ville met à disposition de l’Union des Femmes de France un terrain situé dans le prolongement de l’allée centrale du cimetière de l’Est, mesurant 20 mètres en façade et 30 mètres en profondeur. Sur les 600 m2 mis à disposition, 504 m² sont destinés à recevoir 168 tombes, 30m2 sont dédiés à l’ossuaire et 64m2 sont réservés en cas d’épidémie ou de guerre. Une clôture ajourée devait entourer cette enceinte mais ne sera finalement pas réalisée. Il est convenu entre les deux parties que le terrain, mis à disposition de l’UFF, reste la propriété de la ville de Rennes.
L’UFF ayant plutôt vocation à s’occuper de blessés et de malades, il faut que l’entretien du « Carré Militaire » soit assuré par une autre entité. N’ayant pas de lieux de sépultures spécifiques pour les militaires, la ville n’a pas encore de Comité du Souvenir Français. Le maire de Rennes adresse alors un courrier au Général d’Etat-Major, Commandant le 10e Corps d’Armée, pour l’informer qu’un espace a été mis à disposition des autorités militaires. Le Général, par retour de courrier, fait savoir qu’il ne souhaite pas que la gestion des concessions à perpétuité soit prise en charge par l’Administration de la Guerre. Il pense que l’entretien du monument et des tombes revient à l’UFF, société reconnue d’utilité publique, en association avec les familles des militaires décédés.
L’Union des Femmes de France passe un accord avec Le Souvenir Français pour l’entretien des tombes du Carré Militaire et lui verse l’argent restant de la souscription pour l’érection du monument appelé dès lors ‘’Monument du Souvenir Français’’. Monsieur H. Huguet, conseiller municipal de Rennes chargé des commissions de finances et des travaux publics, devient le premier président du Comité d’Ille-et-Vilaine du Souvenir Français.
En juillet 1896, le maire de Rennes donne l’autorisation de faire poser sur le terrain réservé aux inhumations, un panneau porteur de l’inscription :
Terrain concédé à la Société de Secours aux blessés « l’Union des Femmes de France » pour l’inhumation des officiers, sous-officiers et soldats de la garnison.
(Délibération du Conseil Municipal du 29 août 1892)
Les tombes sont entretenues par les soins et aux frais de l’association « Le Souvenir Français ».
En 1899, l’ossuaire n’est pas encore édifié et les tombes sont insuffisantes : un agrandissement est alors demandé. Le conseil municipal propose d’ajouter 230 m2 supplémentaires afin de pouvoir assurer l’inhumation des militaires de la garnison rennaise pendant les cinq prochaines années.
L’architecte de la ville, Julien Ballé, en charge du projet, réalise les plans de la future construction. L’urgence est de creuser, au bout de l’allée centrale, un caveau pour y déposer les ossements des militaires déjà inhumés, avant expiration des concessions. L’entreprise de maçonnerie Gauthier obtient l’autorisation de réaliser le caveau devant recevoir la partie du monument au-dessus du sol. Le caveau est réalisé en forme de croix. Les quatre angles pleins servent de fondation pour les futurs piliers du monument. Les sculptures et gravures sont laissées aux soins du marbrier Foliot.
En 1901, fin des travaux. Le monument dressé au-dessus du caveau est de forme carrée, composé de quatre arches en granit abritant une pierre tombale sur laquelle il est gravé en lettres d’or : « La Patrie à ses Défenseurs ». Sous le monument, dans le caveau, reposent les restes de militaires de la garnison morts avant 1914.
Le dimanche 3 novembre 1901, à la cathédrale, autour du maire de Rennes, Etienne Pinault, sont réunis une grande partie du conseil municipal, les officiers de l’infanterie et de l’artillerie, les anciens combattants de 1870 et les vétérans de l’armée de terre et de mer. Après la messe célébrée pour les soldats de Rennes morts au service de la Patrie, le cortège se rend au cimetière de l’Est, en présence du curé de la paroisse Saint-Hélier qui effectue la bénédiction du monument.
En début d’après-midi, une foule encore plus nombreuse que le matin s’est rassemblée autour du monument du cimetière de l’Est. Le président du Souvenir Français, H. Huguet, remercie les généreux donateurs, après avoir salué le colonel délégué spécial du Ministre de la Guerre. Ensuite, le président des anciens combattants de 1870, M. Surcouf, tient à saluer personnellement le Secrétaire Général de l’association « Le Souvenir Français », M. François-Xavier Niessen, présent à l’inauguration. Fondateur en 1887 de la Société Nationale « Le Souvenir Français », ce professeur alsacien avait refusé l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne, après la défaite de 1871. Il défendait l’idée que pour préserver l’unité nationale et le souvenir des morts pour la France, il était indispensable d’entretenir leurs tombes. L’édification du monument de Rennes répondait parfaitement à son idéal.
En février 1902, le comité de l’Union des Femmes de France remet officiellement à la ville de Rennes l’ossuaire militaire, érigé par ses soins, ainsi que le produit restant de la souscription publique.
Le 2 août 1914, le terrain concédé à l’association « Le Souvenir Français » est intégralement occupé. Il n’est plus envisagé de relever les tombes existantes mais de procéder aux inhumations dans la partie disponible de la 17e section du cimetière de l’Est, non affecté à l’association « Le Souvenir Français », et devenant alors exclusivement réservée aux soldats morts pour la France.
Le 26 novembre 1916, alors que la bataille de Verdun est dans tous les esprits, François (dit Francis) SIMON, alors président du comité du Souvenir Français de Rennes et de l’Escorte d’honneur, dont le fils aîné vient d’être tué au combat, prononce sous l’arche du Monument du Souvenir Français de Rennes, une allocution qui va avoir une importance hautement symbolique. Il émet l’idée que la France doit honorer, au Panthéon, un soldat mort pour la patrie : « Pourquoi la France n’ouvrirait-elle pas ses portes du Panthéon à l’un de ses combattants ignorés, morts bravement pour la Patrie avec deux mots seulement pour inscription sur la tombe : « un Soldat » et deux dates « 1914 – 1917 ? ». Cette inhumation d’un simple soldat, sous le dôme, où reposent tant de gloires et de génies, serait comme un symbole ; et de plus, ce serait un hommage rendu à l’armée française tout entière. ». L’idée de la tombe d’un soldat inconnu est lancée. Ce n’est qu’en 1918 qu’elle est reprise par un député. Au Panthéon, le corps se retrouverait sous terre dans un endroit sombre et discret : il est donc envisagé de choisir un lieu inondé de lumière et à la vue de tous. Après le choix effectué par le soldat Auguste THIN, fils d’un combattant lui-même disparu au cours de la guerre, le 28 janvier 1921, le cercueil du ‘’Soldat Inconnu’’ est inhumé au centre de l’arche principale de l’Arc de Triomphe, face aux Champs Elysées. Le « brave soldat » honoré, chaque soir, par une délégation qui effectue le ravivage de la flamme sacrée, est intimement lié au monument du Souvenir Français de Rennes.
Joël DAVID, Chargé d’Odonymie, Rennes
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